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THOMISME. LA PERFECTION


de l’amour de Dieu et du prochain, non pas certes comme une chose à réaliser immédiatement, mais comme la fin vers laquelle tous doivent tendre, chacun selon sa condition, celui-ci dans le mariage, tel autre dans l’état religieux ou dans la vie sacerdotale. Le précepte suprême en effet n’a pas de limites ; cf. II » - II*, q. clxxxiv, a. 3. On se tromperait, si l’on se figurait que l’amour de Dieu et du prochain ne fait l’objet d’un précepte que dans une certaine mesure, c’est-à-dire jusqu’à un certain degré, passé lequel cet amour deviendrait l’objet d’un simple conseil. Non. L’énoncé du commandement est clair et montre ce qu’est la perfection : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, de tout ton esprit. » Les deux expressions « tout » et « entier » ou « parfait » sont synonymes… Il en est ainsi parce que, selon saint Paul, I Tim., i, 5, la charité est la fin du commandement et de tous les commandements. Or, la fin ne se présente pas à la volonté selon tel ou tel degré ou limite, mais dans sa totalité, en quoi elle diffère des moyens. On veut la fin, ou on ne la veut pas, on ne la veut pas à demi, comme l’a remarqué Aristote, / Polit., c. m. Le médecin veut-il à moitié la guérison du malade ? Évidemment non ; ce qui se mesure, c’est le médicament, mais non pas la santé qu’on veut sans mesure. Manifestement donc la perfection consiste essentiellement dans les préceptes. Aussi saint Augustin nous dit-il dans le De perfectione justifia*, c. viii : « Pourquoi donc ne serait-elle pas commandée à l’homme cette perfection, bien qu’on ne puisse l’avoir pleinement en cette vie ? » En d’autres termes la perfection de la charité tombe sous le précepte de l’amour, non pas comme une chose à réaliser immédiatement, mais comme la fin à laquelle tous doivent tendre, chacun selon sa condition, ainsi que l’expliquent Cajétan In II hm -II*, q. clxxxiv, a. 3 et Passerini, ibid. Cet enseignement, dont s’éloigne en partie Suarez, De statu pirfectionis, c. xi, n. 15-16, a été bien conservé par saint François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, t. III, c. i ; il a été aussi rappelé par S. S. Pie XI dans son Encyclique Studiorum ducem, 29 juin 1923, relative à saint Thomas, et dans celle écrite pour le troisième centenaire de saint François de Sales (26 janvier 1923).

Par rapport à la perfection chrétienne, saint Thomas distingue trois sortes de vie : la vie contemplative, la vie active et la vie mixte ou apostolique. II » -II B, q. clxxix sq. Les uns se vouent en effet principalement à la contemplation des choses divines, d’autres aux œuvres extérieures de miséricorde et les apôtres à l’enseignement de la doctrine révélée et à la prédication qui doivent dériver de la contemplation. Q. clxxxviii, a. 6.

La vie active consiste dans les actes des vertus morales, surtout de celles de justice et de miséricorde à l’égard du prochain ; elle dispose à la contemplation en disciplinant les passions et pacifiant l’âme. La vie contemplative unit plus directement et immédiatement à Dieu, elle introduit dans l’intimité divine ; par là elle est plus noble que la vie active, elle est « la meilleure part », elle durera éternellement. La vie mixte ou apostolique enfin est plus parfaite ou complète que la vie purement contemplative, car - il est plus parfait d’éclairer les autres que d’être seulement éclairé soi-même. La vie apostolique parfaite, telle qu’elle est apparue dans les apôtres sitôt après la Pentecôte et dans les évêques leurs successeurs, dérive de la plénitude de la contemplation des mystères du salut, contemplation qui procède de la foi vive, éclairée par les dons de science, d’intelligence et de sagesse, bref de la foi pénétrante et savoureuse dont le rayonnement soulève les âmes vers Dieu. Q. clxxx et clxxxviii, a. 6.

Les évêques doivent être parfaits dan » la vie active et dans la vie contemplative ; tandis que les religieux sont in statu perfectionis acquirendse, les évêques sont in statu perfectionis exercendse et communicandee. Q. clxxxiv, a. 7. L’évêque reviendrait en arrière, retrocederet, s’il entrait en religion, tant qu’il est utile au salut des âmes qui lui sont confiées et dont il a accepté la charge. Q. clxxxv, a. 4.

Les charismes.

À la fin de la II » -II", q. clxxiclxxviii,

saint Thomas traite aussi des charismes ou grâces gratis datée, qui sont accordées surtout ad utilitatem proximi, pour l’instruire par l’explication de la révélation divine : sermo scientise, sermo sapientise, ou par la confirmation de cette révélation : grâce des miracles, prophétie, discernement des esprits, etc. Saint Thomas insiste sur la prophétie ; il convient de souligner ici ce qu’il y a de principal dans son enseignement au sujet de la révélation prophétique et aussi de l’inspiration biblique, dont il parle au même endroit.

1. De la révélation prophétique.

Dans le traité de la prophétie, II » -II æ, q. clxxiii, a. 2, saint Thomas montre que la prophétie a bien des degrés depuis l’instinct prophétique donné sans que celui qui le reçoit en ait conscience — ainsi Caïphe avant la passion prophétisa sans le savoir — jusqu’à la révélation prophétique parfaite. Il dit, q. clxxiii, a. 2, que celle-ci requiert la proposition surnaturelle d’une vérité jusquelà cachée, la manifestation de l’origine divine de cette proposition et une lumière infuse proportionnée pour juger infailliblement de la vérité manifestée et de l’origine divine de la révélation. Per donum prophétise confertur aliquid humanse menti, supra id quod perlinel ad naturalem facultatem, quantum ad utrumque, scilicet et quantum ad judicium per influxum luminis intelleclualis, et quantum ad acceptionem seu reprsesentationem rerum, quæ fit per aliquas species. A. 2.

La représentation peut être d’ordre sensible par l’intermédiaire des sens ou par celui de l’imagination, ou elle peut être encore purement intellectuelle. Q. clxxiii et clxxiv.

Le prophète peut être en état de veille, ou en extase, ou encore il peut être éclairé en songe pendant son sommeil, comme il arriva pour plusieurs prophètes de l’Ancien Testament, pour saint Joseph. Q. clxxiv, a. 3. La révélation prophétique peut manifester soit les mystères surnaturels objets de la foi, soit les futurs contingents dont la réalisation pourra être connue naturellement et qui sera, comme le miracle, un signe qui confirme la révélation divine des vérités de foi. Nous avons longuement exposé ailleurs ce qu’enseigne saint Thomas sur toutes ces questions ; cf. De revelatione per Ecclesiam catholicam proposita, Rome, l re éd., 1918, 3e éd., 1935 ; cf. t. i, p. 153-168 ; t. ii, p. 109-136.

2. L’inspiration biblique.

Saint Thomas parle de l’inspiration biblique dans le traité De graliis gratis datis, là où il traite De donis quæ ad cognitionem pertinent. II » -I1 B, q. clxxi-clxxiv. Tous ces dons sont compris sous le nom générique de Prophetia. Il traite le même sujet dans la question disputée De veritale, q. xii. Le P. Pesch, De inspir. sacræ Script., 1906, p. 159, avoue lui-même que S. Thomas Aquinas doctrinam de inspiration’! S. Scripluræ ita expolivit, ut per multa sœcula vix quidquam alicujus momenti ad eam additum sit. C’est de fait la doctrine de saint Thomas que l’encyclique Providentissimus — la grande charte des études bibliques — a promulguée avec autorité. Cf. J.-M. Vosté, O. P., De divina inspiratione et veritale sacræ Scripluræ, 2e éd., Rome, 1932, p. 46 sq.

Saint Thomas, en se servant d’une heureuse expression d’Augustin, définit plusieurs fois l’inspiration instinctum occultum quem humanse mentes nescientes patiuntur. II » - II", q. clxxi, a. 5 ; clxxiii, a. 4. Il distingue nettement l’inspiration de la révélation.