térieur (1368) prénomme Pierre, se trouve un jour très frappé par le chant de la cantilène de saint Alexis, entendue de la bouche d’un jongleur de passage. Il fait entrer le jongleur dans sa maison pour mieux connaître la légende du saint. Le lendemain, il interroge un maître en théologie : « Quelle est la voie la plus sûre et la meilleure pour aller à Dieu ? » On lui répond par l’histoire évangélique du jeune homme riche : « Si tu veux être parfait, vends tous tes biens et donne-les aux pauvres. » Matth., xix, 21. De retour chez lui, Valdès fait part à sa femme de la résolution qu’il vient de prendre de renoncer à tout. Il assure son avenir à celle-ci, fait entrer ses deux tilles dans un couvent, distribue tout ce qui lui reste aux malheureux et demande ensuite lui-même l’aumône à ses amis « pour l’amour de Dieu ». Cette « conversion » extraordinaire fait naturellement grand bruit dans la ville. Les uns critiquent, les autres approuvent, quelques-uns imitent la conduite de Valdès. L’n groupe se forme autour de lui, dans le but de pratiquer la « pauvreté apostolique ». Valdès fait alors un pas en avant. Les apôtres prêchaient. Il prêchera donc aussi. Il se heurte dès lors à une certaine méfiance des autorités ecclésiastiques, encore que tout démontre la parfaite pureté de ses intentions. Valdès prend alors la résolution d’obtenir de Rome l’autorisation régulière de prêcher.
Dans son curieux ouvrage satirique Liber de nugis curialium, le prêtre anglais Gautier Map, qui se trouvait à Rome, au temps du IIIe concile du Latran, en 1179, sous Alexandre III, raconte qu’il fut invité par un évêque à interroger les deux envoyés vaudois, qui « paraissaient être les principaux de leur secte ». Map leur demande donc : « Croyez-vous en Dieu le Père ? » — « Oui ». — « Au Fils ? » — « Oui ». — « Au Saint-Esprit ? » — « Oui « . — « À la mère du Christ ? »
— « Oui ». Là-dessus, grand éclat de rire dans toute la docte assistance. La réponse prouvait, en effet, l’ignorance théologique des vaudois et leur inaptitude à la prédication. Ils durent se retirer tout confus sans avoir obtenu l’autorisation demandée. Le pape leur interdit de prêcher pour « défaut de science ».
Le groupe des « pauvres de Lyon », comme on les appelait, se trouvait en face d’un dilemme : ou obéir et probablement disparaître, puisqu’on lui enlevait sa principale occupation, — ou désobéir et s’exclure de l’Église ! Valdès et les siens choisirent cette seconde alternative. À partir de 1179 donc, les vaudois entrent dans la voie du schisme qui les conduira rapidement à l’hérésie. L’évêque de Lyon, qui était alors Jean Rellesmains (et non Blanches-Mains, comme il est dit dans la Protest. Realenzyklopadie, t. xx, p. 807) (1182-1193), à la suite de Guichard, leur défend de prêcher. Ils s’obstinent. Il les frappe de l’excommunication. Le pape Lucius III fulmine à son tour contre eux la même censure, au concile de Vérone, le 4 novembre 1184, par la bulle Ad abolendam. Jafïé, Regesta pontificum Romanorum, n° 15 109. Appuyé sur cette sentence, l’évêque de Lyon les expulse de son diocèse (1184 ou 1185).
Dans l’intervalle, les vaudois avaient reçu un renfort important. Il s’était formé, en Lombardie, depuis le début du xii° siècle, des groupes de pénitents qui avaient adopté la règle bénédictine et dont les uns étaient des moines proprement dits, d’autres des prêtres, d’autres enfin, en majeure partie, des laïques vivant dans les liens du mariage et se livrant, au sein de corporations pieuses, au travail de la laine. On les appelait les humiliâtes. Le premier couvent de l’ordre avait été fondé par saint Jean d’Oldrado († 1159). Vers le temps où les vaudois étaient venus à Rome (1179), les humiliâtes s’y étaient rendus éga lement pour solliciter l’approbation de leur genre de vie et l’autorisation de prêcher. Mais à eux aussi un refus catégorique avait été opposé. On pense que les deux groupes d’émissaires apprirent à se connaître à cette occasion. Quoi qu’il en soit, un rapprochement se produisit entre les pauvres de Lyon et les humiliâtes lombards. Une fusion s’opéra. Le décret cité plus haut de Lucius III frappait en effet ceux qui se humiliatos vel pauperes de Lugduno falso nomine mentiuntur. Sans que l’on doive admettre que tous les humiliâtes se firent vaudois, puisqu’ils obtinrent, — ceux du moins qui étaient restés fidèles, — l’approbation régulière du pape Innocent III, en 1201, il est sûr qu’un grand nombre reconnurent l’autorité de Valdès. À partir de ce temps, la secte fit de rapides progrès. Son centre en Italie était Milan. Mais on la trouve à Crémone, Bergame, Pavie, dans les villes de la côte ligurienne. Elle essaime de là en territoire allemand, notamment à Strasbourg, en Bavière, en Autriche, dans les diocèses de Trêves et de Mayence. La branche française, de son côté, se développait non moins puissamment. On la signale à Toul, Metz, Liège, en Flandre, mais plus spécialement dans le sud, en Provence, en Languedoc, en Catalogne et Aragon. La répression de l’hérésie fut d’abord relativement modérée. Mais, peu à peu, elle s’aggrava. En Espagne, le roi Alphonse II, par l’édit de Lerida (1194), prononçait la peine de confiscation des biens contre ceux que l’on commençait à appeler les insabbatati (les ensabotés). En 1197, au concile de Gérone, le roi Pedro II renouvelait ces prescriptions, mais il y ajoutait la peine du feu, contre les vaudois. C’était la première fois que cette peine était employée, contre les hérétiques en général. On signale, en 1211 l’exécution par le feu d’environ 80 vaudois, hommes et femmes. En d’autres contrées, les évêques recouraient à des mesures moins radicales, suppression des écoles, expulsion du diocèse, crémation des livres hérétiques. Cependant çà et là des exécutions par le feu d’hérétiques qui étaient peut-être des cathares ou albigeois, mais peut-être aussi des vaudois, sont indiquées dans les chroniques. Des conférences contradictoires se produisaient entre docteurs catholiques et hérétiques. Des conversions s’opéraient parfois. L’une des plus remarquables fut celle de Durand de Huesca, pauvre aragonais, qui se soumit à la suite d’un colloque tenu, en 1206, au château de Pamiers. Mais il réclama le droit de garder le costume et le genre de vie des pauvres. Son exemple ayant été suivi de plusieurs autres, on eut l’idée du côté catholique, d’organiser un groupe de pauperes catholici, qui étaient ou des vaudois convertis ou des catholiques adoptant leur pauvreté, afin de contrebattre plus efficacement l’influence de la secte. Mais ce groupement ne donna pas tous les fruits que le pape Innocent III s’en était promis. Il est vrai que, peu de temps après, apparurent les deux grands ordres mendiants des franciscains et des dominicains, qui, dans une certaine mesure, furent une réplique triomphale à l’austérité impressionnante des fils de Valdès.
Celui-ci continuait à diriger avec fermeté toute la secte. Sa mort ne doit être placée qu’aux environs de 1218. Il était devenu, pour les siens, une sorte de pape. On lui reprochait du reste son autoritarisme. Ce qui le prouve c’est que l’union entre les pauvres de Lyon et les humiliâtes lombards ne put se maintenir très longtemps. Valdès exigeait la suppression des corporations ouvrières lombardes, issues des humiliâtes. Les lombards s’y refusaient. Valdès prescrivait aux frères qui entraient dans la secte, comme membres effectifs, de renoncer aux liens du mariage. Les lombards prétendaient qu’il fallait pour cela le consentement du conjoint et ils réclamaient le droit d’avoir