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2001

    1. TYRANNICIDE##


TYRANNICIDE. APERÇU HISTORIQUE, SUAREZ

uoo :

Examinant l’hypothèse où il ne serait pas possible à une assemblée nationale de se réunir et de porter un jugement sur le cas de tyrannie, le peuple conserve le droit de s’élever contre l’oppresseur et garde partout et toujours sur lui le droit de vie et de mort. De plus, Mariana se refuse à condamner le particulier qui, répondant aux vœux de la nation, tente de tuer le tyran, à condition que la tyrannie soit évidente et l’opinion publique unanime sur ce point. Op. cit., p. 77. D n’échappe point à notre théologien combien l’illusion peut être facile en la matière ; aussi précise-t-il « qu’il n’appartient pas à un simple citoyen d’apprécier si le prince est tyran ou non ; mais il sera fait appel aux conseils d’hommes sages et éclairés, nisi vox populi adsit ». Cette dernière incise est inquiétante, car, selon Mariana, le critère définitif de la tyrannie du prince ne sera plus réservé à l’appréciation des représentants de la nation ou au jugement des sages, mais abandonné à cet instinct souvent aveugle des foules qu’il appelle vox populi, comme il l’appelait plus haut, « les vœux de la nation », volis publicis favens. On ne saurait sous-estimer les dangers d’une telle théorie quant on connaît d’une part la mobilité de l’opinion publique et d’autre part la difficulté de connaître cette même opinion.

Le VIIe livre du De rege traite une question qui nous fait sourire, aujourd’hui, mais qui était discutée sérieusement à l’époque et avait été posée par un prince de Sicile à l’auteur, alors qu’il était étudiant en théologie dans cette île : An par facilitas sit veneno herbisque lethalibus hostem publicum tyrannumque (idem enim judicium est) occidendi ? Mariana note que le procédé est courant, mais il veut le juger uniquement en regard du droit naturel. Bien qu’il paraisse indifférent de tuer quelqu’un par le fer ou le poison, notre auteur réprouve ce dernier moyen au nom de la piété et de la religion car » il est trop cruel de contraindre un homme à se donner la mort lui-même par l’absorption d’une nourriture ou boisson empoisonnée ». Ibid., p. 84. On sait que Jean de Salisbury avait eu jadis les mêmes scrupules. Mais ce qui étonne davantage c’est que l’auteur ne s’oppose pas à l’usage de poisons mortels appliqués de l’extérieur, sans coopération aucune de celui que l’on veut supprimer, par exemple, un vêtement ou un siège empoisonné. Ibid., p. 85. À ce prix, les lois de l’humanité sont sauves ! C’est quelque peu subtil.

On sait que le De rege, qui avait paru avec l’approbation du visiteur général de la Compagnie de Jésus, fut dénoncé par plusieurs membres de la société et blâmé par le général, tant à cause de son contenu, qu’en raison de l’inobservation des règlements. Cf. Labitte, De jure politico quid senserit Mariana, p. 34 sq. ; Michæl, Die Jesuiten und Tyrannenmord, dans Zeitschr. fur kathol. Théologie, 1892, p. 556. Écrivant dans la catholique Espagne où régnait la paix religieuse et politique, sans risque d’application pratique des théories tyrannicides, l’auteur avait traité la question librement, comme un homme de cabinet. Mais dans des nations agitées comme la France et l’Allemagne, l’ouvrage fit scandale et souleva des tempêtes, qui aujourd’hui encore ne sont point totalement apaisées : l’affaire fut exploitée par les ennemis de l’Église et des jésuites. En fait, Mariana ne fit pas école et ses théories s’influencèrent pas ses contemporains.

La période moderne.

La question du tyrannicide

avait trop agité les -esprits au xvie siècle pour ne pas trouver place dans les traités de morale ou de politique au xvii ». Mais, à cette époque, les jguci ns civiles et religieuses commençaient à s’apaiser et les passions à s’assoupir ; le problème fut posé et résolu avec un peu plus de sérénité.

Voici en quels termes Suarez s’exprime sur ce point : 1. « Contre le tyran d’usurpation la nation entière et chacun de ses membres a le droit d’agir, habet jus contra illum… Ce tyran est un agresseur ; il fait une guerre injuste à la république et à chacun de ses membres ; c’est pourquoi tous ont le droit de se défendre. De virtutibus, disp. XIII, sect. viii, concl. 4, Opéra, éd. Vives, t.xii, p. 759. Sur ce point, Suarez est d’accord avec saint Thomas, comme avec Cajétan, à l’autorité desquels il se réfère. Jean Hus lui-même n’enseigna pas autre chose, mais eut tort d’appliquer cette théorie au tyran de gouvernement ; ce qui lui valut d’être condamné au concile de Constance, sessions vin et xv. On peut voir la doctrine de Suarez exposée en termes identiques dans sa Defensio fïdei, t. VI, c. iv, n. 7. Il ajoute que le tyrannicide ne constitue pas, dans ce cas, un crime de lèse-majesté, car l’usurpateur ne possède pas de vraie majesté et ne mérite pas le nom de prince. Mais il précise en même temps les conditions de licéité du meurtre : si aliter non potest respublica liberari ; c’est-à-dire d’abord si aucun recours à un supérieur, par exemple au suzerain, n’est possible ; ensuite, à condition que le tyran soit encore dans l’acte d’usurpation et avant qu’il soit devenu gouvernement de fait ; il faut aussi que l’usurpation soit publique et manifeste ; enfin, qu’on ne puisse pourvoir au salut et à la liberté du royaume par un autre moyen. Opéra, t. xxiv, p. 677-678.

2. Dans le cas du tyran de gouvernement, Suarez refuse à un particulier ou même à une autorité imparfaite (c’est-à-dire non souveraine), le droit d’attaquer le mauvais prince : ce serait, dit-il, une sédition. Or, les inférieurs n’ont pas le droit d’engager la guerre contre le tyran, mais seulement celui de se défendre. En revanche, la nation tout entière a le droit de s’insurger les armes à la main : ce n’est pas une sédition, car alors la nation est supérieure au prince, attendu qu’elle est censée lui avoir donné le pouvoir pour qu’il gouverne politiquement non tyranniquement, sous peine de déposition. Disp. VIII, de bello, Opéra, t.xii, p. 759. Même doctrine dans la Defensio fidei, t. VI, c. iv, n. 6 : Tune aggredi principem effet bellum contra illum movere privata auctoritate, quod nullo modo licet. Cf. Opéra, t. xxiv, p. 677. Cependant, dans ce même ouvrage, Suarez posant la question précise : An possit rex occidi a privato propler solam tyrannicam gubernationem ? répond en faisant les distinctions suivantes : a) Si le particulier se défend lui-même, il ne lui est pas permis de tuer le prince pour la protection de ses seuls biens extérieurs, car la vie du roi est plus précieuse, sans parler de sa dignité et de l’intérêt de la nation. Mais, si le sujet défend sa propre vie, injustement et violemment attaquée par le prince, alors ordinairement le citoyen pourra se défendre, même si la mort du roi devait s’ensuivre : en effet le droit à la vie est le plus grand des droits et il n’y a aucune nécessité qui oblige le sujet à sacrifier son existence pour un prince qui s’expose volontairement et injustement à la mort. L’auteur souligne l’adverbe ordinairement, voulant excepter le cas où la mort du souverain serait source de troubles dans la nation ou bien l’occasion de graves dommages pour le bien public ; tune cliaritas patrise et boni communis obligaret ad non inlerficiendum regem, etiam cum mortis propriæ discrimine. Ibid., c. iv, n. 5, p. 676. — b) S’il s’agit de défendre l’État, il n’y a pas lieu de permettre l’intervention d’un particulier, sauf le cas d’un roi qui attaquerait aclu la cité pour la perdre, mettrait à mort les citoyens ou commettrait d’autres méfaltl semblables. Alors la résistance pourrait aller jusqu’au meurtre du roi, s’il n’y avait d’autres moyens de défense…, et tout membre de la nation, requis expressément ou tacitement par elle,