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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/489

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250’VALENTIN. APPRÉCIATION

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Jérusalem céleste. Mais si elle se rend semblable à la matière, c’est-à-dire aux passions charnelles, elle est corruptible et elle périt. » Philosoph., VI, 32. Il n’est pas question de l’univers dans tout cela et il ne semble pas que Valentin se soit beaucoup préoccupé de son sort définitif.

Jugement sur Valentin.

E. de Faye ne tarit

pas d’éloges sur Valentin. « Valentin, écrit-il, paraît avoir été un esprit fort cultivé, familiarisé depuis longtemps avec Platon, obsédé par les plus profondes aspirations religieuses de son temps, hanté par le problème du mal et du salut, qui est venu au christianisme parce qu’il a cru y trouver la satisfaction des besoins de sa conscience et la solution des problèmes qui le préoccupaient. Devenu chrétien, il a continué de méditer et de creuser. Bien loin d’arrêter son essor, le christianisme n’a fait que stimuler encore sa pensée. C’est ainsi qu’il est devenu le spéculatif le plus hardi du iie siècle. » Op. cit., p. 74. Ces appréciations n’ont qu’un défaut, c’est d’être proprement en l’air. Nous ne savons rien de Valentin avant sa conversion ni des motifs qui ont pu le pousser au christianisme. Quant à la hardiesse et à la profondeur de ses constructions dialectiques, il est permis de les trouver plutôt douteuses. Bien plus nuancé et plus exact est le jugement de A. Puech, Littérature grecque chrétienne, Paris, 1928, t. ii, p. 246 : « Valentin est essentiellement platonicien, disait Tertullien ; mais c’est un platonicien qui n’a guère gardé des procédés de Platon que le mythe, et il ne présente point ses mythes, ainsi que Platon, comme le symbole de vérités dont l’intelligence humaine ne saurait donner une expression directe ; il en fait des réalités religieuses, qui deviennent matière de croyance. C’est ce qu’il ne faut pas oublier. Ses conceptions ont parfois une apparence de grandeur ; ce n’est qu’une apparence et ce plérôme que peuplent trente abstractions, qui ne sont que des fantômes, reste en réalité bien vide et bien insignifiant. L’histoire de Sophia est plus mélodramatique que vraiment tragique. Dans sa christologie, Valentin est nettement docète et il n’y a rien de moins religieux que le docétisme. La distinction des trois catégories d’âmes est tout ce qu’il y a de plus contraire à l’esprit de Jésus. »

Reste qu’il a été un homme intelligent et cela nous aurions mauvaise grâce à le nier. Les fragments insignifiants qui nous restent de lui permettent à peine de nous faire une idée de son talent littéraire. Il n’est pas sans intérêt de souligner qu’il a, un des premiers, écrit des hymnes et contribué ainsi à la formation de la poésie chrétienne ; mais les sept vers que les Philosophoumena, VI, 36, citent d’une de ses hymnes sont, au demeurant, assez médiocres. Comme Hermas, il a eu recours aux visions pour exposer ses idées ; mais le seul fragment que nous ayons de ses visions est bien loin de valoir même les constructions imaginatives du Pasteur. Il semble avoir eu un style clair et s’être élevé jusqu’à l’éloquence dans les passages où il avait à traduire des idées qui lui tenaient profondément à cœur. Ses adversaires eux-mêmes, comme Tertullien, Adv. Valent., 4, lui ont reconnu un vrai talent : nous aurions mauvaise grâce à ne pas leur donner raison sur ce point.

Nous contesterons davantage son originalité. Nul doute qu’il ne doive beaucoup au milieu dans lequel il a vécu. Les fantaisies sur le plérôme, les généalogies d’éons dans lesquelles il se complaît ont pour nous quelque chose de surprenant et nous comprenons mal l’attrait qu’elles exerçaient sur des intelligences du iie siècle. Cet attrait est réel. Valentin n’a pas été le seul, loin de là, à développer de telles spéculations et le succès qu’elles ont rencontré, les discussions qu’elles ont soulevées, les formes variées

qu’elles ont prises parmi ses disciples témoignent assez de l’intérêt qu’elles offraient à un grand nombre. Même ceux qui se montrent le plus disposés aujourd’hui à insister sur le caractère proprement philosophique de la doctrine de Valentin, E. de Faye, par exemple, sont obligés de reconnaître qu’il est bien l’auteur des constructions relatives au plérôme et qu’il mettait toute sa complaisance à les échafauder. Nous ne saurions ici revenir sur la question difficile et depuis longtemps débattue des origines de la gnose. Il nous suffît de rappeler que c’est en Orient, surtout en Egypte et en Syrie, que la gnose a pris naissance et a commencé à s’affirmer comme un système indépendant. L’Egypte et la Syrie sont les deux terres classiques du syncrétisme : c’est là que la pensée grecque rencontre toutes les formes de la pensée orientale et essaie de s’unir à elles en les combinant de diverses manières. Nous n’avons pas trouvé trace dans l’exposé du système de Valentin, de spéculations magiques ou astrologiques et de ce point de vue, la gnose qu’il enseigne est plutôt d’ordre rationaliste. À la sagesse grecque, elle doit peut-être l’idée de l’image qui reproduit, en l’affaiblissant, la perfection du modèle, c’est-à-dire qu’elle s’inspire de Platon ; mais, quoi qu’en dise Hippolyte, elle n’emprunte rien à Pythagore et ce sont plutôt les disciples de Valentin qui ont cherché la signification mystique de l’hebdomade, de l’ogdoade, de la décade, etc. Mais les idées d’origine grecque sont, en quelque sorte, noyées dans une mythologie dont l’élément chrétien ne saurait être exclu ou minimisé.

C’est sur ce point qu’il est nécessaire d’insister. La gnose de Valentin est essentiellement une gnose chrétienne. Quoi qu’on pense de l’existence d’une gnose préchrétienne, le système valentinien doit au christianisme ses aspects caractéristiques. Dans le plérôme, l’Homme et l’Église tiennent une place de choix. Plus importante encore est la place tenue par l’Intellect (voOç) et la Vérité, par le Logos et la Vie, puisque ces deux couples sont au point de départ de toutes les autres syzygies du plérôme. Or, il semble incontestable que trois au moins de ces quatre termes, le Logos, la Vie et la Vérité dérivent en droite ligne du quatrième Évangile. Sans doute, ces termes ne sont pas propres à saint Jean et celui-ci ne spécule pas sur le voûç qui a, au contraire, une place de choix dans les livres hermétiques. Mais il était nécessaire de trouver un correspondant masculin de la Vérité, capable d’ailleurs d’engendrer le Verbe, et celui-ci ne pouvait guère être que le voijç.

Il y a plus. Tous les thèmes de salut développés par Valentin accordent la première place au Christ. Le premier Christ et sa compagne l’Esprit-Saint procèdent directement de l’Intellect et de la Vérité : ils restaurent l’harmonie du plérôme dont ils expulsent l’avorton de Sophia. Le fruit commun du plérôme. Jésus, délivre de ses passions la Sagesse extérieure et s’unit à elle pour régner dans l’ogdoade. Enfin un troisième Christ est proprement le Sauveur du monde sensible ; c’est celui qui est apparu à l’humanité en passant par Marie et qui lui a enseigné les mystères du salut. Ces fantaisies n’ont qu’un rapport lointain avec l’histoire évangélique, mais elles ne pouvaient prendre naissance que dans un milieu où cette histoire était connue, tout au moins dans un milieu où l’on savait l’importance unique attribuée à Jésus par les chrétiens orthodoxes.

Allons plus loin encore. La gnose valentinienne est pleine de réminiscences scripturaires qui en font partie intégrante. L’Ancien Testament est mis parfois à contribution : comment la Crainte ne serait-elle pas rapprochée de la Sagesse, alors qu’il est