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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/410

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USURE. L’ÉPOQUE CLASSIQUE, THÉORIE GÉNÉRALE

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déclare aussi vicieuse. Op. cit., c. vii, § 1. On trouvera le dernier état de la théorie de la spes au xve siècle dans la q. v de Panormitanus et dans G. Biel, op. cit., p. 400.

Est-ce à dire que l’emprunteur est quitte en remboursant le capital ? Certains canonistes le grèvent d’une obligation naturelle (naturalitcr debilor est illi obligatus ad antidora), qui ne peut être novée en obligation civile, même limitée au cas de misère éventuelle du prêteur. Les théologiens marqueront que la gratitude n’est pas un devoir juridique, mais un sentiment privé. Saint Thomas, loc. cit., a. 2, ad 2um ; Durand de Saint-Pourçain, loc. cit., ad 2um. Ce que l’emprunteur donne spontanément (gratis dans) sera la propriété légitime du prêteur. Innocent III, P. L., t. ccxv, col. 7f16. Mais il y faut une spontanéité complète et dont l’emprunteur ne puisse clouter. Saint Antonin, op. cit., c. vi, § 6 et 7.

Lieux et motifs de la condamnation.


La condamnation de l’usure s’appuie sur l’autorité sacrée, la morale naturelle, l’ordre social, les droits positifs.

1. Autorité sacrée. —

L’autorité fondamentale est celle des Écritures. Saint Luc fournissait le meilleur texte. Cependant, le Christ ne se borne-t-il pas à conseiller l’abstention ? Oui, en ce sens qu’il vise une opération qui n’est pas obligatoire : mais il oblige tous les prêteurs à mettre leur espoir en Dieu seul. Saint Thomas, Sum. theol., loc. cit., a. 1, ad 4um. Quant au texte redoutable du Deutéronome, il signifie l’exclusion de peine légale et non de péché mortel, Robert de Courçon, op. cit., p. 7, ou la licence de pressurer l’infidèle, dont la terre appartient aux orthodoxes. Guillaume d’Auxerre, op. cit., fol. 244. Au sens littéral, la permission divine s’explique, comme la liberté de répudiation, par deux nécessités : empêcher l’exploitation des propres congénères, tolérer des imperfections chez des hommes durs comme marbre, qui ne faisaient que préparer la Loi nouvelle. Guillaume d’Auxerre, loc. cil. L’étranger n’existant plus dans 19 chrétienté, où tout homme est notre prochain, notre frère, l’usure est toujours condamnée. Saint Thomas, ibid., a. 1, ad 2um.

2. Morale naturelle. —

L’emprunteur, au regard des théologiens, est un homme dans le besoin. Ce qu’il demande, c’est un acte de miséricorde ; d’où le caractère évident de gratuité. Duns Scot, In / V’UI " Sent., disi. XV, q. ii, n. 26. Le prêteur ne peut, tout au plus, réclamer qu’un équivalent. Saint Thomas, Surnma theol., loc. cit., a. 1, ad 5um. Si l’emprunteur a promis i davantage, la nécessité seule l’y a contraint. Ibid., ad 7° m.

La première cause d’injustice est que l’usurier vend ce qui ne lui appartient plus, l’usage de la chose dont il a transféré la propriété. S’agit-il d’un bien con-ROmptible : il a péri par cet usage ; d’argent : on a détourné de sa fonction ce pur instrument d’échange. En toute usure, il y a inadsequalio. Ainsi est justifiée la différence entre muluum et locatio. Le loueur reste propriétaire : il peut donc exiger une somme pour l’usage de son bien. D’autant plus équitablement que le locataire tire profit de la chose, tandis que le mu liiiiin aboutit à une consommation immédiate ou au maniement de monnaies. Enfin, la maison louée subira quelque détérioration, le cheval loué supportera quelque fatigue, tandis que l’emprunteur restituera l’exact équivalent. Saint Thomas donne a cet argument sa forme classique : …il y a des choses dont l’usage Implique consommation : le vin se consomme par son usage, qui est d’être t>U, et le froment par le sien qui est d’être mangé. Dans les choses de cet ordre.

On ne doit pas supputer a pari l’usage de la chose et la chose elle-même ; dès que vous en concédez l’usage, c’est par le fait la < -luise même que olis concèdeL par suite, en ces matières, tout prêt implique transfert de propriété. Par conséquent, celui qui voudrait vendre séparément, d’une part, son viii, d’autre part, l’usage de son viii, celui-là vendrait la même chose deux fois, autrement dit vendrait une chose qui n’existe pas, ce qui serait visiblement pécher par injustice. Par la même raison, c’est commettre une injustice, quand on prête du vin ou du froment, que d’exiger double redevance, à savoir la restitution d’une même quantité de la même matière, et d’autre part le prix de l’usage, ou comme on dit une usure. » Loc. cit., a. 1, resp., trad. Blaizot, dans P. Gemàhling, Les grands économistes. Voyez aussi le Quodlibet iii, q. vii, a. 19.

La seconde injustice de l’usurier, c’est qu’il exploite deux biens qui ne lui appartiennent point : l’activité de l’emprunteur, seule cause véritable du « rendement » des objets prêtés et le temps, qui n’appartient qu’à Dieu.

Enfin, comment prétendre que l’argent, chose nonfrugifère, puisse engendrer un gain ? Cette raison qu’avait proposée Aristote, fut invoquée par les théologiens après la traduction de l’Éthique et de la Politique. Saint Thomas souligne la fonction de la monnaie, instrument d’échange, au moyen duquel on peut bien acquérir d’autres biens, mais par le travail de l’homme. Sum. theol., loc. cit., a. 1, ad G um et a. 3, ad 3um. Cf. L. van Roey, La monnaie d’après saint Thomas d’Aquin…, dans Rev. néo-scol., 1905, p. 2754 et 207-238. …pecunia quantum est de se per seipsam non fructificat, sed jructus vaut aliunde, déclare saint Bonaventure, In III m " Sent., disl. XXXVII, dub. vu ; cf. Comment, in ev. Luc, c. vi, n. SI. L’argument prendra toute sa vigueur sous la plume de Gilles de Lessines, op. cit., c. iv : la monnaie a pour fonction de satisfaire nos besoins, par la multiplication des échanges, et non d’accumuler les trésors, par une génération et une intention contre nature : « …au lieu de transférer les biens nécessaires à la vie, on accumule avec un esprit avare. > En adoptant peu à peu — car saint Thomas l’avait sur ce point affadi — le finalisme aristotélicien, les scolastiques ne font que décorer une doctrine depuis longtemps fondée sur les Écritures, la loi et la coutume. G. Lefèvre, op. cit., p. m et iv, réduit justement, contre Ch. Jourdain, l’apport aristotélicien à la construction théologique.

A cette triple argumentation, aucune réplique valable. Le dommage du prêteur ? Rien n’empêche d’en prévoir dans un pacte la réparation. Saint Thomas, loc. cit., q. lxxviii, a. 2, ad l um ; Durand de Saint-Pourçain, In /// um Sent., dist. XXXVII, q. ii, ad l um. Le risque d’insolvabilité de l’emprunteur ? Il faudrait alors légitimer, contre Grégoire IX (Décrétâtes, t. V, til. xix, c. 19) le naulicum fœnus. À la vérité, le risque dont on tiendra compte est celui que court l’emprunteur. S’il perd la chose prêtée, il ne la devra pas moins. C’est même la raison qui détermine Pierre de Tarcntaisc à déclarer l’usure contre le droit naturel, dans un de ses quodlibets, édité par 1’. Glorieux, Le quodlibet de P. de Tarentaise, dans Re cherches de théologie ancienne et médiévale, t. ix. 1937, p. 251.

3. Cadre social

L’Église redoute les perturbations de la structure sociale, trop d’hommes abandonnent leur élat pour se faire usiniers. III-eonc. du l.atran, can. 25= Décrétâtes, 1. Y. til. xix, c. 3. trop de biens tombent aux mains des Juifs, qui Uniront par priver les églises de dîmes et d’oblations. [V COnc. du I. alran. can. (17 Décrétâtes, I. Y, lit. xix. e. 18 ; M" eonc. de l.yon, can. 26 Sr.rle. 1. Y. lit., c. I. Sur ces deux thèmes fournis par les conciles ucinnéni ques, les canonistes font mille variations. Innocent IY et llosliensis redoutent la désertion des campagnes