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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/411

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2351 USURE. L’ÉPOQUE CLASSIQUE, GÉNÉRALITÉ DE LA PROHIBITION 2352

par les laboureurs devenus prêteurs ou bien privés de bétail et d’instruments par des propriétaires qui préféreraient les gains plus considérables et moins incertains de l’usure. Ainsi les pauvres (car les riches se tirent mieux d’affaire) seraient exposés à manquer de pain. Les usuriers forment une classe maudite, prosternée devant le veau d’or. Leurs victimes font une autre classe, aussi dangereusement accroupie dans la misère. L’argument majeur contre l’usure, c’est que le travail constitue la véritable source des richesses. « Que chacun mange le pain qu’il a gagné par son effort, que les amateurs et les oisifs soient bannis », réclame Robert de Courçon, op. cit., p. 35. La seule source de richesse est le travail de l’esprit ou du corps. Il n’y a d’autre justification du gain que l’activité de l’homme. Tel est le principe fondamental de l’économie chrétienne au Moyen Age.

4. Droits positifs.

Cependant le droit positif des peuples chrétiens n’autorise-t-il point l’usure ? François de Mayronnes remarque : elle est exclue seulement de jure supernaturali. Tel n’est point l’avis de tous les théologiens ni de tous les maîtres des deux droits. Les lois romaines autorisant l’usure ne sont-elles pas effacées par la déclaration de Justinien dans l’Authentique Ut clerici, qui subordonne les lois aux canons et par sa réception des quatre conciles œcuméniques, dont le Corpus contient le can. 17 de Nicée ? Raymond de Peiiafort, loc. cit., § 10. Si les empereurs chrétiens ont supporté l’usure, c’est pour en limiter les méfaits, par une application de la doctrine du moindre mal (permissio comparativa). Guillaume d’Auvergne, loc. cit., fol. 245 ; pour l’utilité d’un grand nombre, Saint Thomas, loc. cit., a. 1, ad 3um ; ou bien pour sanctionner le retard de la restitution. Les romanistes acceptent en général les conclusions des canonistes. Mais il leur arrive aussi de les discuter. Jacques de Revigny présente leurs objections, dans sa Somme, fol. 193.

Nature du péché.

L’usure est un péché. Affirmer

le contraire, c’est tomber dans l’hérésie : telle est la déclaration du concile œcuménique de Vienne. Clémentines, t. V, tit. v, c. 1 (Ex gravi). Le soin que prennent des auteurs personnels comme Balde et Zabarella de définir la portée des propos tenus dans le public au sujet des usuriers prouve assez qu’à la fin du Moyen Age, l’opinion était indulgente ou badine. Clément V voulut la rectifier par la menace de l’Inquisition.

1. Catégorie.

L’usure appartient à la catégorie des délits contre les biens. Elle est fille de l’avarice. Summa angelica, au mot Avaritia, n. 4 : ipsa furtum, rapinam, usuram… parit. Gérard d’Abbeville l’associe à la cupidité dans son quodlibet xix, q. viii, ms. SI de la Bibl. de Dôle, fol. 223, -231. Librement prévue, dans un pacte et comme récompense, elle se distingue du furtum, qui s’accomplit malgré le propriétaire, par fraude et sans esprit de restitution. Albert le Grand, In 77/- » Sent, dist. XXXVII, a. 13. Tous ces caractères la différencient de la rapine et cependant, c’est dans la catégorie des rapines qu’elle est logée par saint Ambroise dont Gratien reproduit les expressions, cause XIV, q. iv, c. 10, et par Pierre Lombard, t. III, dist. XXXVII, c. iv. Mais la glose ordinaire de Jean le Teutonique admet que rapina, dans le texte ambrosien, signifie toute usurpation injuste. Et Gilles de Lessines, op. cit., c. iv, montre bien que, à la différence de la rapine, comme du furtum, l’usure invoque un certain fondement d’équité et d’utilité qui n’a pas été sans impressionner le législateur séculier.

2. Gravité.

La gravité du péché est définie dans l’Ancien Testament et par les Pères. Ézéchiel, xviii, 8 et 13, énumérant les péchés qui tuent l’âme, porte

l’usure. Et saint Ambroise déclare : celui qui reçoit l’usure perd la vie, texte rapporté par Gratien. Cause XIV, q iv, c. 10. Les théologiens n’hésitent donc point à placer l’usure dans la catégorie des péchés mortels, après examen des vingt arguments contraires que relève saint Thomas, au De malo. « Sans aucun doute, écrit Albert le Grand, l’usure est un péché mortel et le fut toujours, dans la loi naturelle et dans la loi écrite. » In III™* Sent, dist. XXXVII, a. 13. Outre l’Écriture et les Pères, la raison indique cette solution, puisque l’usure contredit l’ordre du monde, en détournant de sa fin l’usage des choses. Gilles de Lessines, op. cit., c. iv. Elle blesse la justice naturelle. Saint Thomas, De malo, q. xiii, a. 4.

Son caractère aggravant, c’est la continuité. Saint Antonin développe ce grief, op. cit., c. vi, § 3 : il s’agit d’un péché constant, sine intcrpolatione. Guillaume d’Auxerre le tient pour plus grave que l’homicide, op. cit., fol. 244 : Dare ad usuram et in se et secundum se peccatum est. L’homicide n’est mauvais que de se : la justice le rend parfois légitime. Au contraire, l’usure ne peut jamais être justifiée, pas plus que la haine de Dieu. Astesanus prouve son appartenance à la catégorie du secundum se par des raisons tirées de la fonction de l’argent, du muluum et de la propriété. Loc. cit., fol. 117. Dès ce monde, les exempta représentent l’usurier comme vivant dans la compagnie des démons, qui protègent sa personne et ses biens. Tabula, p. 19, 22, 82, 83.

3. Exclusion de la dispense.

Puisque l’usure est interdite par Dieu même, aucune dispense ne saurait être accordée. Une décrétale d’Alexandre III posait le principe, Décrétâtes, t. V, tit. xix, c. 4 (Super eo). Bertachini renvoie pour la doctrine à un « ’excellent Conseil » d’Antonin de Prato. Voyez les principes généraux dans J. Brys, De dispensatione…, Bruges, 1925.

Condition des biens usuraires.

Le versement

des deniers usuraires occasionne tout un cycle de difficultés qui eurent grand intérêt pratique, à cause des répercussions économiques des opérations condamnées.

1. Deniers usuraires.

Tout de suite, surgit un doute nécessaire : les objets remis à titre d’usure sont-ils la propriété de l’accipiens ? Ce point a soulevé d’interminables discussions : quodlibets ii, de Jean Peckham (1269), iv et xiii de Godefroid de Fontaines (1287 et 1296), articles entiers des commentaires sur les Sentences : par exemple, Albert le Grand, loc. cit., a. 14.

Une réponse négative semble dictée par saint Augustin, dans un texte que recueillit Gratien, cause XIV, q. iv, c. Il : Omne quod maie possidetur alienum est. Par assimilation au furtum, à la rapina, la propriété est exclue par les docteurs franciscains, Alexandre de Halès, Bonaventure, Richard de Mediavilla, Duns Scot, In 7V um Sent., t. IV, dist. XV, et par Gilles de Lessines, qui, après longue discussion, conclut que, si l’usure transfère la propriété selon la loi humaine, la loi divine s’y oppose. Loc. cit., c. v. L’obligation de restituer, l’interdiction de disposer signifient que l’emprunteur est demeuré propriétaire. A quoi certains légistes répondent que l’obligation de restituer porte sur l’équivalent, non sur l’objet, qui pourrait même être acquis en toute sécurité par un tiers ; que l’emprunteur ayant contracté librement, il doit s’exécuter. Tel est aussi l’avis de plusieurs canonistes et théologiens : Jean le Teutonique, in c. 10, c. XIV, q. iv, Geoffroy de Trani, Bernard de Parme et saint Thomas lui-même. Toutefois, certains auteurs font observer que la volonté de trader n’est point dominante chez l’emprunteur : ce qu’il veut principalement, c’est le prêt. Albert le Grand, loc. cit.