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TRANSFORMISME. CRITIQUE THÉOLOGIQUE


tion, appartenant à deux « Histoires saintes », nettement distinctes l’une de l’autre, ayant vécu chacune leur vie propre avant de se souder, et dont il est loisible de reconstituer la teneur en examinant la suite des livres historiques. Nous admettons comme établie la distinction de ces multiples « histoires saintes », ultérieurement fondues pour constituer la série des premiers livres historiques de la Bible.

Le c. ii de la Genèse appartient à la plus ancienne de ces histoires, celle que l’on appelle jahviste ; son attention se porte à peu près exclusivement sur la création de l’homme. Sur la terre qui ne porte encore aucune végétation, « Jahvé forme l’homme de la poussière du sol et souffle dans ses narines un souffle de vie et l’homme devient un être animé ». Gen., ii, 7-8. C’est après cela que Jahvé, faisant pousser du sol toutes sortes d’arbres et de végétaux, « plante un jardin dans Éden » et fait jaillir les sources qui doivent arroser celui-ci. Gcn., ii, 8-10. Désormais par le travail de l’homme la terre, convenablement irriguée, aura sa fécondité. Mais l’homme est seul ; il faut lui donner des aides qui lui ressemblent ; Jahvé forme donc de la poussière du sol, tout comme il avait formé l’homme — sans souffler pourtant dans leurs narines un souffle de vie — les divers animaux : dans cette création nouvelle l’homme ne trouve pas d’aide qui lui ressemble, ii, 18-20. C’est alors que Jahvé forme la femme, de la manière que l’on sait et qu’il la présente à l’homme qui reconnaît en elle « l’os de ses os, la chair de sa chair ». ii, 21-24.

Il est trop évident qu’à juger de ce premier récit par les apparences nous avons affaire avec une narration populaire, oserait-on dire enfantine ? des origines de l’humanité. Une vérité profonde s’en dégage néanmoins. C’est que l’espèce humaine occupe dans la création une place spéciale. Si le corps de l’homme, tout comme celui des animaux créés après lui, est pris du limon terrestre, il existe en lui un principe de vie qui reconnaît une origine plus noble et, si l’on peut dire, transcendante : Dieu lui a communiqué lui-même le souffle de la vie. La première femme, de même, a reçu l’être d’une intervention spéciale de Dieu ; entre elle et son mari, par ailleurs, il y a une communauté de vie et d’origine qui devrait empêcher qu’elle soit jamais confondue avec les bêtes de somme, auxquelles si facilement l’assimilaient, l’assimilent encore les peuples primitifs. Sur la nature et la dignité de l’homme voici donc un enseignement majeur. Quoi qu’il en soit du naïf récit où il s’enrobe, il doit être recueilli.

A une autre « histoire sainte » que l’on appelle le Code sacerdotal ou le grand élohiste, appartient le récit de la création du c. i et ii, 1-3. En dépit de sa place dans la compilation actuelle, il est, au point de vue de la rédaction, postérieur au c. ii, 4 sq. Il frappe d’abord par la majesté de son expression et par le souci de donner un aspect rationnel à l’œuvre divine. Cette dernière est répartie entre six jours, qui sont

— la chose est expressément dite — le prototype de la semaine ouvrière, le repos divin au septième jour étant donné comme le modèle du repos sabbatique. Gen., ii, 2, 3. Laissons de côté l’œuvre des trois premiers jours : création de la lumière, séparation, par la voûte du firmament, des eaux du dessus d’avec les eaux du dessous, séparation sur la terre des continents et des océans. C’est sur les parties émergées que la vie va d’abord paraître. « Que la terre, dit Èlohim, fasse pousser du gazon, des herbes portant semence, des arbres produisant, selon leur espèce, du fruit ayant en soi sa semence. » Gen., i, 11. Au cinquième jour seulement vient le tour des premiers animaux : « Que les eaux, dit encore Élohim, foisonnent d’une multitude d’êtres animés et que les oiseaux

volent sur la terre sur la face du firmament des cieux. » i, 20. Ainsi fut fait. « Élohim créa les grands animaux aquatiques et tout être animé qui se meut, foisonnant dans les eaux selon leur espèce, et tout volatile ailé selon son espèce. » i, 21. Au sixième jour est placée la création des animaux terrestres : « Que la terre fasse sortir des êtres animés selon leur espèce, dit Élohim, et aussi les animaux domestiques, les reptiles et les bêtes de la terre selon leur espèce. » i, 24. Ainsi fut fait. Mais en ce même jour, le dernier de la semaine ouvrière de Dieu, se place encore la production de l’homme. Elle est introduite par une sorte de conseil divin : « Élohim dit : « Faisons l’homme à notre image, « selon notre ressemblance ; qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les animaux domestiques et sur toute la terre et sur les « reptiles qui rampent sur la terre. » Et Élohim créa l’homme à son image ; il l’a créé à l’image d’Élohim, il l’a créé mâle et femelle. Et Élohim les bénit (les représentants des deux sexes), et il leur dit : « Soyez « féconds, multipliez, remplissez la terre, soumettezla. » i, 26-28. La suite de cette « histoire sainte » se retrouve au c. v, 1 sq.

Les anthropomorphismes dont foisonnait le récit jahviste de la création ont, pour ainsi dire, disparu de celui-ci. Dieu se contente de commander ; nul besoin pour lui de mettre la main à la pâte. Sur l’ordre divin la vie, végétale d’abord, puis animale, surgit de la terre asséchée et des océans primordiaux. On remarquera que c’est la terre ou l’onde qui sont censées les émettre directement, fécondées qu’elles sont par l’ordre divin. Pour ce qui est des premiers représentants de l’humanité, il n’est pas dit qu’ils soient produits d’une autre manière ; leur création néanmoins ne se confond pas avec celle des autres vivants. L’idée que le naïf auteur du récit jahviste exprimait en disant que Dieu souffla dans les narines de l’homme un souffle de vie s’exprime ici d’une manière beaucoup plus philosophique : « l’homme est fait à l’image de Dieu et selon sa ressemblance. » Et cette similitude qui le rapproche du Créateur est la raison de sa supériorité sur l’ensemble de la création, sur laquelle il acquiert un vrai droit de jouissance et de domination. Les deux sexes sont d’ailleurs mis sur le même plan, ce qui établit l’égalité de leurs droits et de leurs devoirs réciproques. Somme toute, dans un langage fort différent et, que l’on nous passe le mot, avec un scénario bien divers, les mêmes grandes idées religieuses et morales se retrouvent : puissance créatrice de Dieu, qui est la cause de la venue à l’être de tout ce qui existe, spécialement des deux règnes animal et végétal ; place toute particulière de l’humanité dans la nature : à sa production Dieu s’est intéressé d’une manière unique ; enfin égalité des deux sexes au point de vue de leur dignité : devant Dieu homme, et femme sont égaux ; l’auteur du récit jahviste ajoute, d’ailleurs, une remarque relative à l’indissolubilité du mariage, tandis que le grand élohiste met davantage l’accent sur la fin essentielle de cette institution : « Soyez féconds, multipliez et remplissez la terre. »

Ces constatations faites, et elles sont de capitale importance, ces enseignements religieux et moraux recueillis, il faut savoir renoncer à toutes les tentatives qui, depuis le xviie siècle jusqu’aux dernières années du xixe, ont été faites pour faire « concorder », comme l’on disait, sur cette question des origines, les données de la « science » et celles de la « foi ». La simple constatation de l’existence de deux récits est la première pierre d’achoppement du concordisme. Nul, de toute évidence, ne sera tenté de raccorder aux connaissances que nous avons des origines de notre planète la populaire et naïve narration de l’écrivain jahviste. Plus rationnel, rédigé en fonction de la science de l’époque,