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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/757

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VINCENT FERRIER (SAINT)


281. Ils datent de l’époque même ou des décades qui suivirent. Par l’intermédiaire du manuscrit latin de Toulouse, Bibliothèque municipale, n. 345 et 346, les manuscrits catalans sus indiqués se placent vraisemblablement à l’origine des éditions incunables ou anciennes des sermons de saint Vincent Ferrier dont voici les millésimes : 1475, 1477, 1482, 1484, 1485, 1487, 1488, 1489, 1492, 1493, 1494, 1496, 1497, 1498, 1499, 1503, 1505, 1509, 1515, 1510, 1518, 1521, 1523, 1525, 1526, 1527, 1529, 1530, 1532, 1539, 1550, 1558, 1563, 1569, 1570, 1572, 1573, 1573, 1573, 1588, 1615, 1675, 1729. À la disposition même des chiffres de cette série on lit que la prodigieuse renommée du prédicateur avait fait rechercher d’abord avec avidité ces textes, et que, dans la suite des temps, on cessa de les admirer de confiance, précisément dans le même temps où de pieux hagiographies ne se décourageaient pourtant point dans la tâche de fabriquer pour ce thaumaturge authentique des miracles de leur fantaisie. Il reste que, dans la seule ville de Lyon, entre 1477 et 1558, on avait procédé à vingt-deux éditions totales ou partielles de ces sermons. Certes les réportateurs n’ont pas noté que des billevesées ; mais le texte saisi au vol, résumé, puis passé d’une langue à l’autre y a perdu la plus grande partie de sa teneur et de sa saveur originales. S’il fallait s’en tenir à ces manuscrits, même catalans, et à fortiori à ces éditions latines, on demeurerait donc étonné des extraordinaires succès oratoires de Vicent Ferrer.

Par bonheur — et c’est le mérite de Sanchis Sivera de l’avoir prouvé — un autre manuscrit paraît beaucoup plus proche de la pensée authentique et de la lettre même de Vicent Ferrer. C’est le ms. n. 275 de la bibliothèque de la Seo de Valence, celui-là même qu’a édité l’Institucio Patxot. Il se réfère au carême que prêcha Vicent Ferrer dans sa ville natale en 1413, au moment où il était le plus maître de sa pensée et de sa parole, avant les derniers temps de sa décadence physique. Il parlait à ses compatriotes avec l’autorité d’un homme qui venait de leur désigner un roi à Caspe. D’autre part, il ne saurait être question dans ce manuscrit, ainsi que le remarque Sanchis Sivera, d’une simple réportation d’auditeur. Il y manque en effet les interrogations, apostrophes, paroles de circonstances qui prêtent aux simples réportations une sorte de vie d’ailleurs assez superficielle. Il y a mieux. I.e folio 288 du manuscrit, édité p. 297, porte le texte suivant : « Aujourd’hui, vendredi saint, je n’ai pas pu écrire le sermon à cause des larmes », ce qui se peut d’autant plus lire : « je n’ai pas pu écrire mon sermon à cause de mes larmes » que Vicent Ferrer souffrait, c’est le cas de le dire, d’une crise de larmes intarissable à chacune des fêtes de l’année où se mêle une émotion attristante. En présence de la graphie rapide, cursive et à la fois très intelligente et très volontaire de ce manuscrit, on pouvait se demander si l’on n’était pas en présence d’un autographe de Vicent Ferrer. Mais personnellement, je ne reconnais pas dans le manuscrit n. 275 l’écriture terriblement illisible de Vicent Ferrer que portent par exemple certaines de ses lettres adressées au roi d’Aragon. Sanchis Sivera lui-même, qui, bien entendu, n’aurait pas demandé mieux que de trouver dans le manuscrit 27-5 l’original des sermons écrits de la main de leur auteur, donne les raisons qui rendent cette conjecture irrecevable : ce sont des bévues de copiste, op. cit., Introduction, p. xxx, note 3 Mais alors nous voici en droit de soupçonner ce copiste lui-même, qui n’est évidemment ni un mécanique professionnel, ni un simple amateur passif, d’avoir hardiment remanié l’exemplaire. En effet, en divers endroits, il a ouvertement corrigé le

texte, remplacé des mots par d’autres, dans un but qui est de toute évidence littéraire. Ainsi, même avec ce manuscrit meilleur que les autres et qui représente probablement la copie d’un travail dû à Vicent Ferrer lui-même, les sermons qui mirent en émoi toute la chrétienté, ne nous parviennent encore qu’adultérés. Il faut ajouter que, par comble d’infortune, il ne s’agit que de canevas de sermons. Certes, débitées à une vitesse moyenne, ces 328 pages in-4° alimenteraient une quinzaine d’heures de prédication. Mais encore une fois, les mœurs oratoires du début du xve siècle, spécialement celles de Vicent Ferrer, sont très différentes de celles d’à présent. En fait, ces cinquante trois sermons et panégyriques, Vicent Ferrer a mis plus de cent cinquante heures à les prononcer. On se trouve donc avec le ms. 27-5 en présence de simples schémas. Ce sont, selon toute apparence, les plans que Vicent Ferrer se traçait à lui-même avant chacune de ses prédications. C’est du moins ainsi que procède un virtuose de la parole publique, qui ne se laisse pas d’abord handicaper par l’ingurgitation d’un sermon appris mot à mot. Au surplus, un prédicateur qui prêche chaque jour et trois heures chaque jour ne peut matériellement pas trouver le temps nécessaire à une rédaction in extenso. Il se trouve ainsi que les plans de sermons de Vicent Ferrer se trouvent comparables par leur longueur aux réportations d’auditeurs. Il existe justement des sermons latins publiés à partir des réportations et des réportations catalanes manuscrites sur les mêmes sujets -que ceux du Carême original de Valence. Sanchis Sivera a été bien inspiré de mettre pour un passage commun assez considérable les textes en regard. Le texte de Vicent Ferrer, préalable au sermon, a quelque chose de plus dense, de plus ramassé, et lorsqu’on arrive à la transposition latine des réportations on aboutit à un texte, honorable encore, mais assez différent et délayé. Au reste, il y aurait inconvénient à pousser trop loin de telles comparaisons, car Vicent Ferrer a vraisemblablement donné plusieurs fois les mêmes sermons, avec des variantes, devant des auditoires différents, comme ne se privent pas de le faire ceux des orateurs sacrés qui ont chance de ne pas s’adresser toujours au même public. Ce qui donne à penser qu’il doit en être ainsi, c’est que tel sermon du carême valencien devient « dominicale d’hiver » dans le recueil toulousain ou lyonnais. Cette dernière désignation ne représente d’ailleurs pas une attribution certaine : nous avons droit de supposer que les anciens scribes se sont donné beaucoup de libertés avec l’authentique parole du grand convertisseur.

Réduits à leurs « squelettes », c’est la propre expression de Sanchis Sivera, ces sermons valenciens à peu près authentiques s’avèrent dans une notable mesure supérieurs aux réportations. Ce ne sont plus les anecdotes croustillantes qui ont été retenues vaille que vaille ; c’est la membrure même, l’armature qui apparaît dans toute sa vigueur. On voit que l’auteur est un ancien professeur de logique : une rigueur, qui rappelle Bourdaloue, unit par ses ramifications les moindres parcelles du discours. Quant au fond, il est puisé beaucoup moins dans la théologie scolastique que dans l’Écriture sainte. Certes, Vicent Ferrer se réfère parfois à saint Thomas d’Aquin : une dizaine de fois en dehors du panégyrique de ce saint. Mais ce qui est surtout remarquable c’est sa prodigieuse culture biblique : 400 citations de l’Ancien Testament, 140 de saint Matthieu, 24 de saint Marc. 120 de saint Luc, 200 de saint Jean, 220 de saint Paul…, soit plus de 20 citations bibliques dans chaque sermon. Bien entendu, l’orateur applique souvent ces textes à la vie morale, intérieure ou civique, de ses