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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/71

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TRINITÉ. SAINT BASILE

besoin ; mais son âme profondément religieuse, sa sensibilité frémissante trouvent pour exprimer sa foi à la Trinité d’inoubliables accents : c’est à lui que l’Église reconnaissante a donné le surnom de Théologien ; et parmi ses discours, cinq ont été retenus comme les Discours théologiques par excellence : on y trouve en effet, solidement frappées, les formules qui expriment les relations entre les personnes divines. Le Nazianzène a rendu à l’orthodoxie le service d’être son plus éloquent interprète. Quant à saint Grégoire de Nysse, il est par vocation le philosophe ; et il était utile que l’orthodoxie eût aussi un philosophe à opposer aux subtilités dialectiques d’Eunome et de ses alliés. La foi catholique, on le sait de reste, est indépendante des raisonnements de la sagesse humaine ; il faut commencer par l’affirmer telle quelle, avec ses insondables mystères ; mais il faut aussi, à certains moments, mettre en relief son aspect raisonnable : tel fut le rôle propre de saint Grégoire de Nysse.

2° Saint Basile.

Pour faire triompher définitivement la formule μία ουσία, τρεῖς ὑποστάσεις, le premier problème à résoudre était de préciser le sens exact des termes employés. Qu’est-ce que l’ousie ? Qu’est-ce que l’hypostase ? Saint Basile répond à cette question dans la lettre xxxviii adressée à saint Grégoire de Nysse. L’ουσία est ce qui est commun dans les individus de même espèce, ce qu’ils possèdent tous également, ce qui fait qu’on les désigne tous sous un même vocable sans en désigner aucun en particulier. Mais cette ουσία ne saurait exister réellement qu’à la condition d’être complétée par des caractères individuants qui la déterminent. Ces caractères reçoivent différents noms : on les appelle ἰδιότητες, ἰδιώματα, ἰδιάζοντα σημεῖα, ἴδια γνωρίσματα, χαρακτῆρες, μορφαί. Si l’on ajoute ces caractères individuants à l’ouata, on a l’ὑπόστασις. L’hypostase est donc l’individu déterminé, existant à part, qui comprend et possède l’ouata, mais s’oppose à elle comme le propre au commun, le particulier au générique : οὐσία δὲ καὶ ὑπόστασις ταύτην ἔχει τὴν διαφορὰν ἢν ἔχει τὸ κοινὸν πρὸς τὸ καθ' ἕκαστον, οἶον ὡς ἔχει τὸ ζῷον πρὸς τὸν δεῖνα ἄνθρωπον. Epist., ccxxxvi, 6, P. G., t. xxxii, col. 884 A. Et encore : « L’hypostase n’est pas la notion indéfinie de la substance qui ne trouve aucun siège fixe à cause de la généralité de la chose signifiée, mais bien ce qui restreint et circonscrit dans un certain être, par des particularités apparentes, le commun et l’indéterminé. » Epist., xxxviii, 3, col. 328 ; Episl., ccxiv, col. 789. Cf. J. Tixeront, Histoire des dogmes, t. ii, p. 77 ; K. Holl, Amphilochius von Iconium im seinem Verhältnis zu den grossen Kappadoziern, Tubingue, 1924, p. 130-133.

On ne saurait dire que ces définitions sont absolument satisfaisantes. Il semble bien que, pour saint Basile, l’ουσία n’existe pas d’une manière réelle et concrète à moins d’être individualisée dans l’hypostase. L’hypostase par contre est identifiée à l’individu, et ce sont les caractères individuants qui la constituent. Si nous appliquons à la Trinité ces définitions, ne serons-nous pas tentés de conclure que l’ουσία de Dieu n’existe qu’individuée dans les trois hypostases et par suite que saint Basile enseigne l’existence d’hypostases numériquement distinctes ?

Tel n’est pourtant pas le cas. Dans la suite de notre lettre xxxviii, saint Basile explique clairement que la nature divine est unique en nombre :

« Malgré les traits propres à chacune des personnes et auxquels se reconnaît la distinction des hypostases, pour ce qui concerne l’immensité, l’ineffabilité, etc., il n’y a dans la nature vivifiante, c’est-à-dire dans le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, aucune diversité, mais c’est une communauté continue et indivise qui se voit en eux. Quel que soit celui de la Trinité dont on considère la majesté, on se retrouve toujours en présence de la même chose, en face de la gloire du Père, du Fils et du Saint-Esprit, tant il est vrai que l’intelligence ne peut trouver à passer entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Entre eux, il n’y a donc rien qui s’interpose, ni une réalité distincte de la nature divine et propre par son intrusion à y déterminer des divisions, ni un intervalle vide qui, comme une fissure au sein de l’essence divine, en brise l’harmonie et en rompe la continuité… On ne saurait concevoir ici en effet ni coupure, ni division d’aucune sorte qui permette soit de concevoir le Père sans le Fils, soit d’isoler l’Esprit du Fils. On perçoit, au contraire, entre eux un mystère ineflable de communauté et de distinction, la différence des hypostases ne déchirant pas le continu de la nature et la communauté de l’ουσία, ne confondant pas les caractéristiques personnelles. » Epist., xxxviii, P. G., t. xxxii, col. 332. J’emprunte ici la traduction de A. Grandsire, Nature et hypostases divines dans les œuvres de saint Basile, dans Rech. de science rel., t. xiii, 1923, p. 136.

Sans doute reste-t-il un mystère : il est certain que les trois personnes divines ne peuvent pas posséder, chacune en propre, la nature unique de Dieu, comme Pierre, Jacques et Jean possèdent, chacun en propre, la nature humaine. Saint Basile résoud, dans la mesure du possible, la difficulté par une comparaison :

« Voyez l’arc-en-ciel, dit-il ; ce météore est à la fois continu et divisé, car bien qu’il soit multicolore, il mélange si bien les teintes variées qui le constituent, que le point de jonction des différentes couleurs nous échappe et qu’on ne peut découvrir la ligne de partage ni entre le vert et le jaune, ni entre le rouge et l’orange… Ici donc, bien que nous reconnaissions parfaitement les différentes couleurs, nous ne pouvons cependant percevoir le passage exact de l’une à l’autre. Ainsi en est-il dans le dogme de la Trinité ; les caractéristiques des personnes, comme les couleurs de l’arc-en-ciel, brillent aux yeux de ceux qui croient en la Trinité ; mais la nature, elle, est la même partout, car c’est dans une commune ουσία que brillent les caractéristiques personnelles. Or, c’est précisément ce qui a lieu dans l’exemple rapporté, puisque l’ουσία qui projette cet éclat multicolore est unique, bien que l’éclat projeté soit multiple. » Epist., xxxviii, 5, ibid., col. 334-335.

Ailleurs Basile fait appel à la comparaison du roi et de son image :

Un second Dieu est chose inouïe. Nous adorons, il est vrai, Dieu de Dieu ; mais, malgré cette foi à la particularité des hypostases, nous restons fidèles à l’unité de principe et nous évitons d’étendre le nom de Dieu à une multitude d’individus isolés, parce que dans le Dieu Père et dans le Dieu Fils, c’est comme une seule et même figure que l’on contemple, se réfléchissant dans la parfaite similitude de la divinité. Car le Fils est dans le Père et le Père est dans le Fils, puisque celui-ci est tel qu’est celui-là, et celui-là tel qu’est celui-ci ; et c’est en cela qu’est l’unité. Voilà pourquoi, si l’on considère les propriétés des personnes, ils sont un et un, mais si l’on considère la communauté de la nature, les deux sont un. Mais comment donc s’ils sont un et un, ne sont-ils pas deux dieux ? Parce que dire le roi et l’image du roi, ce n’est pas dire deux rois. Ni le pouvoir, ni la gloire royale ne sont, par le fait, divisés ; car, de même que l’autorité royale qui nous régit reste unique, de même la gloire que nous témoignons au roi reste unique, puisque l’honneur témoigné à l’image va au modèle. Mais ce que l’image est ici par imitation, le Fils l’est par nature ; et de même que, dans les produits de l’art, la similitude est dans la figure, de même dans la nature divine qui est sans composition aucune, l’union est dans la communion de la divinité. » De Spiritu Sancto, xviii, 45, P. G., t. xxxii, col. 149 ; cf. la même image développée Homil. contra Sabell., t. xxxi, col. 605-608.

Ces comparaisons, faut-il le dire, ne sont pas pleinement satisfaisantes : il est vrai que le roi et son image ne font pas deux rois et que l’honneur rendu à l’image va au roi ; il est encore vrai que l’arc-en-ciel est unique et qu’il est pratiquement impossible de marquer la séparation des couleurs ; mais il serait trop facile d’ajouter qu’il y a dans l’arc-en-ciel plusieurs couleurs et que le roi est numériquement distinct de