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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/674

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TRADITION. LES THÉOLOGIENS (XIX « S.)


5. Si, dans ce qui précède, on met en relief le côté extérieur de la Tradition, il existe cependant un autre élément, plutôt intérieur, à savoir qu’elle montre l’identité de la conscience chrétienne de tel ou tel de ses membres, voire d’un groupe déterminé (diocèse), avec la conscience de toute l'Église. L’action divine toujours active, se réalisant sans cesse depuis le commencement de l'Église à travers le cours des siècles, réunit en un seul être les premières générations chrétiennes à celles de nos temps… De la sorte, la foi (au sens de capacité de croire) d’un ensemble de fidèles et de chaque chrétien en particulier n’est qu’une forme nouvelle et comme une reproduction de la même force divine… Mais, parce que les hommes ne peuvent se rendre compte de l’harmonie qui règne entre leurs âmes que si celles-ci s’expriment au dehors de quelque manière, la Tradition écrite est devenue ce moyen extérieur qui leur dira leur unité… Ainsi les fidèles de tous les temps nous sont rendus présents dans la Tradition de l'Église, ils apparaissent comme des parties intégrantes d’un tout… § 13 (p. 39-42)

6. C’est le même Esprit qui animait l'Église du temps de (Cyprien et d’Irénée) et qui continue à l’animer ; il faut donc que cet Esprit-Saint se manifeste de la même manière au croyant d’aujourd’hui qu'à ses devanciers. C’est en raison de ce témoignage que l’Esprit se rend à lui-même en nous, que nous croyons ce que croient tous les âges chrétiens. La foi n’est donc pas une soumission aveugle à une autorité, comme le prétendaient les hérétiques depuis le 11e siècle. Mais elle s’impose comme ayant en elle sa propre autorité (cf. S. Augustin, De peccat. mer. et remis., t. III, c. vii, n. 14, P. L., t. xuv, col. 194). Son harmonie avec la foi de tous les siècles est une conséquence nécessaire de l’essence du christianisme. La même cause produit toujours le même effet : tous les fidèles ont une mime conscience chrétienne, une même foi, parce qu’une seule et même force est à l’origine de cette foi… (Le chrétien) refuse d’accepter une hérésie non par un pur motif d’autorité, mais pour un motif de foi vivante, les deux étant d’ailleurs liés. En face de l’hérésie, le fidèle isolé no pourrait justifier son refus à lui tout seul, car celle-ci pourrait se prévaloir d’une illumination directe ou encore invoquer le même droit pour juger à son tour ce refus. Mais le chrétien n’est pas seul, il a à ses côtés la croyance ininterrompue de l'Église entière, comme base historique de son sentiment.

7. Le christianisme étant considéré comme une vie divine nouvelle donnée aux hommes, et non pas comme un simple concept abstrait, inanimé, il s’ensuit qu’il est, comme toute vie, capable de développement et de croissance… Le principe de l’identité essentielle de la conscience chrétienne de l'Église n’exige nullement un état statique. L’unité intérieure vitale doit être sauvegardée, autrement ce ne serait point toujours la même Église chrétienne ; mais la conscience de l'Église peut croître, et sa vie se développe toujours davantage en se précisant, elle s'épanouit en devenant de plus en plus clairement présente à elle-même. C’est ainsi que l'Église parvient à 171 je adulte ; elle devient le Christ adulte… La Tradition elle-même contient ces différents gormes qu’elle développe tout en sauvegardant l’essence et l’unité de la vie de l'Église.

On a vu plus haut, col. 1256, que la première génération chrétienne ne distinguait pas entre enseignement apostolique oral et Nouveau Testament. Reprcn anl cette idée, Moehler déclare qu' « on ne distinguait pas entre la parole prêchée ou Tradition orale et les Livres saints, comme s’il s’agissait de deux sources différente* : les deux étaient considérés comme la doctrine de l’Ksprit-Saint, les deux avaient été transmis par les apôtres aux fidèles et, partant, étaient à titre égal la Parole : on le, regardait comme Inséparablement uni, ». Op. cil., p. 45-46. De ce point de départ, Moebler lire quelques conclusions relatives mu rapports de l’Ecriture et de la Tradition (§ 16, p. 49-53) :

1. La Tiadltion est l’expression du Saint-Esprit animant la communauté <l<s fidl leSi <|ui traverse tous les sièclei, qui vit : > chaque moment et ipn, 'isl sn même lampe corporlfléfi (incorporée dans les symboles ci professions do foi).

2. [/Ecriture Sainte est l’expression corpoi i 1 1 < o du même Saint -Esprit au commencement du christianisme, par le

ii des apôtre-dotes d’un chai » mi-lei non limplemeni rpéctel. L'Écriture est, sous ce rapport, le premier membre de la Tradition écrite.

3. L'Écriture ayant été puisée dans la Tradition vivante (et non vice-uersa), il s’en suit qu’on ne peut pas prouver par l'Écriture que la Tradition ne doit pas contenir ce qui n’est pas dans cette même Écriture. D’ailleurs celle-ci dit le contraire (cf. Joa., xx, 30, 31 ; xxi, 24, 25). On peut aussi affirmer que les Apôtres ont précisé beaucoup de points oralement, précisions qui ne se trouvent pas nécessairement dans leurs épîtres.

4. Si quelqu’un prétend que l'Écriture seule suffit au chrétien, on peut lui demander le sens exact de son assertion… Si l’on prend la Tradition dans le sens de l'Évangile vivant, prêché dans l'Église avec tout ce que cet enseignement comporte…, nous ne comprenons pas l'Écriture sans elle… Si l'Évangile vivant et prêché partout n'était jamais devenu un texte écrit, si la Tradition ne s'était pas fixée immédiatement, il nous serait impossible d’en obtenir une connaissance historique… Si l'Église et les membres individuels qui en font partie ne pouvaient prouver l’identité de leur conscience chrétienne avec celle des temps passés, la nôtre même pourrait nous paraître douteuse ; nous n’aurions aucune certitude que c’est bien elle qui est la vraie, la chrétienne… On devrait même dire alors qu’il n’existe pas d'Église, car l'Église a besoin de sentir l’unité de sa vie intérieure et la stabilité de sa conscience à travers les états changeants de son existence intérieure… Mais, puisque l’on peut montrer par la Tiadition de quelle manière l’Esprit du christianisme s’est manifesté aux diverses époques de l’histoire et qu’il s’est toujours manifesté comme étant le même, on peut savoir avec certitude quelle est la vraie conception de l’enseignement chrétien, à savoir celle qui fut toujours…

5. La Tradition est-elle coordonnée à la sainte Écriture, ou lui est-elle subordonnée ?… La question que l’on pose fait croire que ces deux réalités marchent côte à côte comme deux lignes parallèles. Or il n’en est pas ainsi. L’histoire est là pour le prouver. Les deux se confondent et existent l’une dans l’autre. Il n’y a pas d'époque dans l’histoire où l’on aurait lu les saintes Écritures sans avoir subi en même temps l’influence éducatrice de l'Église. De même, aux n » et m » siècles, on ne peut se figurer l'éducation chrétienne, la foi de l'Église sans que celle-ci subisse l’influence directe de la sainte Écriture.

6. L’idée qu’on ne devrait adopter dans la Tradition que ce qui est conforme à l'Écriture est en elle-même peu claire. Elle repose sur une fausse opposition. Ce que contient la Tradition — telle que nous l’avons définie historiquement — n’est jamais contraire à la sainte Écriture. Et là où l’on croit que l'Écriture affirme le contraire de la Tradition, ce n’est pas elle qui le dit, mais on le lui fait dire…

7. Ceux qui croient que certains points seulement se prouvent par la Tradition et le reste par l'Écriture, ceux-là n’ont pas pénétré la chose à fond. Tout ce que nous possédons, nous l’avons reçu et nous le conservons grâce à la Tradition… Il n’y a pas un seul point de la sainte Écriture que l’on n’ait essayé de nier, au cours des premiers siècles. Et l'Église a dû se défendre, en cherchant pas à pas des armes dans la Tradition.

8. Sans la sainte Écriture considérée comme la plus ancienne incarnation do l'Évangile, la doctrine chrétienne n’aurait pu se conserver dans toute sa pureté et toute sa simplicité… l’ar contre, sans une Tradition régulière il nous manquerait le sens profond des Ecritures… Sans une Tradition suivie.il nous manquerait l’Esprit et donc tout serait dépourvu d’intérêt… Sans la Tradition nous n’aurions même pas les saintes Écritures… Tout cela fait un tout.

Somme toute, si Moehler, dans cet ouvrage de jeunesse, n’emploie pas les termes auxquels nous avait habitués la scolastique, il conserve néanmoins les positions traditionnelles de l'Église. On doit même reconnaître qu’il a fait progresser ces positions en mettant en relief la correspondance qui existe entre la croyance de la communauté des fidèles (Église enseignée) et L’enseignement de la Tradition (Église enseignante). Ce t l’argument du « sens commun » des fidèles rapporté I sa base théologique.

Sans doute, pour être complet, « Moehler aurait dû mieux marquer le lien entre l’objectivité pu ttl l’Eglise et la mission pcrmancnle du Verbe incarné >. Mais re sera l’apport nouveau de sa Symbolique. On pourrait aussi être tenté de lui reprocher de n’avoir