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TYRANNICIDE. APERÇU HISTORIQUE, EES CLASSIQUES


pourrait la défendre de son mieux. Ibid., c. iv, n. 6, t. xxiv, p. 676.

Ainsi, Suarez, que certains ont essayé de représenter comme un des apologistes du tyrannicide à la suite de Mariana, cf. Douarche, De lyrannicidio, p. 98-99, n’enseigne rien qui ne soit dans la ligne d’une saine tradition théologique. Les moralistes ses contemporains et ceux du siècle suivant bénéficièrent d’une ambiance apaisée et d’une doctrine stabilisée ; si bien que peu de divergences sont à signaler dans leur enseignement.

Martin Bonacina, un séculier († 1631) n’admet la licéité du tyrannicide que s’il s’agit d’un usurpateur en acte. Quant au tyran de gouvernement, il subordonne son meurtre aux quatre conditions classiques exigées par tous les auteurs. Si un sujet est lié au souverain par un serment de fidélité, il devra le respecter toutes les fois qu’il pourra l’observer sans péché ni dommage pour autrui. Opéra de morali theologia, t. ii, Lyon, 1700, p. 458-459.

Martin Bécan, S. J. (1550-1624) donne une solution analogue : Qui est tyrannus ratione tituli, id est qui absque jure armis principatum vel occupât vel invadit, sicut Turca régna Orientis et vicina, potest a quovis de regno interfici, jure de/ensionis innocentium. Et l’auteur énumère ici les trois conditions de licéité de l’acte vengeur. En revanche le tyran de gouvernement ne peut être mis à mort par un particulier, tant qu’il reste souverain, à moins que le sujet ne soit obligé de se défendre. Si pourtant la tyrannie deve-* nait intolérable et sans remède, il appartient à la nation, aux grands corps de l'État ou à toute autre autorité de déclarer le prince déchu et ennemi du peuple, de sorte qu’il devienne licite pour quiconque de l’attaquer : à ce moment il a cessé d'être le souverain. Summa theol. schol., Lyon, 1683 ; De jure et iustitia, c. lxiv, q. iv, p. 593.

Lessius, S. J. (1554-1625) répond par les mêmes arguments et avec les mêmes réserves à la question : « Est-il permis à un particulier de tuer un tyran ? De justifia et jure, sect. ii, c. ix, dub. 4, dans Migne, Cursus theol., t. xv, col. 596-598. Après avoir cité la réponse négative d’Alphonse de Castro, Liber de hæresibus au mot Tyrannus, l’auteur fait les distinctions habituelles. Le tyran d’usurpation (ratione tituli), par exemple le sultan turc dans l’empire d’Orient, peut être mis à mort par tout sujet du royaume, car ce n’est pas un prince mais un envahisseur et un oppresseur. Or, tout particulier peut, quand il n’y a pas d’autre remède, supprimer un injuste oppresseur de l'État ; cela en vertu d’un double droit : a) droit de défense d’un innocent et, en cette qualité, même un étranger au royaume pourrait agir ; b) droit de vindicte, qui appartient à la nation ou à son chef, pourvu que la vengeance n’excède pas l’injure. L’usage de ce droit exige la possession de l’autorité : en temps de paix il requiert une sentence judiciaire préalable ; en temps de guerre, il est réservé aux soldats. De plus l’auteur exige pour la licéité de l’intervention, la réalisation des trois conditions habituelles : évidence de la tyrannie, consentement ou volonté expresse de la nation, garanties contre des maux plus grands. Le tyran d’administration ne peut être tué par un simple particulier tant qu’il reste le prince, sauf le cas de légitime défense de sa propre vie. Mais, lorsque la nation a décidé en assemblée plénière la déposition du tyran et l’a déclaré ennemi de l'État, alors n’importe qui peut attenter à sa vie, car il n’est plus souverain.

Sylvius, un séculier (1581-1649) est, nous l’avons dit, l'écho fidèle de la pensée de saint Thomas, dans ses Commentarii in II* m -Il m. Cf., 4e éd., Anvers, 1682, p. 421. Il est un des derniers représentants de l'école

scolastique authentique sur le point précis qui nous occupe. Les solutions données par les théoriciens de l'École s’appuient sur deux supposés : d’abord la délégation du pouvoir au prince par le peuple et le retour du pouvoir à la communauté, dès que le souverain ne remplit plus son mandat et ne procure plus le bien commun ; ensuite l’organisation politique de la nation telle qu’elle était réalisée au Moyen Age et même à la Renaissance : l'État est monarchique, mais, à côté du roi, il y a une classe dirigeante, la noblesse, et aussi des organismes qualifiés, parlements ou assemblées, qui représentent la nation et peuvent, en son nom, juger le tyran. De plus, audessus du roi, il y a encore l’autorité de l’empereur, qui est comme le suzerain auquel on peut faire appel dans les conjonctures graves de la nation. Mais ce système politique ayant été remplacé par la monarchie absolue d’abord, puis par la monarchie constitutionnelle ou par la démocratie, les solutions des scolastiques devront, pour rester justes, être adaptées en tenant compte des modifications survenues.

On ne sera pas surpris que Bossuet (1627-1704) n’ait pas soulevé dans sa Politique la question du tyrannicide : la chose s’explique d’une part par le respect souverain qui à cette époque entourait la royauté en France, et d’autre part par le but même de l’ouvrage, qui était destiné à l'éducation du dauphin. Malgré ce silence, la pensée de l’auteur ne saurait faire de doute ; lui qui n’admet aucun droit de révolte et ne tolère que des « remontrances sans mutinerie ni aigreurs » à l'égard du souverain, t. VII, a. 2, prop. 6, ne saurait légitimer le tyrannicide sous aucun prétexte. Pour lui, en toute hypothèse, « la mort du prince est une calamité publique », et un homme de bien doit « préférer la vie du prince à la sienne propre. Ibid., a. 1, prop. 5 et 6.

Pontas, un séculier (1638-1728), dans son fameux Dictionnaire des cas de conscience, rappelle le décret de Constance, sess. xv, sur le tyrannicide et l’ordonnance de la Chambre ecclésiastique des États, qui renouvela ce décret. La doctrine du tyrannicide est qualifiée de « monstrueuse », sans nuance ni distinction. Cf. Abrégé du Dictionnaire, par l’abbé Collet, t. ii, Paris, 1764, col. 546-547.

Au XVIIIe siècle, le dominicain Daniel Concina (1676-1756), qui fut le vigoureux antagoniste des casuistes relâchés, proscrit sans hésiter le meurtre du tyran de gouvernement : tyrannos de regimine nemini licitum est occidere. Cependant, au sujet du tyran qui attente à la vie d’un particulier, il donne des réponses intéressantes. Il pose d’abord en principe que nul n’est strictement tenu de se défendre, sauf dans deux cas : si l’attaqué est lui-même en état de péché mortel, et si sa vie est plus utile à l'État que celle de l’agresseur. Puis, reprenant l’opinion émise par Soto, à savoir qu' « une personne vile ou sans fonction dans l'État doit subir la mort plutôt que de tuer l’agresseur, si c’est un roi, prince ou autre personnage utile à l'État », l’auteur déclare sans ambages : Hœc Soli sententia mini sane non arridet, nec probatur. Hominis quippe innocentis vita suapte natura melior est vita hominis sont is, tametsi principis. Et il ajoute trois raisons pour confirmer son sentiment : l’ordre dans la charité, l’intérêt de l'État, qui préfère l’innocence à l’iniquité, et enfin l’instinct de défense de sa propre vie. Theol. christiana dogm. et mor., t. VI, de homicidio, c. v, § 1 et 2, t. iv, Rome, 1773, p. 179-180.

Un autre dominicain, Billuart (1685-1757), adopte les solutions classiques sur les deux genres de tyrannie. L’usurpateur, non encore accepté par la nation, peut être tué par un simple particulier, lorsque sont réalisées les quatre conditions habituelles. Mais il