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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/464

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THOMISME. LES FACULTÉS DE L’AME


de sensation, q. lxxvi, a. 5 ; le corps est ainsi pour l’âme, pour sa connaissance intellectuelle ; ce n’est qu’accidentellement, par suite surtout du péché, qu’il appesantit l’âme.

Les principes qui dominent cette question de l’union naturelle de l’âme et du corps se trouvent réunis dans la 16e des xxiv thèses thomistes : Eadem anima rationalis ita unitur corpori, ut sit ejusdem forma subslantialis unica, et per ipsam habet homo ut sit homo et animal et vivens et corpus et substantia et ens. Tribuit igitur anima homini omnem gradum perfectioms essenlialem ; insuper communicat corpori actum essendi, quo ipsa est.

Cette proposition paraît aux thomistes véritablement démontrée par les principes relatifs à l’acte et à la puissance et à la distinction réelle de l’essence et de l’existence dans les créatures. Suarez, qui entend ces principes autrement, considère cette proposition « l’âme est l’unique forme du corps » non pas comme démontrée, mais comme plus probable ; c’est la note fréquente de son éclectisme. Cf. Suarez, Disp. Met., XIII, sect. 13 et 14.

On voit, par ce que mus venons de dire de la spiritualité, de l’immortalité personnelle de l’âme, de son union au corps, combien saint Thomas perfectionne la doctrine aristotélicienne contenue dans le De anima d’Aristote, interprétée dans un sens panthéistique par Av Troès. Avec la question de la création libre ex nihilo et non ab œterno, c’est un des points qui montre le mieux comment saint Thomas a baptisé l’aristotélisme, en faisant voir que la doctrine de la puissance et de l’acte permet d’expliquer, d’établir et de défendre les plus importants des præambula fidei. Pour mieux s’en rendre compte, il faut lire attentivement les commentaires di Cajétan, In / », q. lxxv et lxxvi, où celui-ci défend avec grande pénétration cette doctrine contre les objections de Duns Scot, en la ramenant toujours aux principes déjà formulés par Aristote.

4° Les facultés de l’âme. I », q. lxxvti sq. — Le principe qui domine toutes les questions de la distinction et de la subordination des facultés, et par suite toute la morale, est celui-ci : Les facultés, les « habitus », et les actes sont spécifiés par leur objet formel, plus préi isément par l’objet formel quod, qu’ils atteignent immédiatement et par le point de vue formel quo, sous lequel cet objet est atteint. Le principe, qui éclaire toute la psychologie, l’éthique, et la théologie morale, est considéré au XVIIe siècle par le thomiste A. Réginald, dans son livre De tribus principiis doctrinæ sancti Thomm, comme une des trois vérités fondamentales du thomisme, après celles-ci : Ens est transcende.ns seu analogum, et Deus est Aclus purus. A. Réginald la formule : Relalivum specificatur ab absoluto ad quod essenlialiter ordinatur, ce qui en effet est essentiellement relatif à un objet ne peut se définir que par lui, comme la vue et la vision par la couleur, l’ouTe et l’audition par le son, l’intelligence par l’Être intelligible, la volonté par le bien aimé et voulu. Mais A. Réginald n’a pu écrire cette troisième partie de son ouvrage.

Il suit de ce. principe que les facultés sont réellement distmrt’s de l’ilme, en d’autres termes que l’essence de l’âme ne peut opérer immédiatement par elle-même ; elle ni’peut < onnattre intellectuellement que par l’intefligence, vouloir que par la volonté, etc. Ce ne sont pas Maternent les habitude* du langage qui portent à s’exprimer ainsi ; c’est la nature des choses. L’eflMnCe de l’Amee si tant doute une < : apa< il é réelle, mais comme Il n’est pas son existence, en quoi elle diffère de Dtou, elle reçoit l’existence a laquelle elle est ordonnée ; or, l’existence est un acte différent de rintellection et de la volition, car il faut d’abord exislcr pour agir.

Et donc, comme l’essence de l’âme est une capacité réelle de l’existence, il faut qu’il y ait en elles des puissances ou facultés, qui soient des capacités réelles de connaître le vrai, de vouloir le bien, d’imaginer, de s’émouvoir, de voir, d’entendre, etc. Il suit aussi du principe formulé plus haut que les facultés sont réellement distinctes entre elles par leur objet formel.

C’est en Dieu seul que s’identifient, sans aucune distinction réelle, l’essence, l’existence, l’intelligence, l’intellection, la volonté et l’amour. Déjà dans l’ange, il y a distinction réelle de l’essence et de l’existence, de l’essence et des facultés, de l’intelligence et des intellections successives, de la volonté et des volitions successives, cf. I », q. liv, a. 1, 2, 3 ; les mêmes principes s’appliquent à l’âme humaine. I*, q. lxxvii, a. 1, 2, 3.

A la place de cette distinction réelle, Duns Scot admet sa distinction formelle-actuelle ex natura rei, qui est, aux yeux des thomistes, un milieu impossible entre la distinction réelle et la distinction de raison, car une distinction existe ou n’existe pas avant la considératior de notre esprit ; si elle est antérieure à notre considération, si minime qu’elle soit, elle est déjà réelle ; si elle n’est pas antérieure, c’est une distinction de raison.

Suarez ici encore cherche un milieu entre saint Thomas et Scot ; pour lui la distinction réelle entre l’âme et les lacrltés n’est pas i ertaine, mais seulement probable. Cela montre, encore une fois, qu’il entend autrement que saint Thomas la distinction de la puissance et de l’acte. Cf. Suar z, Disp. Met., XIV, sect. 5.

Toutes les facultés dérivent de l’âme, en d’autres termes elles en résultent comme les propriétés dérivent de l’essence.

Du même principe de la spécification des facultés par leur objet formel dérive notamment la distinction spécifique et la distance sans mesure qui se trouve entre l’intelligence et les facultés sensilives ; si parfaites que soient ces dernières, elles n’atteignent que le sensible, les phénomènes accesibles aux sens et l’imaginable, elles n’aiteignent pas l’être intelligible, les raisons d’être des choses, ni les principes nécessaires et universels, de contradiction, de causalité, de finalité, ’ii le premier principe de la loi morale : il faut faire le bien et éviter le mal. C’est le fondement de la preuve, de la spiritualité de l’âme ; cf. I », q. lxxvii, a. 4 et 5, et q. lxxix.

Pour la même raison, il faut distinguer spécifiquement la volonté spirituelle ou appétit rationnel de l’appétit sensitif (concupiscible et irascible) ; cꝟ. 1°, q. lxxx, a. 2. La volonté spirituelle, dirigée par l’intelligence, est en effet spécifiée par le bien universel, que seule l’intelligence peut connaître ; tandis que l’appétit sensitif dit sensibilité, éclairé immédiatement par les facultés connaissantes d’ordre sensitif, est spécifié par le bien sensible, délectable ou utile, et non pas par le bien universel ; par suite l’appétit sensitif ne peut comme tel vouloir le bien raisonnable on honnête, objet de la vertu.

Cette distinction profonde, ou cette dislance immense, sine mensura, entre la volonté et la sensibilité est méconnue par beaucoup de psychologues modernes à la suite de Jean-Jacques Rousseau : elle est manifestement d’une Importance capitale.

Il suit encore de ce qui précède que les facultés sensilives ont pour sujet Immédiat le composé humain et même un organe déterminé, tandis que l’intt lUgSfiæ et la volonté, qui soni Intrinsèquement indépendantes de l’organisme, ont pour sujet immédiat non pas le composé humain, mais l’âme seule ; cf. I*. <- i.xxvii, a. f>.

Nous ne pouvons nous étendre ici sur l’acte de connaissance Intellectuelle dont saint Thomas éirdic