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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/795

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VITORIA (FRANÇOIS DE)

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blable. Aux études proprement philosophiques, il ajouta, comme c’était fréquemment la mode dans les cercles nominalistes, des cours sur la physique et les mathématiques. Plus tard, dans ses leçons de Salamanque, il se plaindra du temps perdu à ces disciplines, considérées par lui comme des sciences qu’il faut discere sed non perdiscere.

Durant l’année 1512-1513, il commença avec un singulier profit ses études théologiques sous la direction des maîtres Crockært et Fenario, les plus brillants promoteurs de la renaissance thomiste au collège de Saint-Jacques. Cette même année, il dirigea, pour le compte de Crockært, l’édition de la Secunda-Secundæ de saint Thomas, la première qui parût à Paris. L’édition porte en tête une dédicace au maître ; c’est le premier écrit connu de Vitoria. Celui-ci se montrait déjà suffisamment maître du style du saint docteur pour émettre sur lui un jugement qui paraît plein d’assurance. C’est un argument en faveur de la préférence qu’il faut donner à cette année, plutôt qu’à la suivante, comme début des études théologiques de Vitoria. Une autre raison de poids qui corrobore la même thèse, c’est le fait qu’il fut nommé par le chapitre général, tenu à Gênes au printemps de 1513, pour faire les leçons sur les Sentences à Paris dès l’année 1516-1517. On ne comprendrait pas que le chapitre, présidé par Cajétan, eût donné cette autorisation sans être sûr de la compétence du candidat. Et celui qui l’en informa (probablement Fenario ) devait également avoir expérimenté la capacité de son élève pour une mission aussi relevée.

Crockært mourut en 1514. Durant son court passage au collège de Saint-Jacques, il avait déployé une grande activité littéraire. C’est à lui pour une bonne part qu’il faut attribuer l’enthousiasme réfléchi pour saint Thomas que nous admirons en Vitoria. Fenario, qui compléta la formation théologique du jeune Espagnol est, pour sa part, une figure remarquable dans la chaire, pour l’énergie, la clarté et le caractère pratique de ses enseignements. Vitoria tient plus encore de lui que du premier en sorte que les qualités de tous deux paraissent se fondre dans sa personne.

De 1516 à 1522, ou tout au plus à 1523, François occupa une chaire de théologie aux « écoles majeures » du collège de Saint-Jacques. Durant ces six années, intensément occupé par les charges de son enseignement, il compléta et donna une forme définitive à sa carrière scolaire en ce qui concerne l’adoption des méthodes et l’assimilation des connaissances théologiques. Ce ne fut pas une carrière routinière sans autres horizons que ceux que peuvent fournir un seul livre ou un auteur déterminé, le livre se nommât-il la Somme théologique et l’auteur Thomas d’Aquin. Vasco, qui connut Vitoria, célèbre « son érudition incroyable et ses lectures quasi infinies », chose qui, unie au ferme jugement qu’il avait hérité de ses maîtres, le mettait dans une position extrêmement avantageuse pour choisir, avec le goût exquis qui le caractérise, entre les différents courants intellectuels qui circulaient alors dans Paris. La rencontre en ce centre des systèmes et des idées les plus divers avait fait passer sous ses yeux le panorama varié des opinions, des suggestions, des adaptations des vues antiques aux idées modernes ; en même temps, elle lui avait révélé les essais des théologiens humanistes pour élargir la base positive de leur spécialité en tenant compte aussi bien de la spéculation que de la tendance pratique qui était celle du nominalisme en matière de morale et de sciences physiques et mathématiques.

Bien que très occupé par ses leçons, Vitoria trouva encore du temps en ces années de professorat parisien pour diriger l’édition d’œuvres d’une ampleur

extraordinaire et qui, dès leur apparition, furent très estimées. Il faut en signaler trois : les Sermones dominicales de Pierre de Covarrubias, en 2 volumes, Paris, 1512, la Summa aurea de saint Antonin de Florence, en 4 vol., Paris, 1521, et le Dictionnaire ou répertoire moral du bénédictin Pierre Bercherio, en trois tomes, Paris, 1521.

Le 24 mars 1522, Vitoria fut reçu licencié en théologie, obtenant la sixième place parmi trente-cinq candidats. Le 21 juin, il reçut le bonnet de docteur. Ainsi se terminait sa mission à Paris ; durant l’année 1523-1524, nous le rencontrons qui occupe une chaire à Saint-Grégoire de Valladolid.

3° La « chaire de prime » à Satamanque. — Le collège de Saint-Grégoire était une magnifique fondation d’Alphonse de Burgos, un poste tout indiqué pour révéler les capacités que possédait alors l’ordre dominicain en Espagne et les désigner pour les chaires universitaires. Parmi celles-ci, la plus ambitionnée était celle de prime à Salamanque, rattachée, presque depuis sa fondation, à l’ordre de Saint-Dominique. Tous auguraient que, dès qu’une vacance s’annoncerait, un des candidats serait Vitoria, dont le prestige augmentait de plus en plus dans les centres académiques. Mais l’opposition pourrait être très vive, parce qu’il y avait, tant à Salamanque qu’à Valladolid et à Alcala, d’autres personnalités qui pouvaient prétendre à ce poste. Alcala surtout, où se manifestait un esprit modernisant, très actif à cette date, était sûre de voir ses représentants trouver bon accueil dans la jeunesse étudiante. Comparée à la toute récente fondation de Cisneros, Salamanque avait gardé quelque chose d’un peu vieillot ; on ne trouvait pas, dans son corps professoral, l’aptitude à faire droit au goût de la Benaissance que tous approuvaient sans exception.

Quand, au début d’août 1526, fut annoncée la vacance de la chaire de prime à Salamanque par la mort de Pierre de Léon, O. P., l’académie d’Alcala ne mit personne sur les rangs. Deux noms seulement figurèrent, Pierre Margallo, un Portugais, titulaire de la chaire de philosophie morale à Salamanque, et Vitoria. Le premier avait pour lui que sa promotion rendrait une chaire vacante. Il comptait de plus sur l’appui inconditionné du parti portugais, très nombreux à Salamanque ; surtout il était membre du collège Saint-Barthélémy, dont les membres, par esprit de solidarité, regardaient sa cause comme la leur propre. Pour sa part, Vitoria n’était pas non plus sans appuis. Pour lui inclineraient de préférence les étudiants du couvent de Saint-Étienne, pour lui parlerait égalament la tradition scolaire des théologiens dominicains qui avaient passé dans cette chaire ; mais surtout ce qui lui donnait un indiscutable avantage sur son compétiteur, c’était le brillant de la forme, la nouveauté des méthodes, la vie et la solidité de la doctrine. Dans ces conditions, son triomphe était escompté ; il fut nommé « par tous les votes et aux applaudissements des étudiants et du couvent », comme le dit un antique chroniqueur. Depuis l’année scolaire qui commença en octobre 1526 jusqu’à sa mort en 1546, il occupa cette chaire, la plus illustre de toute l’Espagne impériale.

Le travail de Vitoria en ce poste n’aurait pas eu une si grande répercussion sur la renaissance théologique espagnole, sans un autre facteur qui paraît avoir été providentiellement préparé pour seconder l’œuvre du maître. Depuis quelques années, le couvent dominicain de Saint-Étienne avait connu une profonde transformation dans sa vie religieuse, sous l’impulsion d’un homme apostolique, Jean Hurtado de Mendoza, promoteur d’une seconde réforme, qui peut bien s’appeler une ultra-réforme, puisqu’elle renchérissait