à quelque chose de plus spontané, où se remarque la tendance à généraliser, à abstraire, à s’élever au dessus de l’expérience brute, à prendre des initiatives, bref à inventer. On n’est plus en présence du simple jeu des réflexes ou des associations d’images ; ce qui se constate dans le faire de cet individu si différent de son entourage, c’est la possibilité de passer d’une « idée » à une autre, au fait, c’est de l’intelligence. L’observateur que nous supposons devra conclure, avec certitude, que cet être est « quelqu’un de nouveau » par rapport à ses parents et à tout ce qui l’entoure ; que, dans la venue au monde de cette heureuse « monstruosité », quelque chose s’est passé, qui jusque-là ne s’était point perçu dans le jeu des causes naturelles, qu’il faut faire appel, pour expliquer cette apparition d’un être intelligent et libre à autre chose qu’au déterminisme habituel ; tranchons le mot, que Dieu est intervenu d’une manière spéciale dans la production de cet être tout nouveau. Non seulement des modifications profondes se sont produites en son corps et spécialement dans son cerveau, mais la force même qui domine et règle toutes les activités somatiques est d’un autre ordre que celle qui se trouve chez les animaux. Ce « petit d’hominien », dira notre observateur, est devenu un homme ; il n’a pu le devenir sans que soit intervenue une force différente de la nature ; il y a eu création au sens propre du mot.
Laissons la fiction et parlons simplement philosophie. C’est un fait qu’il se trouve aujourd’hui dans le Cosmos des êtres intelligents et libres. Le progrès matériel, intellectuel, moral de l’humanité, mis en contraste avec la stagnation indéfinie des espèces animales, atteste chez l’homme l’existence d’un principe de vie et d’action qui ne diffère pas seulement par le plus ou le moins, mais par sa nature même, de celui des animaux. Il faut donc qu’à un moment donné de l’évolution de l’espèce animale souche de l’espèce humaine une intervention supérieure se soit produite qui ait modifié du tout au tout l’espèce en question. Le principe de vie qui anima le premier — ou les premiers — représentants de la nouvelle espèce, puisque, étant données ses qualités mêmes, il ne peut sortir des virtualités de la matière vivante, ne doit reconnaître d’autre origine que la Cause suprême en personne. Ne parlons pas ici de miracle au sens classique du mot. La philosophie spiritualiste et chrétienne admet, à l’origine de chaque âme humaine, une intervention spéciale de Dieu, une véritable création qui n’a rien d’un miracle. C’est sur le même plan que se situe l’action divine faisant venir à l’être la première âme humaine. On ne voit vraiment pas ce qu’aurait de scandalisant cette première intervention de la divinité, prélude d’interventions innombrables du même ordre et de la même portée.
Telle est la manière dont un spiritualiste conscient pourra résoudre le problème que nous posions. Dans la trame des phénomènes, rien qui semble de prime abord interrompre la série des causes et des effets, rien qui témoigne de l’irruption violente dans la nature d’une force supranaturelle. Pourtant rien de plus nécessaire à admettre que cette présence, au cœur même des phénomènes, d’une force qui n’en fait pas partie et qui, agissant du dedans, communique à l’être une impulsion féconde et une direction toute nouvelle. En termes plus classiques, disons que le transformisme théiste doit reconnaître une intervention spéciale de Dieu dans la première apparition de l’humanité, tout de même que la philosophie théiste >st obligée d’admettre, à l’origine des choses, une création au sens propre du mot. Quand s’est produite intervention ? Est-ce à la limite qui sépare le Pithécanthropus du Javanthropus ? Le Sinanthropus Pekinensis en avait-il déjà été le bénéficiaire ? Faut-il la placer seulement entre l’homo faber de certains naturalistes et l’homo sapiens ? Ce n’est, semble-t-il, ni à la philosophie, ni surtout à la théologie à trancher ce débat dont la solution dépend avant tout de l’observation des faits. Tout ce que le philosophe peut dire c’est qu’il faut de toute nécessité postuler cette intervention en faveur de l’être où apparaissent pour la première fois des signes incontestables d’intelligence.
Une dernière remarque : laissée à elle-même la philosophie ne voit pas de raisons pour lesquelles cette grande novation divine ne se serait produite qu’une seule fois et en un seul point de l’espace et du temps. La naissance d’une nouvelle espèce exige au moins l’apparition d’un couple ; mais un seul couple, c’est une base bien étroite pour l’édification d’une branche nouvelle. Il est bien peu de naturalistes pour accepter cette idée ; d’ordinaire on s’imagine la genèse d’une forme nouvelle comme une sorte de prolifération se produisant au même temps et dans un espace relativement restreint et aboutissant à la réalisation d’un certain nombre d’individus plus ou moins semblables. Au lieu d’un surgeon unique on postule plutôt l’existence d’une sorte de buisson d’où finalement s’élèvera le nouveau phylum. Par ailleurs rien n’empêche d’imaginer, au simple point de vue de la philosophie naturelle, la surrection de pareils buissons sur des points divers de l’espace, à partir d’espèces différentes mais assez voisines. Enfin on ne voit pas d’obstacles majeurs à ce que cette apparition d’êtres humains nouveaux ne se soit pas produite à des intervalles de temps assez éloignés l’un de l’autre. L’existence d’humanités successives, apparaissant soit en concurrence l’une avec l’autre, soit après la disparition de l’humanité précédente, n’a rien en soi qui contredise les principes d’une philosophie spiritualiste. La seule chose qu’exige celle-ci, c’est la reconnaissance d’une intervention spéciale de Dieu, au moment où paraît une souche humaine véritable, un groupe d’êtres doués d’intelligence et de liberté. Ceci est dit, encore une fois, de la philosophie laissée à ses propres spéculations. Mais il convient maintenant d’examiner si cette liberté ne doit pas être limitée par les enseignements de la théologie.
III. Critique théologique du transformisme.
La théologie est la science de la Révélation ; elle ne se confond pas néanmoins avec elle ; il y a donc lieu d’étudier séparément l’une et l’autre, enfin d’interroger le magistère ecclésiastique.
1° Le transformisme et les données de la Révélation.
Ces données sont fournies par les Livres saints d’une part, par la Tradition de l’autre. Examinons-les successivement.
1. Les données des Livres saints.
Elles se ramènent avant tout aux enseignements des deux premiers chapitres de la Genèse ; les autres textes bibliques relatifs à la création qui peuvent être relevés dans les Psaumes, dans Job, dans les livres sapientiaux, supposent ces enseignements ou les commentent sans apporter de doctrines bien nouvelles. Nous les laisserons de côté.
L’exégèse traditionnelle a de tout temps soudé intimement les deux premiers chapitres de la Genèse ; le premier racontant à grands traits la création du ciel et de la terre, jusques et y compris la création de l’homme, le second reprenant l’histoire même de cette dernière création, d’une manière plus développée, et racontant avec quelques détails la production de l’homme, son établissement dans le jardin d’Eden, la création de la première femme, la présentation de celle-ci à l’homme et leur vie dans le paradis.
L’exégèse moderne a de bonnes raisons générales et particulières, pour dissocier l’un de l’autre ces deux chapitres ; elle y voit deux récits différents de la créa