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    1. TRADITION##


TRADITION. LES THÉOLOGIENS (XIXe ET XXe S.)

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Ce qu’il faut toutefois admettre, c’est que certaines vérités, d’abord obscurément proposées, le furent ensuite d’une manière plus explicite : jamais cependant le contraire de ces vérités n’a pu être enseigné communément. Th. xxiii. Et c’est, pour Franzelin, l’occasion d’expliquer le sens de la règle posée par Vincent de Lérins, quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est. Voir ci-dessus, col. 1296. Mais, pour diriger ce progrès, il est nécessaire que les gardiens infaillibles du dépôt sacré soient aussi des docteurs infaillibles qui puissent expliciter les vérités implicites, définir les vérités obscures, proposer dans un enseignement plus pressant les vérités moins évidentes, défendre les vérités attaquées par l’erreur, etc. Dans l’exercice de cette fonction, l’élément humain de la recherche et de la science a un rôle à jouer ; mais ce rôle ne peut supplanter l’assistance du Saint-Esprit, seule capable de donner à l’Église le moyen de choisir, entre toutes les façons de comprendre le dogme, quelle est la meilleure et la seule exacte. Th. xxv.

On le voit par cet exposé, l’ouvrage du cardinal Franzelin est un excellent commentaire des définitions du concile du Vatican. Son principal mérite est d’avoir mis en relief le rôle du magistère vivant dans l’Église, d’avoir distingué l’aspect actif et l’aspect objectif de la tradition, d’avoir situé les rapports de l’histoire et de la tradition et d’avoir codifié théologiquement le progrès dans l’enseignement du magistère ecclésiastique. La crise moderniste sera pour les théologiens postérieurs l’occasion de nouvelles et heureuses précisions.

/II. LES THÉOLOGIENS RÉCENTS OU CONTEMPO-RAINS. — 1° Considérations générales. — L’œuvre de Franzelin marque le cadre dans lequel va désormais évoluer la théologie de la tradition. Le mérite principal de Franzelin a été de mettre en relief le rôle du magistère vivant de l’Église et de distinguer dans la tradition, avec plus de netteté, l’aspect actif de l’aspect objectif. Ces idées ne sont pas absolument nouvelles. La prédication vivante du magistère, le rôle actif de l’enseignement ecclésiastique sont déjà indiqués dans les affirmations de saint Paul, I Cor., xi, 23 ; xv, 3, et des Pères. Le concile de Trente ne néglige pas ce point de vue, qui, chez les théologiens postérieurs, s’affirme plus nettement. C’est au xviiie siècle que l’idée d’une tradition, comportant la règle de la foi, se manifeste avec plus d’insistance : chez Mayr, Gotti et surtout Billuart, qui acclimate le concept de règle de foi vivante. Cette idée fait des progrès énormes, en des formules dont la nouveauté accélère encore ces progrès, avec l’école de Tubingue et finalement elle trouve sa consécration dans l’ouvrage classique de Franzelin. Aussi trouvons-nous facilement chez les théologiens postérieurs à Franzelin la notion de tradition, prédication de l’Église, ou encore de tradition, règle de foi. À cet aspect actif de la tradition se juxtapose chez les mêmes théologiens un aspect objectif, l’ensemble des documents dans lesquels se manifeste l’enseignement traditionnel de l’Église. On verra plus loin que Bainvel et Billot ont modifié quelque peu ce point de vue. Voir col. 1341 et 1342.

1. Aspect actif de la tradition.

Quelques textes glanés dans les manuels récents suffisent à manifester la pensée de leur ? auteurs. Scheeben enseigne que « le témoignage collectif des évêques constitue très exactement la tradition ». Dogmatik, 1. 1, n. 328. Chr. Pesch : « La prédication de l’Église, continuée depuis les apôtres jusqu’à nos jours, est la tradition sacrée, activement considérée ; et la doctrine, ainsi transmise, est la tradition passive. » Compendium theologiæ dogm., t. i, n. 397. Il enseigne que « le magistère de l’Église est l’organe même de la tradition, organe dont l’activité se manifeste dans les documents et monuments de

l’antiquité chrétienne ». Prælectiones dogmalica-, t. i, n. 564. Même note chez J. Pohle, dans l’art. Tradition du Kirchenlexicon, t. xi, col. 1933 ; toutefois cet auteur se défend d’identifier tradition et magistère. La tradition activement considérée est une action et l’action ne saurait être confondue avec le principe même de l’action. Col. 1928. H. Dieckmann enseigne que « la doctrine du Christ est contenue dans la tradition, c’est-à-dire dans le magistère de l’Église et dans son exercice, fort pertinemment désigné sous le nom de prédication perpétuelle de l’Évangile ». De Ecclesia, t. ii, n. 670. Le P. Schultes, O. P., écrit de son côté : « La foi et la prédication del’Église constituent la règle ordinaire de la foi. Cette prédication ecclésiastique est à juste titre considérée comme la continuation et la transmission de la prédication même du Seigneur et des apôtres. » De Ecclesia catholica, Paris, 1926, p. 583. « La tradition, activement considérée, dit Mazzella, n’est pas autre chose que l’ensemble des actes et des moyens par lesquels est communiquée la doctrine transmise. » De religione et Ecclesia, n. 319. On pourrait relever cent citations analogues, dont les textes n’ajouteraient rien à la doctrine ici rappelée.

2. Aspect passif ou objectif de la tradition.

C’est la doctrine transmise elle-même qui constitue l’objet de la tradition active, et qu’on peut ainsi dénommer tradition passive. La plupart des auteurs qu’on vient de citer retiennent cette autre acception du mot tradition. Ainfi Chr. Pesch : La tradition est fréquemment prise en un sens passif, et elle s’identifie alors avec les vérités transmises par la prédication de l’Église. » Prælect. dogm., t. i, n. 564. Les deux éléments réunis, tradition active et tradition passive, forment la tradition tout court. Compendium theol. dogm., t. i, n. 397. H. Dieckmann applique aussi, en un sens passif, le mot tradition à la doctrine chrétienne enseignée par le magistèie. Op. cit., n. 666. De Groot définit la tradition : « La doctrine révélée, non consignée dans les Écriture ?, mais transmise par le Christ de vive voix à l’Église. » Summa apologetica de Ecclesia…, Ratisbonne, 1892, q. xvii, a. 1, p. 666. Tanquerey entend par tradition, au sens strict du mot, « la doctrine révélée, non relatée dans l’Écriture ». De vera religione…, Paris, 1910, n. 944. Muncunill n’a pas une autre conception : au sens même le plus strict, la tradition est « une doctrine reçue du Christ ou des apôtres de vive voix et transmise jusqu’à nous, et qui n’est renfermée dans l’Écriture ni implicitement, ni explicitement ». Tract, de locis theologicis, Barcelone, 1916, n. 105. Cette conception de traditions orales excluant l’Écriture n’est pas rare, on l’a vu au cours de cette étude, soit chez les Pères, soit chez les théologiens.

3. La tradition active est-elle règle de la foi ? — La réponse affirmative ne fait aucun doute. Néanmoins, si tous les théologiens sont ici d’accord, il s’en faut que l’accord ait été réalisé d’une façon identique chez tous jusque vers l’année 1905. Il n’était pas rare, en effet, de trouver chez les théologiens de la fin du xixe siècle, la formule : la tradition est la règle éloignée de la foi et le magistère ecclésiastique en est la règle prochaine. D’où la conclusion : la tradition active ne saurait être identifiée avec le magistère de l’Église. Et l’on en arrivait, par une assimilation assez contestable, à considérer l’Écriture comme une autre règle éloignée de la foi. Voir par exemple : Franzelin, th. xiii, p. 173 ; Wilmers, Lehrbuch der Religion, 1. 1, Munster-en-W., 1894, § 13, p. 174 ; Hettinger, Apologetik, Fribourg-en-B., 1913, p. 606 ; Bartmann, Lehrbuch der Dogmatik, Fribourg-en-B. , 1911, § 7, p. 30 ; Penone, op. cit., part. II, sect. ii, n. 337 ; Van Noort, De fontibus revelalionis, Amsterdam, 1911, n. 6 et 7 ; etc. Plusieurs de ces ouvrages ont été corrigés dans les éditions plus récentes.