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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/255

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UBIQUISME. LUTHER


tout comme, dans l’incarnation, la divinité et l’humanité sont unies dans la même personne. Cf. Captivité de Babylone, De sacram. partis, et Vom Abendmuhl Christi, Bekenntnis, éd. cit., t. vi, p. 508 ; t. xxvi, p. 507. On sait qu’une théorie analogue avait été proposée au Moyen Age par quelques auteurs combattus par Alger de Liège et Guitmond d’Aversa. Voir Eucharistie, col. 1286. L’impanation fut vraisemblablement aussi professée par Rupert de Deutz, voir t. xiv, col. 199-202. Ce qui ne signifie pas, comme l’insinuent cependant certains théologiens protestants, que la doctrine de l’impanation était commune dans l’enseignement catholique avant le xiii c siècle.

Le point de départ de l’enseignement de Luther touchant l’ubiquité du corps du Christ est marqué dans ses premières discussions sur la présence réelle avec Zwingle et Œcolampade, à coup sûr pas avant 1525, vraisemblablement dans son écrit Wider die himmlischen Prophcten, où il insinue déjà que le Christ « tient tout en main et remplit toutes choses ». Éd. cit., t. xviii, p. 62 sq. Sur la querelle sacramentaire entre Luther et ses adversaires Zwingle, Karlstadt et Œcolampade, voir Sacramentaire (Controverse ), t. xiv, col. 442-463. Mais l’enseignement ubiquiste est formel dans le sermon Vom Sakrament des Leibes und Blutes Christi (29 mars 1526, éd. cit., t. xix, p. 482 sq.) ; dans l’écrit polémique contre Zwingle et Œcolampade, Dass dièse Worte, das ist mein Leib noch festslehen (mars 1527, t.xxiii, p. 28 sq.) et dans Vom Abendmahl Christi, Bekenntnis (1528, t. xxvi, p. 261 sq). On le retrouve dans la position adoptée par Luther lors de la rédaction des articles de Schwabach (16 octobre 1529). Voir Sacramentaire (Controverse), col. 457. Luther défend la présence réelle au double point de vue exégétique et dogmatique. C’est dans l’exposé dogmatique que l’ubiquisme prend place. En même temps, en effet, que Luther enseigne la réalité du corps dans l’eucharistie, il se défend de donner à la présence réelle une signification matérielle. C’est bien la chair et le sang du Christ qui se trouvent dans le pain et dans le viii, mais le corps du Christ « est né de l’Esprit et il est saint ; aussi ne doit-il pas être viande, mais esprit ». Dass dièse Worte…, p. 201. Reprenant certaines expressions déjà rencontrées au ixe siècle, Luther proclame le corps eucharistie du Christ « chair spirituelle », ibid., p. 205, 206 ; possédant « une essence surnaturelle », ibid., p. 215. De ce concept de « chair spirituelle », Luther déduit deux propriétés. Tout d’abord, toutes choses deviennent ainsi présentes au corps du Christ qui peut les pénétrer « sans y faire de trou », comme le corps glorieux du Sauveur pénétra, portes closes, dans le Cénacle. Voir Vom Sakrament…, éd. cit., t. xix, p. 480 ; Dass dièse Worte…, t. xxiii, p. 147. Ensuite, le corps du Christ peut être présent tout entier dans la plus petite parcelle de pain ; le pain peut être rompu, partagé ; le Christ n’est pas atteint pour autant et demeure sous chaque parcelle tout entier. Vom Abendmahl, Bekenntnis, t. xxvi, p. 448 sq. C’est un mode d’être propre aux esprits et qui permet aux anges comme aux démons d’être présents en plusieurs endroits simultanément. C’est la présence selon un esse définitive, telle que l’avait enseignée Occam.

Pour expliquer la multiprésence du Christ, au ciel et dans les hosties, sans changement ni altération en son corps, Occam avait recouru à la toute-puissance divine. Luther, à maintes reprises, invoque aussi cet argument. Voir surtout le sermon Vom Sakrament des Leibes, p. 487, 489, 490 sq., 493. Dieu veut qu’il en soit ainsi et nous devons le croire, car ce miracle ne lui est pas impossible. Ibid., p. 495. Mais Luther va plus loin. Ses adversaires lui objectaient que le Christ

ne peut être corporellement à la fois au ciel et dans l’eucharistie. Dass dièse Worte…, p. 119. Aussi veut-il s’élever de l’esse définitive à l’esse repletive, de la multiprésence à l’omniprésence et, à cette fin, il a recours à l’interprétation symbolique de la « droite de Dieu » et à la communication des idiomes. La « droite de Dieu » ne saurait être entendue en un sens local et déterminé. Luther, après saint Augustin, l’avait cependant ainsi interprété dans ses premiers écrits sur les psaumes (1513, éd. cit., t. iv, p. 227 sq.). Mais désormais la « droite de Dieu » signifiera la toute-puissance divine, laquelle ne connaît aucune limite dans le temps et dans l’espace. Luther peut donc raisonner ainsi : le corps du Christ est à la droite de Dieu ; or la droite de Dieu est partout jusqu’aux extrémités du monde — et donc dans le pain — donc le corps du Christ est aussi dans le pain. Dass dièse Worte…, p. 143. En conséquence l’explication par la transsubstantiation est inutile. Ibid., p. 145. Pour confirmer cette conclusion, il recourt à l’article fondamental de la christologie : en Jésus-Christ, les deux natures sont unies en une seule personne. L’unité de personne exige que l’humanité du Christ participe à l’omniprésence de la divinité : necesse habes quod Jésus Christus sit juxta humanitatem super omnes creaturas collocatus et omnia impleat ; non pas que cette omniprésence soit naturelle à l’humanité dont l’être sera toujours, par lui-même, circonscrit localement ; mais elle lui est surnaturellement communiquée. Ainsi la communication des idiomes comporte — surnaturellement — la communication de l’omniprésence.

Mais alors — et c’est là l’une des grandes objections des adversaires de l’ubiquisme — par suite de son union avec la divinité, le corps et le sang du Christ seront donc dans toutes les créatures, dans n’importe quel pain ou quel viii, et le chrétien mangera ce pain et boira ce sang en prenant n’importe quelle nourriture ou boisson. Luther a prévu l’objection. Vom Sakrament…, p. 492 ; Dass dièse Worte…, p. 138140. Sa réponse tient en une distinction subtile : sans doute, en vertu de la communication de l’omniprésence divine, le corps du Sauveur est en toutes choses, mais il ne s’y trouve présent, pour être pris par les chrétiens, que si Dieu le veut. Autre chose est que Dieu soit là, autre chose qu’il soit là pour nous. Et c’est seulement dans l’eucharistie que la parole du Christ nous présente sa chair à manger. Dass dièse Worte…, p. 149-151. Un pareil effugium revient, en somme, à la réponse d’Occam, plaçant dans la volonté divine, la raison suprême de l’ubiquité de la chair du Christ.

Si l’on voulait résumer la doctrine de Luther, comme on l’a fait plus haut pour celle d’Occam, il faudrait dire que Luther admet, pour le corps du Christ, trois sortes de présence : 1. une présence localement circonscrite (esse circumscriptive ou localiter), propre au Christ durant sa vie mortelle et quand il reviendra à la fin du monde ; 2. une présence localement définie (esse définitive), à la manière dont les esprits sont présents, lorsqu’il traversa la pierre du tombeau ou les portes du cénacle ; et selon cette présence il se trouve dans l’hostie ; 3. une présence réplétive (omniprésence) participée de la divinité en raison de l’union personnelle de sa nature humaine à sa divinité et de sa session à la droite du Père, sans toutefois que cette omniprésence nous permette de saisir le Christ ailleurs que dans l’eucharistie. Et, dans sa science infinie, Dieu peut connaître encore d’autres modes possibles de présence. Vom Abendmahl, Bekenntnis…, p. 448 sq., pass.

2. L’attitude négative des autres réformateurs.

En face de l’ubiquisme luthérien, les positions de Zwingle et de Calvin sont faciles à préciser.