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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/463

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THOMISME. UNION DE L’AME ET DU CORPS


tradiction ou d’identité, de causalité, de finalité, qui dépassent sans mesure l’imagination, laquelle n’atteint que le singulier et le contingent. Ces principes nous font connaître les raisons d’être des choses et nous les rendent non seulement imaginables mais intelligibles, en nous conduisant nécessairement à affirmer l’existence d’une cause première de tous les êtres finis, et d’une intelligence suprême qui a ordonné toutes choses. À ce troisième degré d’abstraction, l’intelligence humaine se connaît, comme essentiellement relative à l’immatériel.

Telle est, dans la synthèse thomiste, la principale preuve de la spiritualité de l’âme. L’immatérialité de l’objet connu par notre intelligence montre l’immatérialité de celle-ci et, comme l’agir suit l’être et le mode d’agir suit le mode d’être, l’immatérialité de l’opération intellectuelle manifeste l’immatérialité de la nature même de l’âme humaine ; cette immatérialité fonde l’incorruptibilité, ibid., a. 6, car toute forme simple et immatérielle ou subsistante est inccrruptible.

Saint Thomas voit dans le fait que nous connaissons l’être dans son universalité et ses lois nécessaires, le signe de l’immortalité de l’âme : Intelleclus apprehendit esse absolute et secundum omne tempus. Unde omne habens intellectum desideral esse semper. Naturale autem desiderium non potest esse inane. Omnis igitur inteltectualis substantia est incorruptibilis. Ibid., De ce que notre intelligence conçoit l’être absolument et au-dessus de toute limite de temps, notre âme est naturellement portée à désirer vivre toujours ; or, un désir naturel, fondé sur la nature même de l’âme, ne saurait être vain ou chimérique.

De plus de ce que l’âme humaine est immatérielle et dépasse immensément l’âme des bêtes, il suit qu’elle ne peut être en puissance dans la matière, ni produite par voie de génération, mais qu’elle ne peut être produite que par Dieu et par création ex nihilo, ex nullo prœsupposito subjecto. I a, q. cxviii, a. 2. Id quod operatur independenler a materia, pariter est et fit seu potius producitur independenter a materia.

Saint Thomas voit même dans ce fait que nous connaissons l’être dans son universalité un signe que nous pouvons être élevés à la vision intellectuelle immédiate de Dieu qui est l’Être même subsistant. I », q.xii, a. 4, ad 3 nm.

Il reste pourtant que l’âme spirituelle et immortelle, qui a pour objet propre l’être intelligible des choses sensibles, est spécifiquement distincte des anges. I », q. lxxv, a. 7.

Parmi les xxiv thèses thomistes, on lit les deux suivantes : 15° Per se subsistit anima humana, quæ, cum subjecto sufficienler disposito potest infundi, a Deo creatur, et sua natura incorruptibilis est atque immortalis. — 18* Immaterialilatem necessario sequitnr intellectualitas, et ita quidem ut secundum gradus elongationis a materia, sint quoque gradus intellectualitatis.

On peut comparer cette doctrine avec celle de Suarez qui en diffère sensiblement. Cf. Suarez, Disp. Met., V, sect. 5 ; XXX, sect. 14 et 15.

3° L’union de l’âme au corps. I », q. lxxvi. — L’âme raisonnable est la forme substantielle du corps humain, elle lui donne sa nature, car elle est le principe radical par lequel l’homme vit de la vie végétative, de la vie sensitive et de la vie intellectuelle. Ces différents actes vitaux en ces trois ordres de vie sont en effet naturels à l’homme, et non pas accidentels en lui ; ils dérivent donc de sa nature, du principe spécifique qui anime le corps.

On ne peut dire que l’homme est constitué uniquement par son âme, car chaque homme perçoit qu’il pense et qu’il sent, et il ne peut sentir sans son corps. — On ne peut dire non plus, avec Averroès, qu’une intelligence impersonnelle s’unit au corps de Socrate pour

y accomplir l’acte de pensée, car cette union accidentelle ne suffit pas pour que l’acte de penser soit vraiment l’action de Socrate ; il ne pourrait dire : « je pense », mais seulement « il pense », comme on dit d’une façon impersonnelle : « il pleut ». Enfin il ne suffit pas de dire que l’intelligence s’unit accidentellement au corps, comme un moteur, pour le diriger ; il s’ensuivrait que Socrate ne serait pas un, il n’aurait pas une unité de nature, sequitur quod Socrates non sit unum simpliciter, et per consequens nec ens simpliciler. I », q. lxxvi, a. 1.

Bien qu’elle soit forme du corps et lui aonne la vie végétative et sensitive, l’âme raisonnable reste spirituelle, car « plus une forme est noble, moins elle est immergée dans la matière, plus elle la domine, et plus son opération s’élève au-dessus de la matérialité ». Ibid. Déjà l’âme animale est douée de connaissance sensible ; l’âme raisonnable peut donc, tout en étant forme du corps, le dominer et être douée de connaissance intellectuelle. L’âme spirituelle et subsistante communique à la matière corporelle sa propre existence, qui devient ainsi l’existence unique du composé humain. C’est pourquoi l’âme spirituelle, à l’opposé de l’âme des bêtes, conserve son existence après la destruction du corps qu’elle vivifiait. Ibid., ad 5um. Il suit aussi de là que, lorsque l’âme spirituelle est séparée, elle garde son inclination naturelle à l’union au corps, comme le corps lancé en l’air garde son inclination vers le centre de la terre. Ibid., ad 6um.

L’âme raisonnable n’est pas numériquement la même pour tous les corps humains ; il s’ensuivrait que Socrate et Platon seraient le même sujet pensant et qu’on ne pourrait distinguer l’intellection du premier de celle du second. Ibid., a. 2.

Il suit encore de ces principes que l’âme humaine a une relation essentielle au corps humain et cette âme individuelle à ce corps individuel ; l’âme séparée reste dès lors individuée par cette relation à son corps, auquel elle désire naturellement être réunie, et auquel elle sera réunie de fait, selon la révélation divine, par la résurrection des corps. A. 2, ad l Dm, ad 2um.

Bien plus l’âme raisonnable est l’unique forme du corps humain, elle donne à la matière qu’elle détermine la vie sensitive, la vie végétative et même la corporéité. A. 3 et 4. La raison en est que, s’il y avait en lui plusieurs formes substantielles, l’homme ne serait plus un par nature, homo non effet unum simpliciler. A. 3. S’il y avait en lui plusieurs formes substantielles, la plus inférieure, qui donnerait à la matière la corporéité, constituerait déjà la substance, et les autres formes seraient dès lors accidentelles (comme l’accident de la quantité qui s’ajoute à toute substance corporelle). Forma substantialis dai esse simpliciter. A. 4. Ex actu et actu non fit unum per se in natura. Au contraire : ex potentia essentialiter ordinata ad actum et ex actu potest fieri aliquid per se unum, ut ex materia et forma. Cf. Cajétan, In I* iii, q. lxxvi, a. 3. C’est toujours l’application des principes aristotéliciens sur l’acte et la puissance. D’où l’unité admirable de cette synthèse.

Il ne répugne pas que l’âme spirituelle soit l’unique forme du corps humain et lui donne même la corporéité, car les formes supérieures contiennent éminemment la perfection des formes inférieures, comme le pentagone contient le quadrilatère et le dépasse. A. 3. Il répugnerait cependant que l’âme humaine soit principe immédiat des actes d’intellection, de sensation, de nutrition ; elle ne peut exercer ces différents actes que par différentes facultés spécifiées chacune par un objet spécial. I », q. lxxvii, a. 1, 2, 3, 4, 6.

Il convient enfin que l’âme raisonnable, qui a pour objet propre le dernier des intelligibles, l’être intelligible des choses sensibles, soit uni à un corps capable