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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1086

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ZINZENDORF. DOGME DE LA TRINITÉ

jusqu’à l’âge de trente ans, puis, durant un temps très court, a honoré, en qualité de maître, témoin et bienfaiteur, toute l’humanité de sa présence, et finalement a clos toute sa vie et son enseignement, comme martyr, par une mort sanglante et douloureuse, puisque, comme un agneau, sous le couteau du sacrificateur, il a été transpercé par la lance du soldat et si bien immolé que tout son sang a été arraché de son corps et que cette immolation a été le moment précis de la rédemption du genre humain tout entier, en sorte que notre salut et notre douleur sont arrivés à l’instant où la vie est sortie de son corps. » Discurse über die Augspurgische Confession, 21.

Dans le même passage il insiste sur le fait que c’est l’humanité du Christ qui doit nous apporter toute consolation, à la pensée de l’égalité de Jésus avec nous, ou plutôt du soin qu’il a eu de se rendre encore plus faible, plus pauvre, plus souffrant, plus délaissé que nous ne le serons jamais. Sans doute, celui qui ne « sent » pas dans son cœur la beauté de ce dévouement du Christ doit avoir de plus grandes difficultés à y croire qu’à la divinité, car « autour de la divinité, le combat ne sera jamais qu’une subtilité métaphysique, tandis que la lutte autour de l’humanité du Christ est une matière de cœur, Herzens-Materie, et la volonté lutte parce qu’elle n’admet pas volontiers que Jésus ait été aussi corporel et qu’il se soit comporté comme les autres enfants ». Ibid.

Pour lui, Jésus était au contraire l’unique véritable révélation de Dieu aux hommes. Il était vraiment le Dieu proprement réservé aux hommes, le Père des humains, celui que nous invoquons dans le Notre Père, celui à qui nous devons tout : l’être, la nature, le salut. Plus d’une fois Zinzendorf exprime cette pensée qu’il est vain de chercher Dieu dans la nature extérieure, car il n’est, pour nous, que dans l’humanité de Jésus. Le Dieu que nous trouvons dans la nature n’est pas le vrai. Le Dieu des déistes n’est qu’une caricature, une image pâle et sans vie, une abstraction, une chimère. Dans un de ses cantiques si nombreux (environ 2.000 sans grande valeur poétique), il a traduit cette conviction avec force. Le cantique est intitulé Allgegenwart, omniprésence ; il y fait parler Dieu à l’âme humaine de la façon suivante :

Pourquoi ainsi, enfant sans intelligence,
Veux-tu m’extraire de l’abîme ?
Où penses-tu donc que l’on me trouve ?
Me cherches-tu aux pôles du ciel ?
Me cherches-tu dans la créature ?
Mon essence que nul ne contemple
S’est forgée à elle-même un corps
Et tu ne trouves cependant pas ma trace !
Vous, hommes, venez tout près et voyez
Les profondeurs voilées de l’abîme,
La Majesté cachée
En Jésus, l’humble entant ! …

Quant à ses rapports personnels de piété envers l’humanité de Jésus, Zinzendorf ne craignait pas de se donner en exemple à imiter par les siens.

Ce fut toujours mon bonheur de sentir mon Sauveur constamment dans mon cœur. C’est pourquoi tous les élans de mon esprit se portaient vers l’Époux et vont encore à Lui, qui me réconcilie à Dieu. J’avais entendu dire de mon Créateur qu’il était devenu homme. Cela me toucha profondément. Je pensais en moi-même : Si le cher Seigneur n’était plus vénéré de personne, Je veux quand même m’attacher à lui et avec lui vivre et mourir. C’est pourquoi j’ai vécu bien des années à la manière d’un enfant avec lui, je lui parlais durant des heures, comme un ami avec son ami, et bien des fols j’ai parcouru ma chambre en long et en large, plongé en méditation. Dans mes colloques avec lui j’étais très heureux et je lui disais ma gratitude de tout le bien qu’il m’avait fait par son incarnation. Mais je ne comprenais pas assez parfaitement la grandeur et la suffisance des mérites de ses plaies, ni hélas ! de la mort cruelle de mon Créateur. Car la misère et l’impuissance de ma nature d’homme ne m’était pas encore parfaitement découvertes. Je faisais ce que je pouvais pour être heureux jusqu’au jour extraordinaire où je fus si vivement ému de ce que mon Créateur avait souffert pour mol que je versai d’abord mille larmes et que je m’attachai à lui encore plus fermement et m’unis à lui tendrement. Je continuai à lui parler, quand j’étais seul, et je croyais de tout cœur qu’il était tout près de moi. Je répandais de longs entretiens et au dedans de moi résonnaient autant de vérités. Je pensais aussi : Il est Dieu et peut me comprendre sans que je m’explique entièrement : il a le sentiment de ce que je veux lui dire. Souvent je me disais que, pourvu qu’il m’entendît, cela suffisait à me rendre heureux pour ma vie entière. C’est ainsi que j’ai vécu plus de cinquante ans avec mon Sauveur et je m’en trouve tous les jours plus heureux. » Reden an die Kinder, 84e Rede.

Le dogme de la Trinité. — En tout ce qui précède, la théologie catholique aurait à relever plus d’une exagération, plus d’une bizarrerie, bien qu’elle ne soit nullement opposée, bien au contraire, à ce que Zinzendorf appelait la « théologie du cœur ». Mais voici des étrangetés moins admissibles et où apparaît, dans toute son évidence, le danger de ce biblicisme sans contrôle, substitué par la réforme protestante au magistère infaillible et indéfectible confié par le Christ à son Église.

On a vu que Zinzendorf concentrait sur le Christ-Homme toute la force de la foi et de l’amour, au point qu’il ne craignait pas, en dépit de l’indécence de l’expression, de nommer Dieu le Père, notre

« beau-père » ou notre « grand-père ». Dans ses explications

sur la Trinité, il employait un langage qui, sous couleur de parler plus au cœur qu’à l’intelligence, s’éloignait totalement de la tradition chrétienne et du plus simple bon goût. A l’entendre, la Trinité comprenait : le Papa, la Maman et sa Flamme, le Frère ou Agneau (Papa, Marna und ihr Flämmlein, Bruder, Lämmlein). D’après cette théologie qu’on dirait volontairement rabaissée au niveau des enfants et des sauvages, le Saint-Esprit ne procéderait pas du Père et du Fils, comme l’enseignent les conciles et les Pères, mais ce serait le Fils qui procéderait du Père et du Saint-Esprit. Et c’est cela que Zinzendorf prétend appuyer sur le témoignage des Écritures ! Il rapproche à cet effet un texte de saint Jean d’un texte d’Isaïe et il les prend tous deux au sens le plus littéral : En saint Jean : « Et moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre Consolateur, pour qu’il demeure toujours avec vous, c’est l’Esprit de vérité… » Joa., xiv, 16. En Isaïe : « Vous serez allaités, caressés sur les genoux, comme un homme que sa mère console, ainsi je vous consolerai… et votre cœur sera dans la joie ! » Is., lxvi, 12-13. On avouera que la preuve est maigre ! Faire, sur la foi de ces deux textes rapprochés sans raison suffisante, de façon tout arbitraire, du Saint-Esprit la femme de Dieu le Père, c’est tout simplement une inconvenance, une extravagance sans nom. Mais nous allons rencontrer des absurdités et des inconvenances plus grandes encore.

La doctrine de l’enfance spirituelle. — A force de s’appuyer sur le cœur, de vouloir parler au cœur, de tout ramener, en théologie, au sentiment. Zinzendorf s’était fait une. tendance dangereuse à traduire les vérités chrétiennes en termes enfantins qu’il croyait touchants. Pour mieux parler « les abaissements du Christ, il l’appelait familièrement Handwerkgesell, compagnon de travail, Galgenschwengel, gibier de potence, etc. Quand il fut revenu d’Amérique, où il avait connu une humanité plus simple, plus près de la nature, il manifesta de nouveau son désir de voir les frères moraves adopter un langage analogue à celui des sauvages, parler de tout avec une simplicité affectée, à désigner tous les actes de la vie ou toutes les parties du corps tout crûment, sans souci