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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/510

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THOMISME. LA PERFECTION CHRÉTIENNE


ment à toute délectation charnelle pour toute la vie ; elle est, dit-il, par rapport à la chasteté ce qu’est la munificence par rapport à la simple libéralité. Q. clii, a. 3. Elle est plus parfaite que le mariage et dispose à la contemplation des choses divines, qui est bien supérieure à la propagation de l’espèce humaine. Ibid., a. 4.

A la tempérance se rattachent, comme vertus annexes, celles qui consistent dans la modération de telle ou telle tendance, surtout l’humilité, qui réprime l’amour désordonné de notre propre excellence, et la douceur qui réfrène la colère. Q. cxmii.

Saint Thomas traite avec profondeur de l’humilité. Q. clxi. Selon lui, l’acte propre de cette vertu, qui en Jésus et en Marie n’a pas eu à réprimer des mouvements d’orgueil, consiste à s’incliner devant l’infinie grandeur de Dieu et devant ce qu’il y a de Dieu en toute créature. L’humble reconnaît pratiquement que ce qu’il a par lui-même (sa défectibilité, son indigence, ses déficiences) est inférieur à ce que toute autre personne tient de Dieu au point de vue naturel ou surnaturel. Ibid., a. 3. Cette formule si simple et si profonde révèle progressivement l’humilité des saints, selon les degrés énumérés par saint Anselme et expliqués par saint Thomas, ibid., a. 6, ad 3 nn> : « reconnaître que par certains côtés on est méprisable ; souffrir justement de l’être ; avouer qu’on l’est ; vouloir que le prochain le croie ; supporter patiemment qu’on le dise ; accepter d’être traité comme une personne digne de mépris ; aimer à être traité ainsi. » L’humilité est une vertu fondamentale, tanquam removens prohibens, en tant qu’elle écarte l’orgueil, principe de tout péché, et, en nous mettant a noire véritable place devant Dieu, elle nous rend parfaitement dociles à la grâce divine. Ibid., a. 5. Dans le même traité, saint Thomas montre, q. clxiii, que le péché du premier homme fut comme celui de l’ange, un péché d’orgueil ; mais l’ange, intelligence pa faite, se complut dans une science qu’il avait déjà, tandis que l’homme, dont l’intelligence est imparfaite, se complut dans le désir d’une science qu’il n’avait pas. celle du bien et du mal, pour pouveir se conduire seul, sans avoir à obéir, à vivre dans la sainte dépendant de Dieu. Ibid., a. 2.

Sous le litre De studiosilale, q. clxvi, saint Thomas a trailé aussi de l’application vertueuse à l’élude, qui est un juste milieu entre la curiosité immodérée et la paresse intellectuelle, qui suit souvent la curiosité, lorsque celle-ci est satisfaite.

Le saint Docteur a examiné ainsi une quarantaine de Y’ri us. si l’on compte toutes celles qui se rattachent aux vertus cardinales. Chacune, la justice exceptée, se trouve entre deux déviations par excès ou par défaut, et quelques-unes, comme la magnanimité, ne sont pas sans une certaine ressemblance avec tel défaut comme l’orgueil, surtout lorsque la vertu acquise n’est pas encore perfectionnée par la vertu infuse correspondante et par l’inspiration des dons du Saint-Esprit. Il est donc facile de faire de fausses notes sur le clavier des vertus ; pour les éviter il faut souvent les inspirations spéciales du Maître intérieur, ce qui montre la nécessité des sept dons qui sont dans l’âme, comme les voiles sur la barque pour lui permettre d’avancer plus facilement que par le travail des rames.

Il tu’faut donc pas s’étonner que saint Thomas achève la partie morale de sa Somme théolngiqæ en parlant de la vie contemplative, de la vie active, de la perfection chrétienne, des divers états de vie et des charismes ou grâces gratis daim, notamment de la prophétie.

5° La perfection chrétienne, d’après le témoignage de l’Evangile et de saint Paul, i onsUti -i> « lalement dans la charité. Saint Thomas, <|. cxxxxiv, a. 1. le montre en disant : « Tout être I st parfait en tant qu’il atteint

sa fin, qui est sa perfection dernière. Or, la fin dernière de la vie humaine est Dieu et c’est la charité qui nous unit à lui, selon le mot de saint Jean : « Celui qui reste « dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui. » C’est donc spécialement dans la charité que consiste la perfection de la vie chrétienne. » La foi infuse et l’espérance infuse ne sauraient être manifestement ce en quoi consiste spécialement la perfection chrétienne, car elles peuvent exister dans l’état de péché mortel, chez celui dont la volonté est détournée de Dieu, fin dernière. La perfection ne saurait non plus consister spécialement dans les vertus morales infuses, car celles-ci ne nous unissent pas directement à Dieu, mais nous font employer les moyens qui conduisent à lui, et elles ne sont méritoires que si elles sont vivifiées pai la charité. « La perfection, ajoute saint Thomas, ibid., a. 3, se trouve principalement dans l’amour de Dieu et secondairement dans l’amour du prochain, qui sont l’objet des préceptes principaux de la loi divine ; elle n’est qu’accidentellement dans les moyens ou instruments de perfection qui nous sont indiqués par les conseils évangéliques » d’obéissance, de chasteté absolue et de pauvreté. On peut donc atteindre la perfection chrétienne dans le mariage, sans la pratique effective des trois conseils, mais, pour y parvenir, il faut avoir l’esprit des conseils, qui est l’esprit de détachement des choses du monde et de soi-même, par amour de Dieu. Quant à la pratique effective de ces trois conseils, elle est un chemin plus rapide et plus sûr pour arriver à la sainteté.

On s’explique dès lors que le plus grand signe de l’amour de Dieu soit l’amour du prochain, lequel est manifestement visible et procède de la même vertu théologale que l’amour de Dieu, notre Père commun ; cf. Joa., xiii, 34.

Cette doctrine sur la perfection s’accorde parfaitement avec cette autre assertion de saint Thomas ; Melior est (in via) amor Dei, quam Dei cognitio. I », q. lxxxii, a. 3. Quoique l’intelligence soit supérieure à la volonté qu’elle dirige, ici-bas la connaissance de Dieu est inférieure à l’amour de Dieu, car, lorsqu’ici-bas nous connaissons Dieu, nous l’attirons en quelque sorte vers nous et, pour nous le représenter, nous lui imposons la limite de nos idées bornées ; tandis que, lorsque nous l’aimons, c’est nous qui sommes attirés vers lui, élevés vers lui, tel qu’il est en lui-même. C’est ainsi que l’acte d’amour d’un saint, comme le curé d’Ars, faisant le catéchisme, vaut plus qu’une savante méditation théologique inspirée par un moindre amour. Tant que nous n’avons pas la vision béatilique, l’amour de Dieu est donc plus parfait que la connaissance que nous avens de lui ; il suppose cette connaissance, mais il la dépasse, et notre amour de charité « atteint Dieu immédiatement, il adhère immédiatement à lui, et il descend ensuite de Dieu au prochain ». II » - !  ! *, q. XXVII, a. 4. Nous aimons en Dieu même ce qui nous est caché parce que, sans le voir, nous sommes sûrs que c’est le Bien même. En ce sens nous pouvons aimer Dieu plus que nous ne le connaissons ; nous aimons même davantage ce qui est plus caché en lui, car nous croyons que c’est là précisément sa vie intime, ce qui dépasse tous nos moyens de connaître, par exemple, ce qu’il y a de plus i dans le mystère de la Trinité, dans ceux de l’incarnation rédemptrice et de la prédestination.

Ainsi saint Thomas explique la parole de saint Paul : « la charité est le lien de la perfection. car aucune vertu ne nous unit aussi inlimeinent à Dieu, et toutes

les autres vertus, Inspirées, vivifiées par elle, ion !

oi données par elle a Dieu aimé par dessus tout.

Enfin le saint Docteur enseigne clairement que la

perfection ehrétiennr tombe sous le précepte suprême