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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/461

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THOMISME. LE TRAITÉ DE L’HOMME


tion parfaite de leur nature spirituelle, ils voient eu elle comme eu un miroir Dieu auteur de cette nature, leur loi naturelle inscrite en elle ; ils voient aussi au même instant les autres anges et usent aussitôt de leurs idées infuses. Au contraire, Scot et Suarez n’admettent pas que les anges aient eu, dès le premier instant, leur béatitude naturelle et ils tiennent qu’ils ont pu pécher directement et immédiatement contre la loi naturelle. Les thomistes répondent : si les anges sont esprits purs, certainement dès l’instant de leur création, ils se voient comme tels, et voient dans leur essence, comme en un miroir, Dieu auteur de leur vie naturelle, par suite ils l’aiment naturellement comme la source de cette vie naturelle qu’ils désirent nécessairement conserver. — 2. Pour la durée de l’épreuve, saint Thomas montre que les anges n’ont pas pu pécher, ni pleinement mériter à l’instant de leur création, car leur premier acte fut alors spécialement inspiré par Dieu et ils ne pouvaient encore s’y porter eux-mêmes en vertu d’un acte antérieur. Mais, au deuxième instant, ils ont soit pleinement mérité, soit démérité, et saint Thomas ajoute : Angélus posl primum aclum curilatis, quo bealitudinem (supernaturalem ) meruit, slatirn beatus fuit. Q. lxii, a. 5. Après le premier acte pleinement méritoire, l’ange fut béatifié et, après le premier acte déméritoire, le démon fut réprouvé. Il y a donc, selon saint Thomas, trois instants dans la vie des anges : le premier, celui de la création ; le second, celui du mérite ou du démérite ; le troisième, celui de la béatitude surnaturelle (mais ici c’est déjà l’unique instant de l’éternité) ou de la réprobation. Il faut noter cependant qu’un instant angélique, qui est la mesure de la durée d’une pensée de l’ange, peut correspondre à une partie plus ou moins longue de notre temps à nous, suivant que l’ange s’absorbe plus ou moins en une pensée, comme un contemplatif qui s’arrête plusieurs heures sur une même vérité.

La raison pour laquelle, selon saint Thomas, sitôt après le premier acte pleinement méritoire ou après l’acte déméritoire, il y a la sanction divine, c’est, nous l’avons dit plus haut, que la connaissance angélique n’est pas abstraite, ni discursive et successive comme la nôtre, mais purement intuitive et simultanée. Ce n’est pas successivement que l’ange considère les divers aspects de la chose à choisir, mais il voit simultanément tous les avantages et désavantages, aussi son jugement, une fois posé, est-il irrévocable, car il a déjà tout considéré. Saint Thomas tient en outre que les démons ont péché par orgueil, q. lxiii, a. 3, « en désirant comme fin ultime celle à laquelle ils pouvaient parvenir par leurs forces naturelles et en se détournant de la béatitude surnaturelle qui ne peut s’obtenir que par la grâce de Dieu » selon la voie de l’humilité et de l’obéissance. C’est le péché d’orgueil du naturalisme.

Scot et Suarez, nous l’avons dit, admettant que l’ange peut raisonner et considérer successivement, comme nous, les divers aspects de la chose à choisir, soutiennent que le jugement pratique et l’élection de l’ange sont révocables, mais, qu’après plusieurs péchés mortels, Dieu ne leur donne plus la grâce de la conversion. — 3. Un troisième point sur lequel il y a divergence entre ces trois docteurs est relatif aux mérites du Christ par rapport aux anges. Saint Thomas tient que la grâce essentielle et la gloire essentielle des anges ne dépend pas des mérites du Christ, car le Verbe s’est incarné propter nos homines et propter nostram salutem et il a mérité comme rédempteur, pour les âmes à racheter ; or, la grâce essentielle n’a pas été donnée par manière de rédemption aux anges à l’instant où ils ont été créés. Cf. De veritale, q. xxix, a. 7, ad 5um. Saint Thomas dit aussi, III », q. i.ix,

a. G : La gloire essentielle a été donnée aux anges par le Christ, en tant qu’il est le Verbe de Dieu, au commencement du monde. Mais le Verbe incarné a mérité aux anges des grâces accidentelles, pour qu’ils accomplissent leur ministère auprès des nommes pour coopérer à notre salut.

Scot, ayant soutenu que le Verbe, même dans le plan actuel cie la Providence, se serait incarné alors même que l’homme n’aurait pas péché, a des vues différentes : il admet que le Christ a mérité aux anges la grâce essentielle et la gloire essentielle. Suarez tient que le péché d’Adam fut l’occasion et la condition non pas cie l’incarnation, mais de la rédemption. Selon lui, même si l’homme n’avait pas péché, dans le plan actuel de la Providence, le Verbe se serait peut-être incarné, mais il n’aurait pas souffert. Suarez déduit de là que le Christ a mérité aux bons anges la grâce essentielle et la gloire, et donc qu’il les a sauvés.

Les thomistes répondent que le Christ n’est sauveur que comme rédempteur ; or, il n’est pas rédempteur des anges ; du reste si les anges devaient aux mérites du Christ la gloire essentielle, ou la vision béatifique, ils ne l’auraient pas reçue avant lui, mais comme les justes de l’Ancien Testament, ils auraient attendu sa résurrection.

Cette synthèse du traité des anges de saint Thomas montre qu’il a affirmé beaucoup plus que Scot et Suarez la différence spécifique qui existe entre l’intelligence angélique et l’intelligence humaine, à raison de leur objet propre respectif : pour l’ange sa propre essence, pour l’intelligence humaine l’essence des choses sensibles connue par abstraction. Il suit de là que l’intelligence angélique est purement intuitive, non pas discursive comme la nôtre. De là dérivent toutes les conclusions de saint Thomas relatives à la connaissance des anges, à leur volonté, à leur mérite ou démérite. Bref saint Thomas se fait de l’esprit pur créé une plus haute idée que Scot et Suarez ; c’est ce que montrent les commentaires de Cajétan, Bafiez, Jean de Saint-Thomas, des Carmes de Salamanque, de Gonet et de Billuart. Ce traité ainsi conçu éclaire par contraste le traité de l’homme dont nous allons parler, et par similitude les questions de l’âme séparée.

Il faut noter enfin que saint Thomas, en exposant sa doctrine sur les anges, corrige les graves erreurs des averroïstes latins sur les substances séparées ; ils les considéraient comme éternelles, immuables, et disaient que leur science est complète de toute éternité, qu’elles n’ont pas été produites par une cause efficiente, mais sont conservées par Dieu. Cf. Mandonnet, Siger de Brabant et iaverroïsme latin au xiiie siècle, 2<= éd. Louvain, 1908-1910, Introd. et c. vi ; Denifle, Charlularium Univ. parisiensis, t. i, p. 543.

VIL Traité de l’homme. — 1° Caractère de ce traité. — Dans son traité théologique De homine, saint Thomas, a dessein, ne suit pas l’ordre ascendant de l’ouvrage philosophique De anima. Ce traité philosophique s’élève progressivement du sensible au spirituel, de la vie végétative à la vie sensitive et à la vie intellectuelle considérée dans les actes qui la manifestent et enfin au principe de ces actes, à l’âme spirituelle et immortelle. Au contraire la théologie, qui a pour objet propre Dieu, considère l’homme comme une créature de Dieu. Aussi, après avoir traité de Dieu et de la création en général, puis des anges, saint Thomas, dans la Somme théologique, considère : 1. la nature de l’âme humaine ; 2. son union au corps ; 3. ses facultés en général et en particulier ; 4. les opérations de l’intelligence (celles de la volonté sont considérées dans la partie morale de cet ouvrage) ; 5. enfin il traite de la production du premier homme et de l’état de justice originelle. Nous ne soulignerons ici que les principes qui éclairent ces questions.