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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/256

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UBIQUISME. LA CONTROVERSE


Zwingle déclare sans ambages que l’ubiquité du corps du Christ ne repose sur aucun fondement sérieux. La session de l’humanité à la droite de Dieu est purement locale. La communication des idiomes ne supprime pas la différence des deux natures. Pour le Christ même glorifié il ne peut y avoir d’esse repletive ni même d’esse définitive : le corps du Christ demeure localement circonscrit dans le ciel comme il l’est sur la terre. Arnica exegesis, iii, 525 ; iv, 52. Voir aussi Commentarius de vera et falsa religione ; Subsidium sive coronis de eucharistia. Sur cette doctrine eucharistique de Zwingle, voir Réforme, t. xiii, col. 2070-2071 ; Sacramentaire (Controverse), t. xiv, col. 453-454 ; et Zwingli.

Avec sa théorie de la présence virtuelle, Calvin évite la contradiction que Zwingle reprochait à l’ubiquisme luthérien dont il rejette expressément l’idée et la formule : » Comme nous ne doutons pas qu’il (Christ) n’ait sa mesure comme requiert la nature d’un corps humain et qu’il ne soit contenu au ciel, auquel il a esté receu iusques à tant qu’il viendra au iugement ; aussi nous estimons que c’est une chose illicite de l’abbaisser entre les éléments corporels ou imaginer qu’il soit partout présent. » Inst. chrét., IV, xvii, 13. Toutefois, ajoute Calvin, si le corps et le sang du Christ ne sont présents en aucune manière par leur substance, même dans l’eucharistie, ils y sont présents par leur vertu sanctificatrice, puisque, par les symboles du pain et du viii, le Christ s’offre au croyant avec la vertu sanctificatrice de son corps et de son sang véritables. Ibid., n. 32. Voir ici t. xiii, col. 2075.

Quant à Mélanchthon, sa pensée est moins facile à préciser. Elle suit une courbe parallèle à son sentiment sur la présence réelle. On a dit, t. x, col. 509510, comment Mélanchthon s'était peu à peu séparé de Luther sur ce dernier point. Il accepte donc d’abord l’ubiquité de l’humanité du Christ, sans toutefois y voir la raison nécessaire de la présence eucharistique. Corp. reform., t. i, p. 949. Puis, au fur et à mesure qu’il se rapproche des sacramentaires, il conteste le bien-fondé de l’ubiquisme. Cf. Corp. reform., t. vii, p. 780, 884 ; t. viii, p. 385 ; t. ix, p. 387, 962. En 1540, l'évolution est terminée : rejetant expressément l’ubiquisme, Mélanchthon en vient à professer la session locale du Christ ad dexteram Dci. La communication des idiomes n’est plus une communication réelle des propriétés d’une nature à l’autre, mais une attribution personnelle des propriétés, comme Calvin le professe lui-même, Inst. chrét., II, xiv, 1-3. C’est, au fond, l’idée même que s’en fait la théologie catholique.


II. La controverse.

Chez les luthériens, depuis Schwabach, l’ubiquisme était devenu un dogme. Mais la véritable controverse ubiquitaire n'éclata que plus tard.

Le synode de Stuttgart (1559) et l’intervention de Brenz.

En 1557, le duc luthérien Christophe de Wurtemberg décide de réduire tous les « sectaires », les « partisans d’erreurs détestables », de les exiler et de confisquer leurs biens. Mélanchthon lui-même lui devint suspect, « car, écrit-il, à Wittenberg, à Leipzig, s'élèvent toutes sortes de disputes sur l’ubiquité ; il est à craindre qu’il ne s’y glisse un calvinisme subtil et Philippe [Mélanchthon] n’en est peut-être pas exempt. » Cf. Kagler, H. Christoph, Herzog zn Wittenberg, Stuttgart, 1868-1872, t. ii, p. 153-168. On enseignait, en effet, que « le Sauveur, selon son humanité, était assis à la droite de Dieu son Père céleste, d’une manière locale, et qu’il occupait un espace ». Presse !, Anecdotn Brtntiana, Tubinguc, 1868, p. 462-464. C'était là, on le sait, l’argument principal des sacramentaires contre la présence réelle.

Un synode se réunit (1559) à Stuttgart, sous l’inspiration du duc Christophe. Brenz y rédigea sa profession de foi, laquelle fut contresignée par l’assemblée : la doctrine ubiquitaire relative à l’eucharistie y était consignée comme un article intéressant la foi. Ce fut le signal d’une polémique où, contre Brenz, prirent position Bullinger et Pierre Martyr. Brenz publia alors, en faveur de l’ubiquisme, plusieurs écrits, aujourd’hui insérés au t. viii de ses œuvres, Tubingue, 1561 : De personali unione duarum naturarum, p. 834 sq. ; Sententia de libello Bullingeri, etc., p. 868 sq. ; De majestale D. N. Jesu Christi hominis, p. 891 sq. ; Recognitio proph. et apost. doctrinæ, p. 976 sq.

Dans le De majestate, il résume en une phrase tout le fondement de son système : Cum enim in Ecclesia fit sermo de incarnatione Christi, non solum dicitur duas naturas in Christo esse personaliter unitas, verum etiam dicitur humanitatem esse assumptam in Deum et Christum hominem conscendisse ac elevatum, exaltatum et evectum esse in majestatem Dei adeoque factum esse Deum. Il y a donc un double fondement à l’ubiquité du corps du Christ dans l’eucharistie : l’union hypostatique et l’assomption de l’humanité par la divinité, c’est-à-dire plus expressément, sa déification. Pour Brenz, l’union personnelle est qua Deus et homo in una persona Christi ita conjuncti sunt, ut nullo loci spatio a se invicem separari queant. De personali unione, p. 841 sq. ; cf. De majestate, p. 900 sq. Cette union personnelle est réalisée par la toute-puissance divine sans préjudice de la distinction et de l’indépendance des deux natures : il n’y a donc ni absorption de l’humanité par la divinité, ni dédoublement de la personne. Ibid., p. 834-837 ; cf. ibid., p. 902-904. C’est en vertu de cette union que tous les auteurs proclament la communication des idiomes entre la nature divine et la nature humaine, communication d’où résulte un échange réel des propriétés spécifiques des deux natures, y compris l’omniprésence divine.

Mais alors, la nature humaine ne risque-t-elle pas de perdre son être ? — Non, répond Brenz, en distinguant qualités substantielles et qualités accidentelles : res non totlitur cum accidens tollitur. Or, être en un lieu n’est, dans la nature humaine, qu’un simple accident. Cette qualité peut être absente de la nature humaine et y être remplacée par une propriété divine sans que, pour autant, la nature humaine du Christ soit altérée. Ibid., p. 837 ; cf. p. 934. Et le propre de la nature humaine dans le Christ, c’est précisément, à la différence des autres hommes, d’avoir la capacité de recevoir ainsi toutes les propriétés divines :

La différence entre le Christ et Pierre doit être conçue non pas simplement du fait de l’inhabltation du Fila de Dieu, mais de la communication de ses propriétés. Le Fils de Dieu, en effet, remplit de son essence Pierre comme il remplit le Christ-homme, et cependant il ne communique pas à Pierre toutes ses propriétés, mais seulement quelques-unes. Il vivifie Pierre ; il lui conserve la vie ; il donne à Pierre le pouvoir de chasser les démons ou même de ressusciter les morts. Mais il ne le rend pas pour autant tout-puissant, omniscient, infiniment sage et juste et présent partout ; tandis qu’il orne le Fils de l’homme, non de quelques-unes de ses propriétés, mais de toutes s : ms exception. De majestate.

La faiblesse de la position de Brenz est de considérer l’esse in loco comme une qualité séparable de la nature humaine. Pour faire admettre cette thèse, il bataille à coup d’arguments métaphysiques et fiimlr ment il est obligé de recourir à la toute-puissance divine, à laquelle, déclare-t-il, ses adversaires refusent de croire ; cf. p. 833, 837, 899, 902, 905. 920 sq.. En bref, la communication des idiomes explique l’ubiquité et l’ubiquité explique la présence réelle. Toute-