Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/796

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
312
3122
Y1T0H1A (FRANÇOIS DE)


sur celle déjà introduite dans les couvents castillans par la congrégation de l’Observance. Sous l’influx de ce renouveau religieux, la partie la plus choisie de la jeunesse universitaire, gagnée par l’éloquence irrésistible du P. Hurtado et de l’augustin Thomas de Villeneuve, entrait en foule dans les monastères des divers ordres religieux. Ainsi, dès le début de son professorat de Salamanque, Vitoria put compter parmi ses auditeurs des élèves exceptionnellement préparés et d’une singulière pénétration d’esprit, tels Melchior Cano, Mancio, Ledesma, Tudela, Orellana, Barron, etc., qui collaboreraient à son œuvre de restauration de la théologie.

Dès le début s’établit entre le maître et ses disciples une compénétration intime ; ceux-ci gagnés par la nouveauté des procédés du professeur, lui, stimulé par l’enthousiasme qu’il remarquait en ses élèves. La nouveauté des méthodes incluait entre autres l’adoption de la Somme théologique comme base de l’explication. Uni à un emploi assez sobre du style scolastique, à une exploitation plus grande du donné positif, cela influait à son tour sur l’enseignement, qui, s’il n’était pas nouveau en son fond, l’était au moins dans la forme et surtout était présenté avec une originalité inaccoutumée. Vitoria avait reçu du ciel le « don d’enseigner », comme disent ses anciens biographes, et l’art de rendre intéressantes les matières les plus arides. « Maître Vitoria pourrait avoir des élèves plus savants que lui, mais ceux d’entre eux qui seraient les plus doctes n’enseigneraient pas comme lui », disait Melchior Cano. On voit, d’ailleurs, que le maître produisit sur son auditoire une impression énorme, étant écouté comme un oracle. Sa personne et sa doctrine, qu’il exposait « dans un latin poli, dans le style le plus doux et le plus pur », selon le mot heureux de l’historien Jean de la Croix, exerçaient une attraction irrésistible. Quoddam naturæ miraculum merito videbatur, écrit Vasco pour exprimer le caractère insolite de sa compétence comme professeur. Rien d’étonnant donc qu’ait surgi parmi les élèves l’idée d’accumuler en leurs cahiers ces leçons et de les acquérir à haut prix dans les cercles académiques.

La pratique, encore qu’elle ne fût pas neuve à Salamanque, n’était pas encore au point où elle en é » ait venue à Paris. L’absence de coutume rendait plus difficile son établissement en forme. Mais l’auditoire étant composé en grande partie de religieux, habitués au travail ardu de l’argumentation et du raisonnement, tous les obstacles furent vaincus. Vitoria lui-même contribua au succès en se prêtant à une allure plus lente, de telle sorte que l’on pouvait, avec régularité, prendre la substance de ses explications. Le procédé passa de son cours à ceux de ses collègues de la faculté, et peu à peu à toute l’académie, de telle sorte que, vers le milieu du xvr siècle. à Salamanque d’abord, puis à son imitation dans les autres universités d’Espagne, les étudiants, en grande majorité, rassemblaient soit en extraits, soit quelque fois a la lettre, l’exposition du maître.

La substitution aux Sentences, comme livre de texte, de la Somme Ihéologiquc était contraire à la législation académique. Malgré tout, Vitoria sut trouver le moyen de lever les difficultés et bientôt le professeur de « vêpres », qui, à partir de 1532, fut Dominique de Soto, adopta le même procédé, comme cela paraissait naturel pour que les matières théologiques fussent réparties entre eux deux et que les mêmes auditeurs fussent attirés à leurs cours. I.es objections qui lurgirenf de la part de certaines autorités académiques et des visiteurs » reçurent facilement réponse et la Somme de saint Thomas continua d’être presque exclusivement à Salamanque et dans le reste

des universités de la Péninsule la base de l’exposition dans tous les cours de théologie.

4° Influence sur les affaires d’État ; la législation des Indes. — Comme titulaire de la chaire de prime et comme personnage d’une compétence reconnue pour résoudre les difficultés d’ordre moral, Vitoria voyait fréquemment beaucoup de particuliers, ecclésiastiques ou laïques, recourir à lui soit de vive voix, soit par écrit. Il s’est conservé une collection des réponses fournies par lui en de telles occasions. Semblablement, il fut invité, en sa qualité de théologien insigne, à la requête de l’inquisiteur général don Alfonse Manrique à l’assemblée réunie au printemps de 1527, à Valladolid, pour expurger les écrits d’Érasme. Il existe deux réponses fournies par lui en cette conjoncture, l’une sur la Trinité, l’autre sur la divinité de Jésus-Christ, toutes deux modérées et respectueuses pour l’auteur, encore qu’on lui reproche son audace à remettre en question des points que toute la tradition ecclésiastique et patristique avait reconnus exacts. Ces réponses nous font entendre que l’enthousiasme jadis manifesté par Vitoria pour Érasme, lors de son séjour à Paris, s’était bien refroidi, depuis qu’il avait cru remarquer les affinités de celui-ci avec Luther.

Mais le domaine où la doctrine et l’action personnelle de notre théologien a pénétré le plus profondément c’est celui de la politique générale de l’Espagne, tout spécialement en ce qui concerne la colonisation de l’Amérique. Théologien austère et indépendant, Vitoria dépassait de beaucoup le niveau des courtisans qui s’efforçaient de lui arracher des réponses dictées par leur intérêt personnel. Ses acerbes critiques contre la non-résidence des prélats, l’accumulation des bénéfices, la simonie et les bulles d’union, l’indignation véhémente avec laquelle il condamnait toute oppression des faibles étaient notoires et ceux qui se sentaient fautifs et allaient à la cour s’appliquaient à les rendre inefficaces. De même il réprouvait le recours à la guerre sinon en des cas extrêmes. Aussi ne voyait-il pas d’un bon œil la lutte continue entre l’empereur et le roi de France, les inconvénients qu’elle avait pour la chrétienté, les avantages qu’elle procurait au Turc. À ce sujet, il existe une lettre de lui écrite à la fin de 1536 et adressée au connétable de Castille : « Je crois que je ne demanderais pas à Dieu de plus grande grâce sinon qu’il fasse de ces deux princes (Charles-Quint et François I er) deux frères par la volonté comme ils le sont par la parenté. Que si cela arrivait, il n’y aurait plus d’hérétiques dans l’Église, ni rien de tout ce que l’on regrette, et l’Église, se réformerait, que le pape le voulût ou non. Et tant que je ne verrai pas cela, je ne donnerai pas un maravédi pour le concile, ni pour tous les remèdes que l’on imagine. La faute ne doit pas être du côté du roi de France, encore moins de celui de l’empereur, la cause ce sont les péchés de tout le monde. Les guerres ne doivent pas se faire pour le profit des princes, mais pour celui des peuples. Et s’il en est ainsi, comme c’est en réalité, je voudrais bien apprendre d’honnêtes gens si nos guerres sont pour le bien de l’Espagne, de la France, de l’Italie, de l’Allemagne et non point pour leur destruction et pour l’accroissement de l’islamisme et de l’hérésie. »

L’ambiance belliqueuse que l’on respirait alors dans le monde ne laissait pas de pénétrer, comme on le voit, dans la cellule du maître. Ses lumineuses dissertations De jure bclli ne sont point, connue (elles de tant de gens d’Église, prose routinière, mais des efforts herculéens pour limiter l’emploi de moyens si Inhumains dans le règlement des différends entre les peuples et pour endiguer le torrent des passion-.