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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/614

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VERTU. LES VERTUS NATURELLES


Ce principe, déjà valable pour l’homme maintenu par Dieu dans un ordre purement naturel (ordre qui n’a jamais existé), acquiert une force d’autant plus grande que l’homme est appelé à une fin surnaturelle. Notre bonheur est d'être appelés à partager l’héritage du Fils unique du Père et à voir Dieu face à face ; et nous savons qu’aucune faculté naturelle, si haute et si puissante soit-elle, ne saurait atteindre à une telle hauteur par sa seule activité. D’où, la nécessité de principes d’activité surnaturelle, que Dieu place en nous sans nous, les vertus infuses, qui nous permettent d’atteindre cette fin surnaturelle. Nous comprenons mieux par là le bien fondé de certaines assertions patristiques, d’origine augustinienne, relatives aux vertus des païens, lesquelles, demeurant dans l’ordre naturel, ne sauraient être des vertus au sens chrétien du mot. Voir ici Baius, t. ii, col. 83-84. C’est donc dans l’ordre surnaturel que se justifie entièrement la définition du Maître des Sentences. Cf. Salmanticenses, De virtutibus, disp. I, dub. iv, n. 62. Pour ces vertus infuses, il ne saurait être question d’habitus acquis. On verra plus loin, dans quelle mesure le terme d’habitus peut leur être appliqué.


III. Vertus naturelles. —

Essence. —

1.La vertu, habitus d’opération.

C’est la conclusion de tout ce qui précède. Et cet habitus concourt activement avec la faculté qu’il perfectionne à la production de l’acte vertueux. S. Thomas, I'-II*, q. lv, a. 2. La vertu, en effet, doit aider l’homme à se réaliser lui-même au suprême degré en agissant confomément aux exigences de sa fin dernière. Aussi, conclut saint Thomas, « il est de l’essence de la vertu humaine d'être un habitus d’opération ». hoc. cit.

2. Dans le sens du bien. — « Il faut que le point ultime auquel atteint le pouvoir d’une puissance soit bon, car le mal est toujours un défaut… Aussi la vertu d’une chose ne peut-elle se définir que par rapport au bien. Ainsi, la vertu humaine, habitus d’action, est-elle un habitus foncièrement bon et producteur de bien. » A. 3.

3. Concourant effectivement à la production des actes bons.

On insiste ici sur le mot « effectivement ». L' habitus vertueux n’est pas une disposition en quelque sorte passive, facilitant simplement l’acte vertueux ; il concourt d’une manière active non seulement à une intensité plus grande de l’activité humaine, ou à une plus grande facilité d’opération, ou à la production de l’acte moralement bon, abstraction faite de son intensité et de sa facilité, mais à tout ce qui constitue cet acte : réalité, moralité, intensité, facilité. Salmanticenses, dub. iii, n. 30-61.

Origine et génération.

On a parlé des habitus Innés et des habitus acquis. Voir col. 275."). L’application des principes posés par saint Thomas, LII » ", q. li, a. 1-3, est faite aux vertus de l’ordre naturel, q. i.xiii, a. 1-2 ; cf. De virt., q. i, a. 8-10.

1. Vertus innées. - « Ces vertus sont en nous à l'étal d’aptitude ou d'ébauche (secundum aptitudi non et inchoationem), mais non à l'état de perfection. I » -II" q. i.xiii, a. 1. Comme les habitus innés, ces vertus se rattachent à la nature de l’homme, spécifique OU individuelle, tendances de l’intelligence et de la volonté, appétits de la sensibilité.

tempérament et caractère, etc. Mais, en réalité, ce ne sont la que des avances de la nature, aptitudes <(

ébauches, pour reprendre l’expression de la Somme, et non des vertus à l'état achevé : l.a nature t I

déterminée à une seule chose, alors que précisément l’achèvement des vertus ne se produit pas selon un

seul mode d’action, mais selon des modes divers, d’après la diversité îles matières ou elles operent et

l.i diversité des circonstances. » tbid. Cependant,

parce que la vertu doit nous faire développer dans le sens du bien nos inclinations naturelles, « on peut dire qu'à toute inclination naturelle bien définie se rattache quelque vertu spéciale ». IP-II 36. q. cviii, a. 2.

2. Vertus acquises.

C’est donc à force de travail et d’application que la vertu naît en nous. Saint Thomas, Ia-IIæ, q. lxiii, a. 2, rappelle les principes relatifs à la genèse des habitus, mais il les précise en les appliquant aux vertus : « La vertu vient parfaire l’homme dans le bien. Or, le bien consiste essentiellement dans « la mesure, la beauté et l’ordre » (S. Augustin, De natura boni, c. iii, P. L., t. xlii, col. 553) ou, au dire de la Sagesse, xi, 21, dans « le nombre, le poids et la mesure ». Le bien de l’homme doit donc être envisagé d’après une règle. Cette règle est double : la raison humaine et la loi divine. Et, comme la loi divine est une règle supérieure, elle s'étend par là à plus de choses : tout ce qui est réglé par la raison humaine l'étant aussi par la loi divine, mais pas réciproquement. » Saint Thomas fait ensuite de ce principe une double application à la vertu naturelle, « ordonnée au bien qui se mesure à la règle de la raison humaine », à la vertu surnaturelle, qui « ordonne l’homme à un bien à la mesure de la loi divine ».

La vertu naturelle « est causée par des actes humains, en tant précisément que ces actes procèdent de la raison sous le pouvoir et la règle de laquelle se réalise le bien envisagé ». Elle est acquise, « grâce à l’accoutumance aux œuvres » (ex assuetudine operum, q. lxiii, a. 2, titre). Trois conditions sont requises pour que Y habitus de la vertu puisse ainsi s’acquérir par l’accoutumance aux œuvres. Tout d’abord, la vertu doit perfectionner une faculté apte à la recevoir ; cf. De virt., a. 9. Ensuite, cette faculté doit être à la fois passive et active : une faculté purement passive ne saurait se déterminer dans un sens plutôt que dans un autre et devrait recevoir de l’extérieur sa détermination. Enfin, renouvelant cette détermination en des actes répétés, elle arrive à créer la disposition stable, permanente, difficile à enlever qu’est la vertu. Cf. Hillot, De virt. inf., p. 23-25.

Accroissement de la vertu acquise.

Il faut ici juxtaposer l’enseignement de la q. lii, a. 1-3 et celui de la q. lxvi, a. 1-2.

1. Possibilité de cette croissance. — La réponse affirmative s’appuie : 1 n sur les faits ; 2° sur la nature même des habitus. La vertu se greffe sur un sujet déjà existant ; on conçoit que ce sujet puisse y trouver un moyen de perfectionnement, c’est-à-dire d’accroissement progressif dans le sens du bien. Cf. De virt., q. i, a. 1 1 ; Π» -II », q. lii, a. 1.

2. Nature de cette croissance. — l.'habilus de la vertu acquise étant d’ordre spirituel, on doit se dégager d’une conception Imaginative. Saint Thomas met en garde contre l’idée d’un accroissement « par addition ». Q. lii, a. 2. Certains habitus les vertus intellectuelles — peuvent croître extensivement en raison d’un objet plus considérable : la science et l’art sont susceptibles d’accroissement de ce genre, cf. q. LXVI, a. 1 : Mais les vertus morales et même les vertus intellectuelles considérées par rapport à leur sujet, croissent uniquement en intensité. Intensité, c’est-à-dire, pour reprendre l’expression de saint Thomas, un plus profond enracinement dans le sujet.

la perfection plus grande qu’elles y prennent, mais aussi qu’elles lui confèrent.

3. Tout acte entraîne-t-il une croissance dans la vertu ? (a. 3). S’il s’agissait d’un accroissement quantitatif on verra plus loin que beaucoup d’auteurs se sont ralliés à cette interprétation il fau