Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/621

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
2771
9
VERTU. DISPARITION DES VERTUS INFUSES

.779

a) Ex opère operalo, la croissance, dans l'âme de celui qui n’y apporte pas d’obstacle, est produite nécessairement par l’application du sacrement. Cet accroissement est en proportion des bonnes dispositions de chacun. Parlant des adultes qui accèdent au baptême, saint Thomas déclare que « les dispositions variant selon les sujets, chacun participera à la grâce du renouvellement dans la mesure de sa propre dévotion ; bien qu’un foyer unique répande, quant à lui, une chaleur égale pour tous, ceux-là ont plus chaud qui s’en approchent davantage. » III", q. lxix, a. 8. Pour que ces affirmations restent cohérentes, il faut admettre que la réception fructueuse d’un sacrement comporte toujours, tout au moins par l’influence de la grâce, une disposition subjective qui constitue par elle-même un progrès spirituel, si minime soit-il, sur l'état spirituel précédent. Dans l’eucharistie, cet effet est toujours produit, dès lors que le fidèle s’approche de la sainte table en état de grâce. Mais il est bien évident que plus les dispositions du communiant seront excellentes et plus la charité et les vertus croîtront en son âme. En ce qui concerne le sacrement de pénitence, beaucoup d’auteurs envisagent l’hypothèse d’une réception valide, mais informe, surtout par défaut de véritable contrition. Il y a là, pour le développement de la vie spirituelle, un danger assez sérieux, dont les habitués de la confession fréquente doivent tenir compte, s’ils veulent comprendre pourquoi tant d’absolutions reçues ne produisent pas les changements spirituels qu’on serait en droit d’en attendre.

P) Ex opère operantis. — C’est ici que les controverses se manifestent. Le mérite des bonnes œuvres relativement à une augmentation de la vie spirituelle a été défini comme un dogme de foi par le concile de Trente. Sess. vi, can. 32, Denz.-Bannw., n. 842. Saint Thomas admet lui-même que tout acte moralement bon, accompli en état de grâce, est méritoire. De malo, q. ii, a. 5, ad 7um, et ad ll um. Il semblerait logique de conclure que tout acte méritoire apporte un accroissement de la vie spirituelle. Pour éviter certaines difficultés que paraît soulever l’opinion thomiste au sujet de la reviviscence des mérites, voir ce mot, t. xiii, col. 2636, Suarez et son école affirment qu'à tout acte méritoire, si faible soit-il, aux actes « moindres » (remissis, disent les théologiens), accomplis avec un degré inférieur de charité, répond toujours et infailliblement un accroissement de la grâce, des vertus, et, par conséquent, de la gloire. En ce cas, il faut concevoir l’accroissement de la grâce par mode d’addition, le mérite final n'étant que le résultat, pour ainsi dire mathématique, de tous les mérites particuliers attachés à chaque acte bon accompli en état de grâce. Les fondements théologiques de cette opinion ont été exposés et discutés à Reviviscence, t. xiii, col. 2633. Après Suarez, De gratia, t. IX, c. m ; Schiffini, De gratia, n. 369, 390 ; Mazzella, De virt, n. 149-173 ; P. Galtier, De sacr. psenit., n. 569 sq. ; Chr. Pesch, Prælect. dogm., t. vii, De psenit., n. 334, sq., etc., voir F. de Lanversin, S. J., art. Accroissement des vertus d’après Suarez, dans le Dict. de spiritualité, t. i, col. 156 sq. ; S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, I. III, c. i-m.

A l’opposé, saint Thomas veut que l’accroissement de la grâce et des vertus soit procuré par les seuls actes méritoires intenses, dont le principe, la charité, dépasse en ferveur le degré précédent de charité. Il n’y a donc pas addition de mérite à mérite, de grâce à grâce ; il y a une prise de possession plus grande de l'âme par la grâce et les vertus, non per additionem, sed per majorem radicationem in anima. II a -II ffi, q. xxiv, a. 3 ; cf. De virt., a. 11. « De même qu’une habitude naturelle acquise ne grandit pas par n’im porte quel exercice, mais seulement par un exercice

de plus en plus parfait — telle, par exemple la virtuosité du musicien — ainsi 'la grâce sanctifiante (et par conséquent les vertus) ne s’accroît que par des actes méritoires intenses. Cet accroissement se réalise. non par addition, mais par développement vital. » A. -A. Goupil, Les sacrements, Paris, 1929, t. iii, p. 67. Cf. E. Neveut, Des conditions de la plus grande valeur de nos actes méritoires, dans le Divus Thomas (Plaisance), 1931. Les actes remissi ne sont cependant pas inutiles : ils disposent à un accroissement de la grâce et des vertus, en tant qu’ils préparent des actes plus fervents et attirent sur le chrétien le secours des grâces actuelles. Cf. E. Hugueny, La pénitente (Somme théol. édit. de la Revue des Jeunes), t. i, Paris, 1931, p. 357-358. L’acte méritoire n’a donc d’influence sur l’accroissement effectif des vertus que dans la mesure où il obtient de Dieu l’accroissement de la grâce et de la charité. Billot, De virt. inf., proleg. ii, § 3, n. 2 ; De gratia (1912), thèsexii, § 3, p. 285-288 ; De sacramentis, t. n (1922), p. 104-121 ; A. d’Alès, De sacr. psenit., th.xii, p. 161. Cf. Th. Deman, art. Accroissement des vertus, dans Dict. de spiritualité, t. i, col. 138 sq. ; Garrigou-Lagrange, L’augmentation de la charité et les actes imparfaits, dans' Vie spirituelle, t. xi (1924-1925), p. 321-334. Voir la bibliographie de l’art, du P. Deman, col. 155-156.

Entre ces deux solutions opposées, se situent plusieurs explications intermédiaires. Toutes admettent que le moindre acte méritoire, même remissus, exige un accroissement de la grâce et des vertus ; mais, tandis que Suarez et son école enseignent que l’accroissement se réalise immédiatement dès que l’acte est posé, cf. Mazzella, n. 171, des thomistes infidèles à la pensée du Maître placent l’accroissement soit dans la glorification de l'âme, soit à l’instant de la mort, soit au cours de la vie quand l'âme est suffisamment disposée. Ces opinions, toutes et chacune, ont été exposées à Reviviscence, col. 2629 sq. ; voir également Charité, t. ii, col. 2230 sq.

Disparition des vertus surnaturelles.

Ici, l’analogie avec les vertus acquises n’existe plus :

1. La perte totale.

Dans l’ordre naturel, la cessation des actes vertueux amène progressivement la disparition de la vertu acquise ; et c’est logique, puisque la cause efficiente de la vertu est l’activité même de l’homme. Dans l’ordre surnaturel, Dieu seul cause dans l'âme la vertu infuse ; la cessation des actes vertueux, par elle-même, n’entraîne donc ni diminution, ni disparition de la vertu.

Dans l’ordre naturel, il faut des actes vicieux répétés pour amener la destruction totale de la vertu acquise ; précisément encore parce que c’est de la répétition des actes que se forment les habitus. Dans l’ordre surnaturel, un seul acte suffit à la destruction de la vertu infuse : fût-il une simple omission, s’il constitue un péché mortel, il est incompatible dans l'âme avec la présence de la vertu de charité et, par voie de conséquence, avec les autres vertus qui sont en connexion étroite avec la grâce et la charité. Voir plus loin, la connexion des vertus.

2. La diminution.

a) Au sens propre du mot, diminution intrinsèque de la vertu, toute diminution est impossible dans la vertu surnaturelle. Cette diminution ne serait concevable que comme effet du péché véniel. Or, le péché véniel est sans action à cet égard.

Le concile de Trente affirme que les péchés véniels sont compatibles avec l'état de justice surnaturelle. Sess. vi, c. xi, Denz.-Bannw., n. 804 ; cf. Conc. de Carthage, can. 7, Denz.-Bannw., n. 107. La conclusion logique de ce dogme de foi, c’est que la grâce sanctifiante et les.vertus ne peuvent être intrin-