Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1673
1674
TRINITÉ. SAINT BASILE

son image. Saint Basile ne l’ignore pas ; et il ne faut pas s’arrêter aux métaphores qu’il emploie et déclarer qu’il tend vers un trithéisme larvé ou qu’il entend le consubstantiel nicéen dans le sens d’une distinction numérique entre les personnes divines. L’évêque de Césarée affirme trop nettement l’unité divine pour que nous puissions nous méprendre sur sa véritable pensée. C’est ainsi qu’il écrit contre les sabelliens.

« Toi aussi, n’hésite pus à confesser des personnes ; nomme le Père et nomme aussi le Fils, non pas en attribuant ainsi deux noms à une réalité unique, mais en apprenant à reconnaître sous chacune de ces appellations une notion particulière, ἰδίαν ἔννοιαν. Il y aurait grande sottise en effet à ne pas accepter les enseignements du Seigneur, qui établissent si clairement la distinction des personnes… Prends garde aussi cependant que cette distinction des personnes ne t’entraîne à l’autre impiété, car, pour ètre deux en nombre, ces deux personnes ne sont pas néanmoins distinctes en nature ; et dire deux personnes n’est pas introduire l’altérité. Un seul Dieu, oui, et qui est le Père ; un seul Dieu qui est également le Fils, mais non pas deux Dieux, car du Fils au Père, il y a identité. En effet, ce n’est pas une divinité que je vois dans le Père et une autre que je vois dans le Fils ; celle-là n’est pas non plus une nature et celleci une autre nature. C’est pourquoi, pour te rendre manifeste la distinction des personnes, nomme séparément le Père et séparément le Fils, mais pour te garder de tout polythéisme, confesse dans les deux une essence unique.. Et lorsque je dis une seule essence, je ne veux pas dire que les deux proviennent d’un partage ; je veux dire que le Fils a dans le Père le principe de sa subsistence et non point que le Père et le Fils sont tous deux dans une essence supérieure… Il y a identité d’essence, parce que le Fils vient du Père, non pas fait par ordre, mais engendré par nature, non pas détaché du Père, mais jaillissant parfait du Père qui reste parfait. Hom. contra Sabcll., P. G., t. xxxi, col. 604.

Cela étant, il reste que les nécessités de la polémique amènent saint Basile à insister davantage sur la trinité des personnes que sur l’unité de Dieu. Le monothéisme n’a pas besoin d’être longuement démontré. Personne n’ignore qu’il est le dogme fondamental des chrétiens et les hérétiques s’entendent sur ce point avec les orthodoxes. Par contre, il importe de mettre en relief ce par quoi les personnes divines se distinguent l’une de l’autre, et c’est à quoi l’évêque de Césarée consacre le meilleur de ses forces.

Aussi le voyons-nous défendre de parler d’une réalité aux personnalités multiples, ἓν πρᾶγμα πολυπρόσωπον. Epist., ccx, t. xxxii, col. 772. On ne doit pas dire davantage que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont identiques par leur sujet, ταυτὸν τῷ ὑποκειμένῳ, Epist., ix, col. 269 ; car cette expression, ou celle qui lui est équivalente, ἓν τῷ ὑποκειμένῳ sont également employées par les sabelliens. Epist., xiv et ccx, col. 289 et 776. On affirmera donc qu’à chacun des noms des personnes divines correspond une réalité propre, les noms représentant des choses : ἑκάστῳ ὀνόματι ἴδιον ὑποβεβλῆσθαι τὸ σημαινόμενον ἐκδιδάσκον διότι πραγμάτων ἐστὶ σημαντικὰ τὰ ὀνόματα. Le Père, le Fils et l’Esprit ont beau avoir la même nature et une seule divinité ; leurs noms étant différents évoquent des notions distinctes et clairement définies. Force est, par suite, d’admettre à la fois en Dieu la réalité des hypostases distinctes et celle de l’essence commune ; car, il faut bien le savoir, de même que, à ne pas confesser la communauté d’essence, on retombe dans le polythéisme, de même à ne pas admettre la particularité des hypostases, on revient au Judaïsme. Epist., ccx, col. 773-776.

Où faut-il donc chercher, en dernière analyse, les propriétés qui permettent de distinguer les personnes divines ? On ne saurait s’appuyer ici sur les manifestations extérieures de l’activité divine, car elles sont communes au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Les trois personnes de la sainte Trinité sont également puissantes, bonnes, justes, saintes, etc., et, lorsque saint Basile veut prouver la divinité du Saint-Esprit, il argumente précisément en partant de ce fait : Le Christ, dans son enseignement, a toujours uni l’Esprit-Saint au Père et au Fils, en lui attribuant même puissance, même bonté, même sainteté qu’au Père et au Fils. Et si l’on attribue ces qualités à l’Esprit-Saint, on doit également lui attribuer la divinité, car tous ces vocables désignent le même sujet concret, ὑποκείμενον, vu sous des aspects différents. Epist., clxxxix, col. 690. Aussi est-ce à l’intérieur qu’il faut regarder pour chercher le fondement de la distinction entre les personnes : « Il faut fixer notre esprit, comme on fait sur un sujet à observer et tâcher d’en discerner les divers caractères ; c’est ainsi qu’on arrive à découvrir la conception cherchée. Si l’on ne se représente pas en effet la paternité et si l’on ne se rend pas compte du fond sur lequel se détache cette propriété, comment peut-on se faire l’idée d’un Dieu Père. » Epist., ccx, col. 776.

Le propre du Père, c’est d’être ἀγέννητος, inengendré. Il est seul à posséder cette propriété et c’est pour cela d’ailleurs qu’on peut dire qu’il est plus grand que le Fils ; non qu’il le soit par nature, mais parce qu’il est le principe d’où sort le Fils et le principe est idéalement supérieur à ce qui vient de lui. Adv. Eunom., i, 20, P. G., t. xxix, col. 556. Le Fils est γεννητός engendré ; et il est le seul à l’être ; nul autre que lui ne porte le nom de Fils et ne saurait le porter. Il est éternellement engendré du Père, né de sa substance, sans division ni séparation, comme une lumière qui sort intacte d’un foyer resté intact. Il est plus difficile par contre de définir le γνωριστικὸν σημεῖον du Saint-Esprit : Saint Basile parle, De fide, P. G., t. xxxi, col. 685, d’un οἰκεῖον ἰδίωμα ; ailleurs, Epist., xxxviii, 4, t. xxxii, col. 329, il déclare que le propre du Saint-Esprit est d’être connu après le Fils et avec lui et de tenir sa substance du Père : τοῦτο γνωριστικὸν τῆς κατὰ τὴν ὑπόστασιν ἰδιότητος ἔχει, τὸ μετὰ τὸν Υἱὸν καὶ σὺν αὐτῷ γνωρίζεσθαι καὶ τὸ ἐκ τοῦ Πατρὸς ὑφεστάναι.

On sait d’ailleurs que saint Basile se montre particulièrement discret au sujet du Saint-Esprit. Il déclare assurément que le Saint-Esprit n’est pas une créature, mais qu’il appartient, par son hypostase propre, à la bienheureuse Trinité, In Hexahemer., hom. ii, t. xxix, col. 44 ; Contra Eunom., iii, 5, t. xxix, col. 665. Mais pour le reste, il confesse son ignorance, Contra Eunom., iii, col. 668, et avoue que le mode d’être du Saint-Esprit est ineffable : ἐκ τοῦ Θεοῦ εἶναι λέγεται οὐχ ὡς τὰ πάντα ἐκ τοῦ Θεοῦ, ἀλλ’ ὡς ἐκ τοῦ Θεοῦ προελθόν· οὐ γεννητῶς ὡς ὁ Υἱὸς, ἀλλ’ ὡς πνεῦμα στόματος αὐτοῦ… τῆς μὲν οἰκειότητος δηλουμένης ἐντεῦθεν, τοῦ δὲ τρόπου τῆς ὑπαρξεως ἀρρήτου φυλασσομένου.

On voit que la doctrine de saint Basile demeure malgré tout inachevée. Certes, l’évêque de Césarée a une foi très ferme et très précise. Il croit qu’il n’y a qu’un seul Dieu et qu’il y a trois personnes en Dieu. Il insiste, plus que ne l’a fait saint Athanase sur la Trinité des personnes, parce que, de son temps et dans son milieu, telle est la question capitale à résoudre ; et certaines de ses formules ont pu donner à penser qu’il appuya plus que de raison sur les caractères propres du Père, du Fils et du Saint-Esprit. À replacer ces formules dans leur contexte et à les interpréter, comme il convient, dans les cadres de la croyance traditionnelle, on s’aperçoit que les reproches adressés au grand docteur sont Injustifiés et que sa croyance ne diffère en rien de celle des Pères de Nicée. Reste que d< s précisions plus grandes seront, en leur temps, h s bienvenues, pour exprimer les relations réciproques des trois personnes divines.