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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/800

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VITORIA FRANÇOIS DE)

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pour des causes itivolonlaires, quitte à y revenir quand ces raisons avaient disparu. Il convient donc de préciser ce plan et la manière dont il fut exécuté, pour se mettre en situation d’interpréter ses dires avec certitude.

Dès le début Vitoria se proposa d’élucider en ses rélections les problèmes relatifs à l’origine du pouvoir civil et du pouvoir ecclésiastique, en signalant à la fois leur champ respectif et leurs attributions. Étant données ses préférences juridiques et l’expérience acquise à Paris sur la nécessité d’éclaircir ces questions pour rectifier des concepts admis alors comme vérités premières, il n’est pas extraordinaire qu’il se soit décidé à prendre ce sujet comme thème de ses rélections. Ce choix était bien de nature, étant donnée l’actualité de la matière, à intéresser l’auditoire.

La première rélection, parmi celles qui se sont conservées, est celle sur le pouvoir civil, De potestate civili, donnée à Noël 1528. Elle est une des compositions les plus parfaites qu’ait produites la littérature scolastique espagnole. Clarté, vivacité, élégance, brio, vision synthétique, adaptation des idées abstraites à la vie réelle, toutes les qualités majeures que nous sommes habitués à voir dans Vitoria se reflètent en cette œuvre magistrale. Aussi rien de surprenant que son disciple Martin de Ledesma l’ait incluse presque en totalité dans son Commentaire sur le I Ve livre des Sentences. Nous n’analyserons pas son contenu doctrinal, mais on doit néanmoins rechercher les principes fondamentaux de cette rélection, la première d’une série homogène que l’auteur pensait bien prononcer à Salamanque. Sa contexture est très apparente ; trois conclusions la mettent en évidence. La première, qui est fondamentale, se réfère à l’origine du pouvoir civil, laquelle se trouve nécessairement impliquée dans le caractère naturel du groupement humain. Dans une seconde, il tire comme conséquence logique l’idée d’une société des nations chrétiennes ; dans la troisième, il parle du caractère obligatoire des lois civiles au for de la conscience.

A cause de ses occupations, il ne put préparer, dans les années suivantes, sa rélection. Elle devait rouler sur le pouvoir ecclésiastique. Après divers arrangements, le couvent qui était inexorable sur ce chapitre l’obligea à improviser en juin 1530 une rélection ; c’est celle De homicidio dans laquelle il répète ce qu’il exposait précisément à cette date dans ses cours ordinaires, ut non nomine tantum sed et re etiam sit relectio.

C’est seulement l’année suivante qu’il put reprendre la série De potestate. Mais, à ce moment, l’université était occupée à étudier la question du divorce d’Henri VIII. Vitoria qui y intervint retint le thème pour la rélection De matrimonio (25 janvier 1531). Les années suivantes, libre de tout autre souci, il revint au thème de l’origine du pouvoir, en donnant les deux rélections De potestate Ecclesise et De potestate papæ et concilii. Dans la première, il s’occupe surtout des relations entre l’Église et l’État, signalant pour la première fois en terme ? précis les attributions des deux pouvoirs qui se déduisent de leurs fins respectives. Entre eux, il n’y a pas subordination, sinon pour autant que l’exige la subordination des lins. Papa non est dominus iirbis, écrit-il. La thèse contraire est une fiction (commentant / des jurisconsultes in adulationem et anentationem pontifleum. (lossatores juris hoc domininm dederunt > : r. cum ipsi essent pauperes reluis et doctrinis. L’ironie est des plus fines. Le pouvoir temporel ne dépend pas du souverain pontife, comme un pouvoir Inférieur. Le pouvoir civil n’est pas assujetti au pape comme à un seigneur temporel, parce que la république civile est parfaite en son

ordre. Le pape ne doit pas s’immiscer via ordinaria dans les causes des princes, on ne peut en appeler à lui dans les causes civiles, il ne peut déposer les princes ralione potestatis temporalis, ni annuler les lois civiles. Dans le pape, en tant que pape, il n’y a pas de puissance temporelle. Toutefois, le pouvoir civil est soumis d’une certaine manière, non au pouvoir temporel, mais au pouvoir spirituel du pape. Dans l’Église il n’y a aucune puissance temporelle, mais le pape en possède une très grande in ordine ad finem spiritualem. Voir ci-dessous, col. 3142. Plus tard, Banez et surtout Bellarmin auront l’occasion de ratifier les certitudes qui inspirèrent Vitoria.

La seconde rélection De potestate Ecelesise est dirigée contre les luthériens ; on y démontre que le pouvoir ecclésiastique ne réside pas en toute l’Église, à la manière dont le pouvoir civil demeure en toute la république, mais qu’il est en des personnes déterminées, à qui Jésus-Christ a confié le gouvernement. Le pouvoir civil se fonde sur la loi naturelle ; l’ecclésiastique sur le droit divin positif. De là, une différence essentielle dans leur constitution et leur gouvernement.

Dans le De potestate papæ et concilii, sans tomber dans l’erreur des théologiens gallicans qui attribuaient la supériorité au concile, il réprouve avec quelque àpreté l’abus que les papes de la Renaissance faisaient de leurs pouvoirs pour concéder toutes sortes de dispenses. « Selon les conclusions antérieures, dit-il à la fin du n. 5, attendu que le gouvernement de l’Église dépend de l’arbitraire d’un homme qui n’est pas confirmé en grâce et qui donc peut vaciller, un remède a été prévu à rencontre d’un si grand péril. » Et il arrive à la conclusion suivante : Le pape, en dispensant des lois et décrets des conciles ou des autres papes, peut errer et pécher gravement. Plût à Dieu qu’il fût permis de douter de cette conclusion ! Mais nous voyons qu’à certains jours viennent de Rome des dispenses si amples et, tranchons le mot, si dissolues, que cela ne se peut souffrir à cause du scandale non seulement des petits, mais des grands. En méditant et en philosophant avec nous-mêmes, dit-il encore, ibid., n. 12, nous pourrions croire que les papes sont des hommes très sages et très saints, qui ne dispensent que quand il y a des raisons. Mais l’expérience crie le contraire et nous voyons qu’il n’y a personne prétendant à une dispense qui ne l’obtienne. De plus, il existe à Rome des agents professionnels qui s’entremettent pour en faciliter l’octroi, de sorte qu’au cours d’une année ils sont bien plus nombreux ceux qui recherchent les dispenses que ceux qui gardent la loi. Pour que la dispense soit légitime, il est nécessaire qu’il y ait une cause raisonnable et, dans les diplômes pontificaux, on prétend toujours en alléguer de telles. Mais il est bien étrange que toutes les demandes — puisque toutes se concèdent — se donnent pour une cause légitime. Sans doute, il est bien vrai que, parmi les papes, il y a eu beaucoup de sages et de saints, mais il suffit qu’un seul ne le soit pas pour mettre à mal l’œuvre des premiers. Clément, Lin, Silvestre étaient des saints. Mais les derniers papes, pour ne rien dire de plus grave, leur ont été bien inférieurs.

Le remède à tant de maux, ce n’est pas d’en appeler au concile, comme l’ont proposé Occam et Gerson, auteurs infectés des opinions nouvelles concernant la puissance pontificale ; de tels appels il ne peut résulter aucun bien. Il vaudrait mieux que, quand L pape par des dispenses arbitraires détruit manifestement l’Église, non point les particuliers mais les évêques, en concile ou d’accord entre eux, résistassent à leur acceptation et à leur mise à exécution, demeurant sauf le respect dû au pontife. Ainsi le soutiennent