Au temps de Victorin, ils continuaient de se répandre dans l’Église latine. Cf. I’hébade d’Agen, Contra Arianos, c. xxii, P. L., t. xx, col. 30. Les théologiens préféraient parler de substance, ou mieux d’essence divine en trois personnes. S. Augustin, op. cit., t. VII, c. iv, n. 8 ; c. v, n. 10, toc. cit., col. 941(112. Mais notre auteur, intransigeant sur les précisions métaphysiques, en vient à se mettre dans cette position paradoxale, qu’il n’a plus un seul uom commun pour désigner la nature ni l’ensemble des trois personnes. Essentia, ou esse, qui aura les préférences de saint Augustin, toc. cit., est, dans le système de Victorin, une caractéristique personnelle du Père éternel, col. 1104 A : il ne l’emploie jamais pour noter la personne du Fils ou de l’Esprit.
Nature et personne sont pour lui des approximations pleines de pièges : naturel dit naissance, col. 1035 B, 1075 B, 1101 C, 1120 C, 1254 C ; persona dit personnage et est suspect de modalisme : « Il ne faut pas dire : Duw personæ, una substantia, mais : Duo Pater et Filius, ex una substantia », col. 1046 C.
Il n’admet enfin ni une essence présupposée aux personnes, col. 1062 B, 1090 B, ni surtout une essence divine commune dotée d’une subsistence absolue. Col. 1082 C.
b. Les mots de Victorin. — Les termes qui lui restent sont donc substantia et existentia, et ils désignent tous deux les personnes : mais substantia, c’est la personne considérée dans les éléments qu’elle a de commun avec les autres, à savoir la substantia du Père ; et l’existentia, c’est cette même personne en ses éléments distinctifs, en sa « subsistence » propre.
a) Le mot substantia. — On risque de ne rien comprendre à la théologie de Victorin si l’on ne donne à ce mot un certain sens hypostatique dans les passages suivants : col. 1076 A, 1091 C, 1143 C. « Comment la substance divine pourrait-elle être la même, en deux termes différents comme le Père et le Fils ? Non ergo unum sunt ; neque ipsa, neque eadem est substantia ». Col. 1072 B. Les définitions qui vont suivre, celle de substantia comme celle d’exsistentia, qui nous éloignent d’Aristote, sont prises mot-à-mot et dans le même contexte, de Plotin, Enn., VI, i, 3,
12 et 8, lign. 21 et 34, comme l’a montré P. Henry, Marius Victorinus a-t-il lu les Ennéades ?, dans Noun. Rev. théol., 1934, p. 442. Quand on sait l’importance de ce grand traité de Plotin sur les Catégories de l’être, et qu’on voit la place liminaire que Victorin lui donne, on devra dire qu’il ne peut penser le dogme trinitaire qu’en fonction de sa philosophie.
Que signifie donc substantia, pour être l’apanage des trois personnes, sans cesser d’être le privilège du Père ? Victorin nous avertit que ce mot a deux sens : 1. un sens précis, « celui que les philosophes anciens ont défini : quod subjectum, quod est aliquid, quod est in alio non esse » : c’est la substance première d’Aristote, substance réelle et subsistant en soi, par opposition aux accidents : cf. Plotin, to toSe xat to ÔTCOxet|i.evov, toc. cit. ; 2. un sens plus large, qui « appelle substance le sujet pourvu de tous ses accidents, qui ont en elle une existence distincte ; mais dans la pratique, in usu, tout ce qui reçoit ainsi substance, à quelque étage de l’être que ce soit, nous l’appelons uniformément une substance, pour signifier tel être concret, aliquid esse… Acceptons donc cette manière de parler pour les réalités éternelles comme pour les choses du monde », Ado. Arium, t. I, c. xxx, col. 1062 D. Cf. Origène, De oral., c. xxvii. Si l’on se rappelle que la philosophie antique distinguait l’individu par ses accidents, on reconnaîtra, dans ce second sens que Victorin donne à substantia, la substantia individua de son disciple Boèce dans sa fameuse définition de la personne ; en Dieu même.
Boècc regrettera que l’usage de son époque ne permette plus de parler de trois substances au sens de trois personnes ; il continuera à soutenir qu’on peut appliquer du moins à Dieu le Père le mot substance. Voir les textes dans Th. de Régnon, Études de théol. posit. sur la Sainte Trinité, t. i, p. 228-231. Victorin admet les deux façons de parler, suivant les deux acceptions qu’il a reconnues au mot substance.
Mais n’y a-t-il pas là une amphibologie ? Non, dit-il, il y a le mystère. Dans le sens de substance soutien statique des accidents, c’est Dieu le Père, « qui est le repos, et donc ipsa substantia », col. 1063 A, « quod subjectum significut et principale ». Col. 1092. Mais, dans le second sens, le Père et le Fils réunis ne forment-ils pas une seule substance, comme le fond d’un être et ses propriétés de surcroît, sont un seul être concret, les secondes recevant leur soutien du premier ? Car le Fils, habet subslantiam a Paire, puisque « ex sua substantia appuruit ei Filius ; ce n’est donc pas une certaine substance étrangère, sortie du néant, mais bien substantia a substantia paterna ». Col. 1075 D1076 A. Nous dirions que le Fils a la nature même du Père ; Victorin dit que « les deux substances sont unies, sirnul esse substantiarum », col. 1096 D, et que le Fils est « substantia a substantia, non une première et une seconde selon le temps », mais tout de même selon un certain ordre, « puisque l’une est cause que l’autre ait sa personnalité, potentiam ». Col. 1064 B. De toute façon, substantia est synonyme d’Ù7t6aTaai.< ;, col. 1092 D ; mais en tant que la substance du Père se communique aux autres personnes, et « qu’en voyant la substance de Dieu le Père, in primo fonte rei, on voit le Verbe et l’Esprit de Dieu qui est aussi la substance de Dieu ». Col. 1093 AB ; cf. col. 1062 D.
P) Le mot exsistenlia. — Comme subsistentia, c’est un mot latin créé par Victorin, qui a formé dans le même sens précis des dérivés comme exsistentialis, Adv. Arium, t. III, c. xviii, exsistentialiter, t. III, c. xv, inexsistentialiter, præexsistenlia, t. I, c. i et li, etc., sans oublier l’ancien verbe exsistere, expliqué col. 1133 A.
æ. Dans les créatures. — « Les anciens philosophes — c’est toujours à Plotin, Enn., VI, i, que Victorin se réfère — ont mis cette distinction entre substance et existence, que la substance c’est le fond (de l’être concret), ou bien le sujet avec tout ce qui lui advient…, tandis que l’existence ou Yexsistentialitas, c’est, préexistant (à la substance concrète), la subsisterfee sans les accidents, réduite aux seuls éléments qui le font être, qui font qu’il subsiste. » Col. 1063. Victorin définit ici l’existence par la notion voisine de subsistence qu’on retrouvera plus loin ; on voit déjà qu’elle exclut tous les accidents migrateurs et insignifiants, et qu’elle constitue un être dans son actualité. Mais ce mot a aussi un sens usuel : il signifie alors l’être existant. Ne faut-il pas que « l’indéfini (de la substance commune) trouve une détermination ? que chaque chose soit formée ad exsistentiam sui, définie, enclose chacune par sa forme, pour devenir tel être existant ? Il y a lieu à un enfantement des existences particulières ». Col. 1127 C. Ainsi faut-il que la matière, qui est substance, ait une certaine quantité, qui la détermine, pour qu’elle subsiste et devienne une substance (concrète) ; de même, les facultés de l’âme existent dans l’âme qui est leur substance. Col. 1065 AC. Donc « la raison d’existence ce sont les traits que l’intelligence perçoit comme donnant à ehaque chose son être particulier, ut uniuscujusque sit ei esse ; l>rœstans ad exsistentiam unicuique sua et propria. » Col. 1127 C. En somme, l’être, en sortant de ses causes, exsistens, entraîne avec lui sa quote-part de ces essences supérieures, il se détermine en lui-même, mais il se sépare de tous les autres êtres existant dans