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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/591

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TOBIE. DOCTRINE, LES ANGES

C8

d’ailleurs est priée de ne pas rappeler la mémoire des offenses non seulement de Tobie mais aussi des ancêtres ou de tout le peuple, iii, 3. Au retour de la captivité, Esdras adresse à Dieu une requête semblable, I Esdr., ix, 7-9. La mission de l’ange est un effet de cette bonté de Dieu qui envoie Raphaël pour guérir Tobie et délivrer Sara du démon, xii, 14 ; tout le Livre de Tobie en un mot en est l’illustration et comme l’aurore des sublimes clartés de la parabole de l’enfant prodigue.

Rétribution et immortalité.

La notion de la rétribution

et de l’immortalité, telle qu’elle se dégage du Livre de Tobie, permettra de mieux comprendre la nature de la justice et de la miséricorde divines. De prime abord, les conceptions anciennes sur cette double question de la rétribution et de l’immortalité ne semblent pas y avoir subi d’essentielles modifications ; on n’y relève même pas de préoccupation touchant leur insuffisance. Tobie ne recommande-t-il pas à son fils de se souvenir du Seigneur tous les jours de sa vie, car, s’il agit dans la vérité, ses œuvres lui réussiront, de même qu’à tous ceux qui font la justice ? iv, 6 (selon les Septante, B). L’aumône est spécialement recommandée comme la garantie d’une bonne récompense pour le jour où la détresse viendrait aussi s’abattre sur nous, iv, 7, 10 ; le jour de la nécessité ou de la détresse n’est pas à entendre du jour du jugement, comme pourrait l’insinuer la Vulgate, qui, au ꝟ. 11, mentionne entre autres effets de l’aumône la délivrance du péché, dont les Septante ne disent rien ; il n’y est question, au contraire, que de la délivrance de la mort et des ténèbres, c’est-à-dire duScheol. Peut-on toutefois admettre que pour Tobie, alors privé de toute récompense terrestre, s’ouvrait la perspective d’une rétribution dans une autre vie ? Reusch, Das Buch Tobias, in h. I. Non certes, car pour l’instant il songeait à son fils, à la fleur de l’âge, et lui-même d’ailleurs ne devait-il pas recevoir dès ici-bas la récompense de sa vie de piété et de charité ? Mais l’histoire même du texte prouve que la pensée en débordait la lettre : la version hébraïque de Sébastien Munster traduit le ꝟ. 10 : « Qui donne l’aumône verra la face de Dieu » ; l’autre version hébraïque, dite de Fagius, délivre du jugement de la géhenne celui qui donne l’aumône, tandis que le Talmud, Baba bathra, 10 a, le préserve du châtiment de l’enfer. Cf. A. Miller, Das Buch Tobias, p. 59. L’aumône enfin, conclut le f. Il des Septante, lorsqu’elle est faite sous le regard du Très-Haut, c’est-à-dire dans un esprit droit, revêt le caractère sacré d’un don ou d’une offrande à Dieu lui-même. L’aumône, dit de son côté la Vulgate, ꝟ. 12, sera un sujet de grande confiance devant le Dieu très-haut pour tous ceux qui la font. Dans la I re à Timothée, vi, 17-19, saint Paul recommande de donner libéralement et de partager, car c’est ainsi s’amasser un trésor, gage pour l’avenir d’une vie véritable.

Même remarque a été faite au sujet de la prière de Tobie qui, accablé de maux, demande à Dieu de donner l’ordre qu’on lui reprenne son esprit, afin qu’il se dissolve et redevienne terre ; car mieux vaut la mort que la vie après avoir entendu de si durs reproches et éprouvé tant de chagrin. Que Dieu le délivre donc de la détresse et le mène à la place où l’on demeure toujours, iii, 6, Septante, B. Ce n’est certes pas la première fois que, dans l’Ancien Testament, s’exhale l’amertume d’une telle plainte ; Moïse, Num., xi, 15 ; Élie, III Reg., xix, 4 ; Job, vii, 15 avaient sollicité de Dieu la fin de leurs maux par la mort, mais la prière de Tobie, dégagée, semble-t-il, des sombres et angoissantes perspectives du Scheol des anciens Israélites, respire le calme et la confiance, la joie même et la paix dont le livre de la Sagesse donne l’assurance au juste, qui vivra en Dieu dans la paix et la lumière, la

vérité et l’amour, iii, 1-3, 7-9 ; iv, 7-17 ; v, 15. N’est-ce pas déjà l’espérance entrevue dans la Vulgate, dont le texte, plus court que celui des Septante au ꝟ. 6, formule le vœu que l’âme de Tobie soit reçue en paix, car il lui est plus avantageux de mourir que de vivre ? Plus significatif encore le texte de l’ancienne version latine dont deux manuscrits portent ces mots : Refrigerium in locum œternum. Reg., 3564 et Sangerman., 4. Sans doute, à la lumière de révélations subséquentes, peut-on donner à ce passage, surtout au désir d’atteindre au séjour éternel, elç tov alwviov réirov, un sens plus profond que ne le comportent les termes eux mêmes, mais force est bien de reconnaître qu’il ne s’impose pas, à moins de prétendre que des justes de l’Ancienne Loi, favorisés de révélations spéciales, auraient eu, au sujet de la vie future, des intuitions particulières, restées sans influence sur la croyance commune qu’ils auraient alors de beaucoup devancée. Cf. A. Miller, op. cit., p. 49-50. L’influence de la religion des Perses sur le judaïsme, dont il est parfois question au sujet de la doctrine de la rétribution, n’apparaît nullement, on le voit, dans le Livre de Tobie malgré la croyance en la rétribution reçue chez les Perses dès le vie siècle. Cf. Lagrange, Le judaïsme avant Jésus-Christ, 1931, p. 402.

Angélologie.

Malgré la place considérable faite

aux anges dans le Livre de Tobie, ce que nous y apprenons à leur sujet n’ajoute pas d’éléments essentiellement nouveaux à la doctrine de l’Ancien Testament sur les anges, qu’il s’agisse de leur existence, de leur nature ou de leurs fonctions. C’est lui cependant qui nous fait connaître Raphaël, dont le nom, fréquent dans la littérature apocryphe, Hénoch, ix, 1 ; x, 4 ; xxii, 3, 6, ne se trouve qu’ici du moins pour désigner un ange. Ce nom signifie : « Dieu guérit » et symbolise la mission de Raphaël, envoyé pour guérir Tobie et Sara, Tob., iii, 25 ; d’après le livre d’Hénoch, xl, 9, Raphaël est préposé aux maladies et aux blessures des enfants des hommes. Sa mission de guérison et de salut est l’antithèse de celle d’Asmodée dont l’action n’est que néfaste. Un tel rôle auprès des hommes n’est pas nouveau dans l’Ancien Testament ; il s’exerce encore auprès des familles et des peuples même païens, Gen., xxiv, 7, 40 ; Ps., xc (Vulg.), 11-12 ; Ex., xxiii, 20 ; xxxii, 34 ; xxxiii, 2 ; Dan., x, 5, 13. Il n’en est pas de même de l’intervention de l’ange en vue d’éprouver le juste et de l’amener ainsi à une plus haute perfection, Tob., xii, 13, ce que signifient clairement la Vulgate et plus encore les Septante d’après le Sinaiticus, où l’ange dit à Tobie qu’il a été envoyé vers lui pour l’éprouver, t. 14.

Lorsque Azarias, le dévoué compagnon de voyage de Tobie, lui révèle sa véritable nature, il se donne pour un des sept qui se tiennent devant le Seigneur, Tob., xii, 15, qui lui rapportent, dit le Vaticanus, les prières des saints. Ce passage du Livre de Tobie est à l’origine de la croyance aux sept archanges et cependant il est à noter que le terme même d’archange n’y est pas employé, pas plus d’ailleurs que dans tout l’Ancien Testament. Le mot n’apparaît que dans la littérature apocryphe et d’autant plus fréquemment que celle-ci est de date plus récente ; souvent il y est synonyme d’ange. À deux reprises il se rencontre dans le Nouveau Testament : I Thess., iv, 16 : èv çcovfj àpxayyéXou, et Jud., 9 : Mix<xt)X ô àpx&Yf&oç. Les fonctions de ces anges assistant au trône de Jahvé sont d’être toujours prêts à son service dans l’exécution de ses volontés, par exemple en vue d’un message de salut en faveur de quelque juste, tel celui de Raphaël auprès de Tobie. Se tenir devant Jahvé, entrer en présence de sa gloire, selon le Sinaiticus, autant d’expressions qui caractérisent ce service, analogue à celui des serviteurs et fonctionnaires de la cour royale,