Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/675

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1335
1336
TRADITION. LES THÉOLOGIENS (XIX « S.)


pas mis en relief la règle extérieure de la foi, concrétisée dans l’enseignement du pontife romain ; mais le titre même du livre : Unité de l’Église ou le principe du catholicisme d’après l’esprit des Pères des trois premiers siècles nous oblige à ne pas demander à Moehler ce qu’il ne pouvait nous donner encore. Le dernier chapitre du livre, l’Unité par la primauté, montre que l’auteur n’entend pas laisser dans l’ombre la constitution de l’Église.

Cela dit, il reste que, tout en conservant du concept de la tradition ce que la théologie classique nous a laissé de positif — source de vérités transmises oralement, documents incorporés par les Pères dans leurs écrits, par l’Église dans ses enseignements positifs, corps de doctrine historiquement saisissable, règle de foi dirigée par l’Esprit-Saint tant au début de l’ère chrétienne qu’au cours de tous les siècles de l’histoire de l’Église - — Moehler a su montrer dans la tradition le véritable élément de vie et de mouvement du catholicisme. On pourra rapprocher cette idée de la théorie hégélienne du « procès dialectique » ou de la « pieuse conscience » de Schleiermacher, mais Ranft, op. cit., p. 51, fait remarquer que cet apparentement est purement verbal, car ce qui se développe dans la conscience chrétienne est un germe objectif divin, qui conserve sa nature dans toutes les phases de son développement.

Moehler s’est sans doute inspiré de Melchior Cano en cherchant des analogies au principe catholique de la tradition dans l’esprit national de chaque peuple et dans certains phénomènes de l’histoire, chez les Chinois, les rnahométans, les Grecs et même les protestants. Cf. Ranft, op. cit., p. 58. Dans l’histoire du dogme de la tradition, son importance est considérable ; car, mieux que quiconque avant lui, il a recherché les bases psychologiques et historiques du principe de la tradition et, d’autre part, il s’est efforcé de démontrer que ce principe, loin d’être une cause d’appauvrissement intellectuel, est la condition même du progrès dans l’Église. Il ne restera guère, après Moehler, qu’à préciser les différentes adaptations du principe de progrès aux différentes catégories de dogme. Les théologiens, notamment Billot, le feront à l’occasion de la crise moderniste.

2° En Angleterre : Newman. — Parallèlement à Moehler. le futur cardinal Newman étudie le progrès de la doctrine chrétienne dans l’enseignement traditionnel de l’Église. Nous ne ferons ici qu’indiquer brièvement les points déjà relevés dans deux études consacrées ici à l’Essai sur le développement de la doctrine chrétienne et aux ouvrages apparentés. Voir Dogme, t. iv, col. 1630-1636 et Newman, t. xi, col. 358-364.

1. Existence et légitimité des développements doctrinaux dans l’enseignement chrétien, t. iv, col. 1630-1632.

2. Critères permettant la discrimination des développements légitimes, col. 1630-1634. — C’est ici qu’intervient le principe déjà formulé par Vincent de Lérins, col. 1296 : croissance dans l’enseignement, oui, certes, mais croissance ùi eadem sententia, in eodem sensu, analogue à la croissance du germe qui se développe, se transforme même, sans cependant cesser d’être identique à lui-même. On a relevé avec Newman les sept critères permettant de discerner le développement légitime. Comme conclusion, on doit observer que ces critères supposent tous l’identité substantielle entre le dogme primitif et ses développements postérieurs. Newman a donc simplement trouvé des formules heureuses pour exposer des vérités anciennes, en les présentant toutefois sous des aspects plus conformes aux exigences de la pensée moderne.

L’article Newman a superposé à ces considérations générales d’intéressantes remarques. En premier lieu,

Newman a mis en regard deux sortes de traditions, toutes deux apostoliques dans leur origine, mais différentes dans la manière dont elles sont transmises : tradition « épiscopale » et tradition « prophétique ». C’est cette dernière qui est particulièrement sujette à corruption, si l’Église n’y veille, et c’est à ses développements que doivent être appliqués les critères précités. T. xi, col. 360-363. Une deuxième question a été touchée par Newman au sujet du développement de la doctrine : dans quelle mesure les décisions doctrinales de l’Église s’appuient-elles sur les témoignages historiques ? C’est le problème de la tradition vivante : la tradition prophétique ne saurait jamais être enregistrée complètement dans des documents morts, si complets puissent-ils être. En aucun cas les documents historiques ne prouveront la fausseté des enseignements de l’Église ; mais en aucun cas non plus ils ne suffiront à démontrer la vérité de cet enseignement. « Le vrai catholique a foi dans l’Église, lorsqu’elle fait un usage dogmatique de l’histoire ; mais elle utilise aussi d’autres sources d’information, l’Écriture, la tradition, le « sens ecclésiastique » ou tô <ppôv7)p.a (toû Tizù[ia.Toç, Rom., ix, 27) et un pouvoir subtil de déduction qui est, dans son origine, un don de Dieu ». Difftculties of Anglicans, t. ii, p. 311-313.

Pour apprécier équitablement certaines expressions de l’Essai sur le développement, on se souviendra que cet ouvrage, écrit par Newman encore protestant, a été remanié par l’auteur devenu catholique, de manière toutefois à conserver au livre son caractère primitif.

3° Autour du concile du Vatican : Franzelin. — Franzelin est l’auteur qui, au temps du concile du Vatican, résume en sa personne toute la théologie catholique de la tradition, qu’il a magnifiquement illustrée par son traité De divina traditione et Scriptura (2e édit.), Rome, 1875 (3e édit., 1882). Toutefois, avant d’aborder l’œuvre de Franzelin, il serait injuste de passer sous silence le nom de Perrone († 1876). Dans son traité De locis theologicis, qui clôt les Prælectiones theologicæ, Perrone consacre la 2e section à l’étude de la tradition. C’est une adaptation de l’ouvrage de Cano aux exigences de la polémique antiprotestante moderne. Trois chapitres suffisent à épuiser la matière : nécessité et existence de la tradition ; moyens généraux de transmission et de discrimination de la tradition dogmatique primitive (magistère de l’Église, conciles généraux, actes des martyrs, liturgie sacrée, pratiques de l’Église, consentement des Pères, enseignement des théologiens scolastiques, opposition des hérétiques, leçons de l’histoire ecclésiastique) ; enfin, moyens particuliers de transmission et de discrimination : l’épigraphie chrétienne et les monuments de l’antiquité chrétienne. On voit, par cette énumération même, les perspectives ouvertes par Perrone à la théologie et à l’apologétique. Aujourd’hui encore son traité serait à consulter en raison de l’immense érudition qu’il renferme. Très particulièrement, sur les concessions que les auteurs protestants ont été obligés de faire à la doctrine catholique de la tradition, il apporte une précieuse documentation concernant le début du xixe siècle. Voir ce qui a été dit plus haut, col. 1329.

Mais la gloire de Franzelin a éclipsé le solide enseignement de Perrone. Du traité du savant cardinal, nous ne retiendrons ici que la première partie, De divina traditione. Il se divise en quatre sections d’inégale longueur. Cette division nous servira de cadre pour exposer le progrès réalisé.

1. Première section. concept catholique de la tradition.

— L’auteur commence par marquer fortement les deux aspects de la tradition : aspect objectif, la doctrine transmise, et c’est en ce sens qu’on parle des « traditions » ; aspect actif, l’ensemble des actes et des moyens par lesquels la doctrine nous est transmise, et