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ZINZEN DORF. FORMATION



ZINZENDORF (Nicolas-Louis, comte de), restaurateur de la secte des frères moraves (1700-1760).
I. Jeunesse et formation.
II. Réorganisation des frères moraves (col. 3696).
III. Doctrines (col. 3699).
IV. Aperçu historique de l'Église morave (col. 3703).

I. Jeunesse et formation.

Nicolas-Louis de Zinzendorf naquit à Dresde, le 26 mai 1700. Il appartenait à une ancienne famille de la noblesse autrichienne. Cette famille avait dû quitter le sol autrichien, lors de la Contre-Réforme, parce qu’elle avait adhéré au luthéranisme. Elle était venue se fixer à Oberbirg, près de Nuremberg. Les descendants étaient entrés au service de la Saxe, où ils s'étaient faits une haute situation. Le père de Nicolas-Louis était membre du cabinet saxon, à Dresde. Mais l’enfant perdit son père six semaines après sa naissance. Sa mère se remaria alors qu’il avait quatre ans. Il fut élevé par sa grand’mère maternelle, à Gross-Hennersdorf, en Haute-Lusace. Son enfance fut très pieuse. Privé de tout camarade, vivant parmi des femmes, l’enfant s’habitua de bonne heure à considérer Jésus comme un frère, comme le plus intime des amis. Dans son innocence, il ne songeait naturellement pas à apporter, dans cette religieuse intimité, ce sentiment profond du péché que l’on regardait, dans la mystique luthérienne, comme indispensable. On le lui apprendra plus tard, mais il ne perdra jamais le lien de « camaraderie » qu’il avait eu tout enfant avec son Jésus. Toute sa vie sera dominée par un ardent amour de Jésus et il pourra dire : « Je n’ai qu’une passion, Lui, Lui seuil » Dès son jeune âge cependant, sa dévotion n'était pas exempte de cette bizarrerie que nous aurons à relever en parlant de ses doctrines. Le récit suivant, de sa plume, en fera foi : « Dans ma huitième année, écrit-il, je fus toute une nuit sans sommeil, et je pensais à un vieux cantique que madame ma grand’mère m’avait chanté avant d’aller se coucher. J’entrai dans une méditation, puis dans une spéculation si profonde que j’en perdis presque le sens. Les idées les plus subtiles des athées se fixèrent d’elles-mêmes dans mon esprit et j’en fus intimement saisi et pénétré à un tel point que tout ce que j’ai pu entendre ou lire depuis n’a fait que m’effleurer sans m’atteindre et sans me faire la moindre impression. Mais, parce que mon cœur était au Sauveur et que je lui était dévoué avec une rectitude délicate et que je pensais souvent que s’il était possible qu’il y eût ou qu’il apparût un autre Dieu que lui, j’aimerais mieux être damné avec mon Sauveur que d'être heureux avec un autre Dieu, les spéculations et raisonnements qui ne cessaient de m’assaillir n’eurent d’autre effet sur moi que de m’angoisser et de me ravir le sommeil, sans avoir sur mon coeur le plus petit effet. »

Dès cet instant, assure-t-il, il eut l’intuition que la religion était affaire du cœur et non de la raison : « Ce que je croyais, poursuit-il, en effet, je le voulais ; ce que je pensais, cela m'était odieux et je pris dès cet instant la ferme résolution d’employer la raison dans les choses humaines aussi loin qu’elle pouvait aller et de m’instruire et cultiver autant que cela serait possible, mais dans les choses spirituelles de rester si sincèrement attaché à la vérité saisie par mon cœur et en particulier à la théologie de la croix et du sang de l’Agneau de Dieu, que je la misse à la base de toutes les autres vérités et que j’en vinsse à rejeter sans délai tout ce que je ne pourrais pas en déduire. Et cela m’est resté jusqu'à ce jourl » Biïdingische Sammlung, i, Vorrede. Ce texte révèle en Zinzendorf un précurseur de V inluitionnisme du cœur en tant qu’opposé à l’intellectualisme desséchant de son siècle. Il sera préservé du déisme et de l’athéisme par le don de son cœur à Jésus.

A l'âge de dix ans, Nicolas-Louis fut placé au Pædagogium piétiste de Halle. Voir Piétisme. Les six ans qu’il y passa furent des années de souffrances cruelles. Trop sensible et trop peu semblable aux autres, il y fut en butte aux brimades de ses condisciples, à l’incompréhension des maîtres. Seul Francke exerça sur lui une bienfaisante influence. Sa première Cène, en 1715, fut la source de profondes émotions. En 1716, sa famille, soucieuse de son avenir terrestre, l’envoya à Wittenberg, pour y suivre des cours de droit. Son tuteur ne lui permit pas de prendre part aux cours de théologie, mais il consacra tout son temps libre à la Bible, à la lecture des œuvres de Luther et des auteurs piétistes. Il aurait voulu, paraît-il, réconcilier le piétisme et l’orthodoxie luthérienne. Mais l’entreprise se révéla au-dessus de ses forces. Pour achever sa formation, son oncle et tuteur le fit voyager (1719-1720). Il vint en Hollande. Au cours de ce voyage, il vit à Dusseldorf un Ecce homo portant cette suscription : Hoc feci pro le, quid facis pro me ? — « Je sentis, écrit-il, que je n’avais pas grand’chose à répondre à cette question et je suppliai mon Sauveur de me forcer à souffrir avec lui, si je n’y consentais pas volontairement. » Il apprit à Utrecht à connaître le calvinisme. Il crut comprendre qu’il y a d’excellents chrétiens dans toutes les Églises et que la « religion du cœur », révélée à son enfance, était la même partout, en dépit des divergences dogmatiques. Cette impression fut renforcée durant son séjour à Paris. Il se lia étroitement avec le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, tout en résistant à ses essais de conversion au catholicisme et il lui voua une profonde vénération. Un peu plus tard, il devait lui dédier une traduction française du Vrai christianisme d’Arndt, l’un des auteurs favoris du piétisme.

Revenant dans son pays, il séjourna en Franconie, au château de Castell, chez une tante, s'éprit de sa cousine Théodora et demanda sa main. Mais, un peu plus tard, ayant appris qu’un de ses amis, le jeune comte de Reuss, prétendait au même mariage, il s’effaçait vertueusement devant lui, en triomphant de la nature. Il rêvait de consacrer sa vie à l’apostolat chrétien et cherchait sa voie. Mais pour obéir aux désirs des siens, il dut entrer dans l’administration saxonne. Le 22 octobre 1721, il était nommé Hofund Juslizrat, Conseiller de Cour et Justice, à Dresde.

Devenu majeur, il employa son patrimoine à acheter à sa grand’mère la seigneurie de Berthelsdorf en Haute-Lusace, et comme il se trouvait patron de la paroisse, il choisit comme pasteur le poète religieux Jean-André Rothe. Enfin, le 7 septembre 1722, il épousait la sœur de son ami, le comte de Reuss, Erdmute-Dorothée. Déjà, à cette date, les frères moraves venaient d’entrer dans sa vie.

II. Restauration des frères moraves.

C'était une histoire étrange que la leur. Les Bômische Brùder, que nous appelons frères moraves, étaient une branche détachée, en 1457, à Kunwald, des utraquistes, dans le but d’imiter de plus près la vie apostolique. En 1467, ils élurent trois prêtres, dont l’un fut sacré évêque par un évêque vaudois nommé Etienne. Un peu plus tard, Luc de Prague († 1528) leur donna leur organisation et devint leur chef. Ils se répandirent rapidement et vers le milieu du xvi 9 siècle, on estime qu’ils formaient presque la moitié de la population de Bohème. On les surnommait alors les Picards. Violemment persécutés par l’empereur Ferdinand I er, ils émigrèrent en masse en Pologne, non sans s’imprégner d’idées luthériennes. La « Lettre de Majesté » de Rodolphe II, en 1609, leur avait permis de revenir en Bohême et Moravie, mais à la suite de la bataille de la Montagne-Blanche, ne 1620, ils avaient dû reprendre leur vie errante. Ils