Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
139
140
TERTULLIEN. DOCTRINE, L’ÉGLISE


atteinte dans les écrits précédents. L’écrivain y attaque un personnage, disons plus précisément un évêque, coupable d’avoir accordé le pardon aux pécheurs pénitents pour les crimes d’adultère et de fornication. Pendant longtemps, la plupart des critiques ont admis que l’évêque visé ici n’était autre que le pape Calliste, dont nous savons, par saint Hippolyte, les mesures de bienveillance prises envers les pécheurs. Il est plus probable cependant qu’il s’agit d’un évêque de Carthage, Agrippinus, que nous connaissons par saint Cyprien. En tous cas, l’ouvrage de Tertullien est capital, tant par ce qu’il nous apprend sur le tempérament moral de son auteur que par les lumières qu’il jette sur l’histoire du sacrement de pénitence. Éditions critiques de P. de Labriolle, Paris, 1906 ; de E. Preuschen, Tubingue, 1910 ; de G. Rauschen, Bonn, 1915.

III. Enseignement.

Tertullien est avant tout un moraliste, en ce sens que le plus grand nombre de ses écrits sont consacrés à des questions de morale. Mais ce serait négliger quelques-uns des aspects essentiels de son œuvre que de l’envisager seulement du point de vue des doctrines morales. En fait, il a touché à toutes les questions susceptibles d’intéresser la doctrine et la vie chrétienne. Apologiste, il a porté résolument la défense du christianisme sur le terrain du droit : aux païens, il a montré que les édits impériaux contre les chrétiens n’avaient pas de base juridique et qu’il n’était pas permis de condamner un homme ou une secte pour le nom qu’ils portent ; aux hérétiques, il a opposé l’argument de prescription et prouvé qu’ils n’avaient pas le droit de faire appel à l’autorité des Écritures catholiques. Théologien, il ne s’est pas contenté de réfuter Marcion et les gnostiques. Il a apporté, pour exprimer les dogmes de la Trinité et de l’incarnation des formules à peu près définitives : lorsque, après avoir lu les écrits des apologistes, on aborde VAdversus Praxean, on a presque l’impression d’aborder un terrain solide et de reconnaître les expressions consacrées par l’usage des siècles postérieurs. Sur la réalité de la chair du Christ, sur la pénitence, sur l’eucharistie, il a trouvé aussi des formules qu’on ne saurait oublier après les avoir lues ; car il possède au suprême degré l’art d’enfermer sa pensée en des phrases brèves et décisives, de forger ainsi pour l’avenir des armes durables. Moraliste enfin, il est allé d’instinct, même avant son passage au montanisme, jusqu’aux solutions les plus austères et les plus rigoristes. Pourtant, aussi longtemps qu’il est resté fidèle à la discipline catholique, il a su tempérer ses exagérations par de sages et prudentes remarques, si bien que ses premiers ouvrages, le De oratione, le De patientia, le De spectaculis, le De pœnitentia, par exemple, contiennent des leçons dont il est encore possible de tirer parti.

Il est important de noter que, sur bien des questions, le montanisme est d’accord avec la grande Église. Qu’il s’agisse par exemple de la Trinité, de l’incarnation, du baptême, de l’eucharistie, des fins dernières, l’enseignement de la nouvelle prophétie ne diffère pas de celui du catholicisme ; c’est ainsi que VAdversus Praxean, un des derniers écrits de Tertullien, un des plus violents, contre les adversaires de l’Esprit Saint, expose sur la Trinité une doctrine solide. C’est surtout lorsque le problème de l’autorité dans l’Église est en jeu ou lorsque des questions d’ordre moral se posent, que l’on doit envisager à part les écrits composés pendant la période montaniste de la vie du grand Africain : il est bien évident que le langage du De pudicitia est tout différent de celui du De pœnitentia et que, si nous voulons chercher l’expression de la doctrine catholique sur la pénitence aux environs de 200, c’est dans ce dernier ouvrage qu’il faudra la chercher. Le témoignage du De pudicitia sera intéressant à étudier ; mais il ne représentera guère autre chose que la pensée

personnelle de son auteur, ou tout au plus celle du groupe auquel il s’est agrégé.

L’Église et la règle de loi.

Tertullien donne,

dans l’Apologétique une admirable définition de l’Église, lorsqu’il écrit : Corpus sumus de conscientia religionis et disciplinée unitale et spei fœdere. Apolog., xxxix. L’Église est un corps, dont tous les membres sont unis par le lien de la foi, l’unité de la discipline, la concorde de l’espoir. Il ne peut y avoir qu’une seule Église véritable, répandue dans le monde entier, comme il n’y a qu’une seule foi, un seul Dieu, un seul Christ, une seule espérance et un seul baptême, De virg. vel., n ; et cette Église est la mère des fidèles, Ad mart., i ; Adv. Marc, v, 4 ; De monog., vii, l’épouse vierge du Christ. Adv. Marc, iv, 11 ; v, 12.

Cette Église unique est faite de l’ensemble, de la société de toutes les Églises où se conserve et où se transmet la foi apostolique. De virg. vel., n ; De præscr., xx. Jésus-Christ, envoyé par le Père, a instruit lui-même ses apôtres et les apôtres ont fondé des Églises auxquelles ils ont confié la tradition de l’enseignement divin. Les Églises mères à leur tour ont essaimé ; elles ont établi de nouvelles Églises qui ont reçu fidèlement leurs leçons. C’est là et non ailleurs qu’il faut chercher la vérité : Constat… omnem doctrinam, quæ cum illis apostolicis matricibus et originalibus Ecclesiis fidei conspiret, veritati deputandam, et sine dubio tenentem quod Ecclesiæ ab apostolis, apostoli a Christo, Christus a Deo accepit, omnem vero doctrinam de mendacio præjudicandam quæ sapiat contra veritalem Ecclesiarum et apostolorum Christi et Dei. De præscr., xx-xxi.

Pratiquement, où faut-il chercher les Églises apostoliques ? A quels signes les reconnaît-on ? Tertullien n’a peut-être pas, pour les caractériser, les formules décisives de saint Irénée ; il ne s’en explique pas moins avec clarté : « Parcourez, dit-il, les Églises apostoliques, celles où se dressent encore les propres chaires des apôtres, où leurs lettres authentiques font revivre l’écho de leurs voix et l’image de, rs traits. Êtes-vous proche de l’Achaïe ? Vous avez Corinthe. Habitez-vous près de la Macédoine ? Vous avez Philippes et Thessalonique. Allez en Asie : vous trouverez Éphèse. Si vous êtes aux portes de l’Italie, vous avez Rome, dont l’autorité s’offre précisément à nous autres, Africains. Heureuse Église, à laquelle les apôtres ont légué toute leur doctrine avec leur sang, où Pierre est associé à la passion du Seigneur, où Paul reçoit par le glaive la couronne de Jean-Baptiste, où l’apôtre Jean plongé dans l’huile bouillante en sort sain et sauf et se voit relégué dans une île. Voyons ce que Rome a reçu, ce qu’elle a enseigné, ce qu’elle a partagé (conlesserarit) avec les Églises d’Afrique. » De præscr., xxxvi. Cf. Adv. Marc, iv, 5.

Ni dans le passage que nous venons de citer, ni ailleurs, Tertullien n’enseigne la primauté de l’Église romaine. On ne trouve nulle part dans ses œuvres l’équivalent de la célèbre affirmation de saint Irénée. Il est bien vrai que le rhéteur africain relève les prérogatives de saint Pierre, à qui ont été données les clés du royaume des cieux et qui a reçu le plein pouvoir de lier et de délier, De præscr., xxii ; qu’il rappelle ailleurs que les clés ont été confiées à Pierre par le Seigneur et transmises par Pierre à l’Église. Scorp., x. Il est encore vrai qu’il reconnaît l’autorité morale exercée par Rome sur les Églises d’Afrique ; mais cette autorité est purement morale et découle d’une situation de fait : parmi les Églises apostoliques, celle de Rome est la plus voisine de Carthage.

L’Église romaine a été fondée par les apôtres ; Pierre, Paul et Jean l’ont honorée par leurs supplices. Mais Tertullien ne dit pas que saint Pierre a transmis sa primauté à ses successeurs. Il mentionne, De præscr., xxxii et xxx, deux de ces derniers : Clément qui a