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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/515

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THOMISME. CONCLUSION


local et défini en fonction, non pas de l’être, mais du repos, sans que Descartes puisse être certain de trouver un point fixe parfaitement stable, ce qui conduit au relativisme.

D’après ce qui précède, le devenir ne se conçoit que par les quatre causes : la matière est puissance passive ou capacité réelle de recevoir telle ou telle perfection ; quant à l’acte, il apparaît sous trois aspects : dans la détermination actuelle de l’agent actualisateur, dans la forme qui détermine le devenir, dans la fin vers laquelle il tend.

En dernière analyse les êtres finis sont conçus comme des composés de puissance et d’acte, de matière et de forme, ou au moins d’essence réelle et d’existence ; l’essence susceptible d’exister limite l’existence et est actualisée par elle, comme la matière limite la forme qu’elle reçoit et est déterminée, actualisée par elle. Au-dessus des êtres ainsi limités et composés, doit exister « l’Acte pur », s’il est vrai que l’acte est plus parfait que la puissance, que la perfection déterminée est plus parfaite qu’une simple capacité de recevoir une perfection. Il y a plus en ce qui est qu’en ce qui devient et n’est pas encore. C’est là une des propositions les plus fondamentales de l’aristotélisme thomiste. Et donc au sommet de tout doit se trouver, non pas le devenir pur d’Heraclite ou de Hegel, mais l’Acte pur, l’Être même, sans aucune limite et donc l’Être spirituel non limité par la matière, non limité par une essence bornée, par une capacité restreinte qui le recevrait : Ipsum Esse subsistens et simul Ipsum Verum perfecle cognitum, vôvjmç votjctswç v61r]atç, neenon Ipsum Bonum ab seterno summe dileclum. C’est le sommet de la pensée d’Aristote et c’est aussi celui de la pensée de Platon, qui sont ici conservés et surélevés par la vérité révélée de la liberté divine, de la liberté de l’acte créateur, vérité révélée, mais accessible pourtant à la raison, en quoi elle diffère des mystères essentiellement surnaturels comme la Trinité.

Nous venons de voir quel est le principe générateur de la philosophie aristotélicienne et thomiste : la division de l’être en puissance et acte, pour rendre le devenir et la multiplicité intelligibles en fonction de l’être, premier intelligible ; rappelons brièvement les principales applications de ce principe, en montrant que cette doctrine peut s’assimiler tout ce qu’il y a de positif dans les thèses adverses qu’elle s’efforce de dépasser. Un coup d’oeil sur les grands problèmes permet de s’en rendre compte.

2. Les principales applications du principe générateur et l’assimilation progressive par l’examen des grands problèmes. — Le thomisme doit en grande partie sa puissance assimilatrice à sa méthode de recherche. Pour chaque grand problème, il rappelle d’abord les solutions extrêmes opposées entre elles qui en ont été données ; il note aussi la solution éclectique qui reste plus ou moins fluctuante entre ces positions extrêmes auxquelles elle emprunte quelque chose ; finalement il s’élève à une synthèse supérieure au milieu et au-dessus de ces solutions extrêmes, et il explique par un principe éminent les divers aspects de la réalité qui avaient successivement attiré l’intelligence en sa recherche du vrai. Une brève récapitulation des grands problèmes philosophiques permet de s’en rendre compte et de mieux voir la synthèse métaphysique que le thomisme met en théologie au service de la foi pour l’expliquer et la défendre. L’unité de cette synthèse n’a rien de factice, elle est véritablement organique, elle dépend de la subordination de toutes ses parties au même principe générateur.

a) Cosmologie. — Le mécanisme affirme l’existence du mouvement local et de l’étendue selon les trois dimensions, souvent aussi celle des atomes, mais il nie les

qualités sensibles, l’activité naturelle des corps et la finalité de cette activité. Par suite il explique mal les phénomènes de pesanteur, de résistance, de chaleur, d’électricité, d’affinité, de cohésion, etc. D’autre part le dynamisme sous ses différentes formes affirme les qualités et l’activité naturelle des corps, sa finalité ; mais il réduit tout à des forces, en niant la réalité de l’étendue proprement dite et le principe pourtant certain que « l’agir suppose l’être et le mode d’agir suppose le mode d’être ». La doctrine aristotélicienne et thomiste de « la matière et de la forme spécifique » ou substantielle des corps accepte tout ce qu’il y a de positif dans les deux conceptions précédentes. Puis à bon droit elle explique par deux principes distincts, mais intimement unis, des propriétés aussi différentes que l’étendue et la force. L’étendue est expliquée par la matière commune à tous les corps, qui est puissance passive de soi indéterminée, mais capable de recevoir la forme spécifique ou la structure essentielle du fer, de l’argent, de l’or, de l’hydrogène, de l’oxygène, etc. La forme spécifique des corps mieux que l’idée platonicienne séparée, que la monade leibnizienne, en déterminant la matière explique les qualités naturelles des corps, leurs propriétés, leur activité spécifique, et l’on maintient le principe : « l’agir suppose l’être et le mode d’agir suppose le mode d’être. »

La matière, étant de soi pure puissance réceptrice, capacité de recevoir une forme spécifique, selon Aristote et saint Thomas, n’est pas encore une substance, mais un élément substantiel qui ne peut pas exister sans telle ou telle forme spécifique et qui constitue avec cette forme un composé véritablement un, d’une unité non pas accidentelle, mais essentielle, une seule nature.

La matière première est donc conçue comme pure puissance réceptrice, comme capacité réelle de recevoir telle ou telle forme spécifique ; la matière première n’est pas, par exemple, du ciselable, du combustible, du comestible, mais c’est pourtant un sujet réel actualisable et toujours transformable, capable de devenir par actualisation terre, eau, air, charbon incandescent, plante ou animal.

Par la même distinction de puissance et d’acte, Aristote, on le sait, explique que l’étendue des corps soit mathématiquement divisible à l’infini, sans être actuellement divisée à l’infini ; elle ne se compose donc pas selon lui d’indivisibles (qui s’identifieraient s’ils se touchaient, ou au contraire seraient discontinus et distants s’ils ne se touchaient pas), mais elle se compose de parties toujours mathématiquement sinon physiquement divisibles.

Les mêmes principes expliquent au dessus du règne minéral la vie de la plante et celle de l’animal. Le mécanisme s’efforce en vain de réduire aux phénomènes physico-chimiques le développement du germe végétal, qui produit ici un épi de froment et là un chêne. Le mécanisme explique moins encore la propriété évolutive de l’œuf, qui produit ici un oiseau, là un poisson, là un serpent. Ne faut-il pas reconnaître « une idée directrice de l’évolution » comme le disait Claude Bernard ? Dans le germe ou l’embryon qui évolue vers telle structure déterminée, il faut qu’il y ait un principe vital spécificateur ; c’est ce qu’Aristole appelle l’âme végétative de la plante et l’âme sensitive de l’animal. Sans éclectisme cette doctrine s’assimile ce que le mécanisme et le dynamisme ont de positif, en rejetant leurs négations.

b) Anthropologie. — Si nous arrivons à l’homme, le Stagirite et saint Thomas, toujours attentif s aux faits, appliquent encore les mêmes principes et montrent que l’homme est un tout naturel, doué d’une unité non pas accidentelle, mais essentielle, sa nature est une : homo est quid unum non solum per accidens, sed