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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/206

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TYPE ET ALLEGORISME

fournissent, dans le même sens, les faits et les institutions de l’Ancienne Loi. Cf. Dial., xli, sur l’offrande de fleur de farine prescrite en certains cas et qui est expressément donnée comme « la figure » de l’eucharistie.

Tout cela n’allait pas sans amener des exagérations. L’allégorisme va s’installer en maître dans le domaine de l’exégèse du Vieux Testament. En son principe l’allégorisme n’est pas autre chose que la recherche, dans les textes anciens, de ces types, de ces figures, de ces leçons, de ces exemples que le Christ et les apôtres en avaient tirés. Les Écritures, inspirées par Dieu, ont certainement une signification plus haute que celle qui ressort de la lettre même, elles proclament autre chose : ἄλλο ἀγορεύουσιν. Sans écarter l’histoire même que racontent les textes, sans décrier (au moins d’ordinaire) les institutions et les rites consignés dans la législation, on attachera beaucoup plus d’importance à leur signification figurée et, dès lors, à leur interprétation figurative. La grande affaire est de découvrir sous l’écorce de la lettre, laquelle importe peu, la vraie réalité que cette lettre esquissait et qui devait prendre consistance dans l’économie nouvelle. Mais, au lieu de se laisser guider par les exemples qu’avaient donnés le Christ, les évangélistes, les apôtres, on n’hésita pas, en bien des milieux, à se laisser emporter par les fantaisies de l’imagination. L’idée prédominante, en certains cercles, fut que tous les détails, même les plus minimes, du texte sacré, avaient quelque portée figurative, qu’il fallait trouver à tous les événements de l’histoire sainte une correspondance dans l’économie nouvelle, que les prescriptions les plus terre à terre en apparence de la législation mosaïque n’avaient de sens qu’en fonction des institutions, toutes morales, de la Loi nouvelle. Il s’agissait vraiment de « dire autre chose » que ce que fournissait le texte inspiré.

Nulle part cet état d’esprit ne pouvait mieux se développer qu’à Alexandrie où, depuis le temps de Philon (contemporain de Notre-Seigneur), l’allégorisme régnait en maître. À commenter allégoriquement les saintes Lois et non seulement la Loi proprement dite, mais l’ensemble de la Bible, Philon avait consacré toute son activité littéraire. C’était pour lui et pour toute l’école qu’il incarnait une nécessité de l’apologétique. Pour défendre la Bible contre les attaques des milieux païens, assez disposés à prendre avec ironie ou sarcasme les récits et les institutions de l’histoire juive, pour gagner au monothéisme Israélite des âmes que pouvaient rebuter tels détails singuliers ou même scabreux de ces récits, il s’agissait de montrer que l’ensemble du texte sacré recelait tout autre chose que ce que paraissait fournir une lecture superficielle. Sous l’histoire, sous la législation transparaissait une philosophie profonde, un système religieux qui dépassait de beaucoup les plus belles trouvailles des penseurs grecs. À plusieurs philologues de l’époque hellénistique, l’allégorisme avait déjà permis de donner des fables homériques une interprétation rationnelle. Le même procédé fut appliqué aux saintes Écritures par les Juifs alexandrins. La méthode d’interprétation allégorique était fondée. On voit en quoi elle se rapproche et en quoi elle diffère de la méthode d’interprétation typologique. Celle-ci est spécifiquement chrétienne, puisqu’elle pose en principe que l’Ancien Testament ne s’explique complètement qu’en fonction du Nouveau, tandis que des préoccupations toutes différentes ont donné naissance à l’apologétique juive d’Alexandrie. Juifs et chrétiens ont cependant ceci de commun : pour eux, l’essentiel est moins de comprendre la lettre elle-même de l’Écriture que ce que nous dérobe le texte. Pour les uns et les autres le Livre sacré devient un texte hermétique dont il s’agit, avant tout, de saisir la signification profonde.

L’école chrétienne d’Alexandrie ne pouvait qu’accueillir avec faveur des idées où la Tradition chrétienne se reconnaissait. Le plus illustre de ses représentants, Origène, sera aussi le champion le plus vigoureux de l’allégorisme. C’est tout spécialement dans les « homélies » qu’il prononce comme prêtre à Césarée de Palestine, qu’il faut chercher l’application complète du système. En quoi, d’ailleurs, il montre bien sa dépendance par rapport à la tradition ecclésiastique. Au vrai qu’importe, pour la formation religieuse des fidèles, la « vérité historique » des narrations de la Genèse, de Josué, des Juges, des Rois, ou le minutieux exposé de la législation contenue dans l’Exode, le Lévitique et les Nombres ? Ce qui compte, c’est de tirer de tout cela des leçons d’ordre dogmatique et moral ; à quoi excelle notre exégète. Le sens « charnel » n’importe guère, le sens « spirituel » est tout. Sans doute le premier est-il la base du second. Mais, à bien des reprises, le grand exégète laisse tomber définitivement le sens littéral ; à vouloir le maintenir, pense-t-il, on se heurterait à bien des choses qu’il est impossible d’admettre, σχἀνδαλα χαἱ προσχόμματα ἀδύνατα. Il ne faut donc retenir que le sens spirituel. Ce sens peut bien être dit typologique — encore qu’Origène, nous semble-t-il, n’emploie pas ce mot technique — puisqu’il cherche avant tout, sous la lettre, les leçons, les exemples, les vérités qui peuvent servir à l’édification du chrétien. Mais cette typologie n’est qu’un cas particulier de l’allégorie, cette dernière consistant essentiellement à mettre sous la lettre autre chose que celle-ci ne présente pas au premier aspect : ἄλλο ἀγορεύειν. Le tort d’Origène et de tous ceux — ils sont légion — qui l’ont aveuglément suivi a été, délaissant résolument le sens littéral et historique, d’avoir retenu de manière presque exclusive le sens allégorique ; il a été également de vouloir trouver à tous les détails les plus minimes en apparence du texte une signification typologique, à la recherche de laquelle l’imagination s’est donnée libre carrière. L’allégorisme outrancier de l’École d’Alexandrie n’a été que la regrettable exagération du typologisme initial de la tradition chrétienne.

Directe ou indirecte, l’influence d’Origène et de son école fut énorme. Toute l’Église d’Occident l’a subie plus ou moins consciemment ; par saint Hilaire, par saint Ambroise, par saint Jérôme, elle s’est imposée à Augustin et par ce dernier à la tradition occidentale tout entière. Au seuil du Moyen Âge, le pape saint Grégoire le Grand en est profondément touché et son adhésion, qui est totale, prolongera pendant des siècles le retentissement de la méthode alexandrine d’interprétation scripturaire. Il faut attendre la Renaissance du xvie siècle et l’humanisme pour percevoir les premières critiques qui lui soient adressées.

En Orient au contraire l’allégorisme alexandrin rencontra, d’assez bonne heure, une vive opposition. Elle part d’Antioche, sans qu’il soit possible de dire si elle provient de l’école exégétique qui se formait, dans cette ville, autour du martyr Lucien, aux dernières années du iiie siècle. Cent ans plus tard, en tout cas, cette réaction a trouvé ses maîtres en Diodore de Tarse et en Théodore de Mopsueste, qui seront les chefs de file reconnus de l’école exégétique d’Antioche. L’un et l’autre, en des ouvrages théoriques avaient critiqué les modes d’interprétation scripturaire en usage à Alexandrie et proposé leurs vues sur la véritable manière. Ces livres ont disparu, et des commentaires mêmes de Diodore il ne reste que des fragments peu utilisables. En dépit de mutilations considérables, l’œuvre exégétique de Théodore nous reste accessible et nous donne de ses doctrines sur le sens et l’interprétation de l’Écriture une idée suffisante. Voir l’article Théodore de Mopsueste, ci-dessus, col. 248-254. L’Exégète s’est efforcé, somme toute, de faire le départ