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TÉMOINS (DEVOIRS DES)


réparation, fait défaut, et nous n’arrivons pas à la formule tripartite nécessaire : damniftcatio stricte, efjicaciter et formaliter i ajusta.

2. Toutefois, l’obligation morale ou de conscience de se présenter comme témoin peut venir d’un autre côté, celui de la charité ou de la justice légale, qui urgeront en tels ou tels cas particuliers, dans des causes civiles ou pénales.

La charité parfois fera un devoir à tel témoin de se présenter, s’il se rend compte que sa déposition est de nature à rendre grand service à l’intéressé, à défaut d’autres témoignages. Certes, c’est tout d’abord à chaque partie en cause qu’il revient de chercher des moyens de défense, pour revendiquer son bien et en garder la possession, ou bien pour se libérer d’une accusation et s’épargner un châtiment plus grave. Mais, si un témoin apprend que l’inculpé est sans défense, surtout s’il est sollicité par un innocent d’apporter un témoignage favorable qui sera déterminant, la charité intervient ; car tout homme qui, sans inconvénient relativement grave, peut secourir son prochain dans la détresse ou dans le danger de perdre des biens considérables, a le devoir d’exercer l’aumône envers celui qui n’est pas aidé ou insuffisamment aidé par les autres. Le simple ennui d’aller au tribunal ne peut être une excuse valable ; et il faudrait pour exempter de ce devoir de charité un inconvénient grave et certain, comme celui d’être exposé à la haine et à la vengeance de la partie adverse, à plus forte raison au danger de perdre la vie.

En d’autres circonstances, surtout en matière criminelle, c’est la justice légale, cette forme de charité envers la collectivité, qui pourra imposer à un témoin le devoir de dénoncer un fait criminel ou de se présenter spontanément au juge d’instruction ; mais ces circonstances ne se produiront que quand il s’agira de donvn *ges très graves pour la société. Le fait qu’un criminel échappera à la punition, bien que regrettable, ne suffit pas par lui seul pour engager la responsabilité d’un témoin qui garde le silence ou d’un complice qui se retire d’un complot. Toutefois, si le silence d’un témoin capital unique devait entraîner la ruine de la société, le renversement d’un régime établi ou un désastre public, le devoir s’imposerait gravement à la conscience. Quelques théologiens, après Lessius, De justifia, t. II, c. ix, comme Lehmkuhl, t. i, n. 602 et Ballerini, t. iv, n. 94, vont jusqu’à enseigner que cette obligation doit être remplie sub incommodo gravi usque ad periculum vitse. D’ordinaire la dénonciation, même anonyme, suffira puisqu’elle guidera l’instruction dans des recherches qui finiront par être efficaces. Parfois cependant la comparution personnelle de celui qui a découvert le complot ou surpris les conspirateurs sera seule capable d’arrêter le crime menaçant la société ; en effet, une simple dénonciation ne fournit pas encore les preuves, et un temps précieux s’écoulera non sans grand préjudice pour le bien commun. Il vaut donc mieux, il y a même obligation de justice légale pour le témoin de se présenter personnellement aux autorités de justice. Ainsi doit-on se mettre en garde contre l’indifférence pour le malheur des autres ou pour les intérêts de la société, qui trouve sa source dans l’égoïsme tranquille et dans le défaut de solidarité, si fréquents de nos jours ; d’ailleurs il n’y a pas à s’exagérer les ennuis de la déposition et surtout de la dénonciation nour laquelle on obtiendra aisément une promesse de discrétion.

En cette manière, les ecclésiastiques ont une place à part quant à leur devoir de conscience, qui est réglé parle Code de droit canonique. II importe de citer les dernières ligues du eau. 139, §3 : « Dans les causes criminelles des laïcs ayant comme objet une peine personnelle grave, les ecclésiastiques ne doivent avoir aucune

part, pas même par leur témoignage, à moins qu’ils n’y soient contraints par la citation ou la nécessité de subir une peine grave. » Un clerc doit donc tout au moins s’abstenir de dénoncer un criminel quand il s’agit d’un délit entraînant la mort ou une peine de prison ; c’est là un rôle étranger à l’esprit de l’état ecclésiastique qui est un esprit de charité et d’indulgence.

IL Devoir de prêter serment et de répondre au juge selon la vérité. — C’est la seconde obligation du témoin légitimement cité.

1° Généralement, au moins en matière criminelle, même durant l’instruction, le juge pourra déférer le serment au témoin dont les déclarations paraissent importantes ; et devant le tribunal lui-même le serment est de règle pour tous les témoins, excepté ceux que la loi interdit d’entendre sous la foi du serment, comme les enfants au dessous de quinze ans. Code d’instr. crim., art. 79. À cette prestation du serment le témoin ne peut échapper s’il en est requis ; la société en effet a le droit, pour assurer la vérité des témoignages, d’imposer ce moyen extraordinaire basé sur le respect de Dieu et la crainte de ses châtiments. Un catholique pourrait-il refuser le serment pour la raison que dans la salle d’audience ne se trouvent ni évangile ni crucifix ? Certainement non ; car un serment peut être parfaitement religieux sans formalités extérieures.

II va sans dire que cette obligation d’obéissance a pour objet un serment sincère, c’est-à-dire un serment religieux si la loi et le juge le réclament ; il en serait autrement si la loi n’a voulu que d’un serment laïc excluant toute intention religieuse.

2° Le témoin promet de dire la vérité, rien que la vérité, toute la vérité en réponse aux questions du juge ; c’est là une obligation de véracité, ordinairement de religion et souvent de stricte justice. Le principe parait être sans obscurité ; pourtant il n’est pas sans difficulté et l’application en est d’un maniement délicat.

1. La vérité, rien que la vérité : le sens de cette promesse est clair et toute conscience honnête en comprendra la portée et y sera aisément fidèle. Le principal devoir du témoin répondant au juge est de ne pas le tromper par des mensonges, des faussetés, des inventions, des habiletés, quel que soit le nom dont il désirera couvrir la contre-vérité qu’il débite devant le tribunal. Même pour sauver un innocent injustement accusé ou pour aider au bon droit d’un ami en un procès civil, il ne peut être permis de mentir, en disant par exemple : « je ne sais pas, je ne me rappelle pas avoir entendu telle chose », ou bien en affirmant un fait imaginé, comme celui d’avoir été présent lors du paiement d’une dette. Ce sont là des moyens injustes, et ici comme en toute chose vaut le principe : la fin ne justifie pas les moyens.

2. Mais c’est dans l’explication de la formule : toute la vérité que peuvent se présenter des difficultés, non seulement pratiques, mais même théoriques. Quel sens donner à cette promesse ? Tout d’abord il est manifeste que sa signification n’est pas absolue et qu’il n’y a pas, pour tout témoin et dans tous les cas, une obligation de conscience de dire toute la vérité, telle qu’il la connaît et quelles que puissent être les conséquences des déclarations qu’il sera amené à faire pour obéir scrupuleusement à cette injonction. Aucune autorité humaine ne possède pareil droit sur ce trésor qu’est la vérité ou plutôt sur la connaissance que nous avons pu en acquérir. Cela d’autant plus que, dans l’occurrence, il s’agit d’une vérité qui peut nuire et par conséquent d’un acte à double effet, où il y a lieu d’établir une équitable proportion entre les bons effets réclamés par la société ou des particuliers et les effets domina-