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VŒU. ÉTUDE THEOLOGIQUE

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les autres seraient des vœux de nécessité, necessitatis. » Plus d’un, sans doute, parmi les canonistes en question, désignaient par là les vœux du chrétien au baptême ; d’autres visaient aussi les promesses religieuses, les serments, les vœux imposés à certains personnages plus ou moins repentants, de ne plus recommencer leurs méfaits : votum necessitalis. Le mot devait choquer certains esprits plus au fait de la tradition catholique sur le vœu : ils répondaient aux canonistes que leurs prétendus vœux n’en étaient pas, parce qu’en matière nécessaire. C’était aller trop loin. On a vu comment, dans la Somme, saint Thomas d’Aquin, se plaçant justement sur ce terrain de la « nécessité et de la volonté », distingue une nécessité conditionnelle, celle de faire son salut par exemple (ou celle d’échapper à la vindicte publique), qui ménage suffisamment la part du « volontaire » pour qu’il y ait vœu véritable, à savoir vis-à-vis d’un devoir commun à tous les hommes.

Mais, au sujet de ces vœux communs à tous, observent nos théologiens, saint Augustin n’a-t-il pas dit son mot ? « Tous communiter, qu’avons-nous à vouer ? Mais de croire en Dieu…, de bien nous conduire selon la règle commune. Il y a, en effet, unr règle commune à tous : ne pas voler ne s’adresse pas moins aux gens mariés qu’aux religieux I » On a vu précédemment l’exégèse de ce texte fameux des Enarr. in Psalmos, ps. lxxv, ꝟ. 12. D’ailleurs, nos scolastiques ne prenaient à saint Augustin que sa distinction de « vœux communs » : ils négligeaient sa solution et l’avis de bien d’autres Pères anciens, qui avaient recommandé ces vœux courants, vulgaires, portant sur des obligations à quoi tout le monde est tenu. Ils ne retenaient que ceci, c’est que le vœu commun de saint Augustin, comme le vœu de nécessité des canonistes, embrasserait des points de la loi chrétienne obligatoires déjà sous peine de péché. Peut-on supposer que la transgression d’un pareil vœu constitue un nouveau péché ajouté au premier ? C’est ce que se refuse à admettre Albert le Crand, op. cit., a. 8 : « Oui, quand la transgression d’un vœu est tout à fait distincte — separata, de la transgression d’un précepte quelconque et de ce qui est per se peccatum, comme c’est le cas du vœu singulier — disons : du vœu en matière de conseil — t alors l’abandon du vœu est péché par soi. » Mais il n’en est pas ainsi pour le vœu commun, qui toujours est ajouté à un bien per se et à un précepte ; et c’est pourquoi l’abandon d’un tel vœu ordinaire « ne crée aucun péché spécial, bien qu’elle amène dans l’acte du péché une certaine note de laideur morale qui sans lui n’existerait pas ».

On peut penser que le « c’est pourquoi » ne s’impose pas à l’évidence, surtout quand il s’agit d’un vœu fait de plein gré sur un point déterminé de la morale élémentaire, comme le vol ou l’adultère ; et que nous sommes loin de la doctrine de saint Augustin. Mais nos moralistes du xiii c siècle entendaient, sans le dire expressément, que les vœux communs portaient sur le commun des préceptes de Dieu et de l’Église, et non pas seulement sur tel ou tel commandement : c’étaient des vœux communs, non seulement par le sujet auquel ils s’adressent, mais par l’objet qui engage toute la conduite d’un chrétien ordinaire. Au fond, l’expression augustinienne était amphibologique et favorisait le glissement d’un sens à l’autre. Cf. Kirchberg, "/, . cil.

Il ne nous semble p : is douteux que ce soit le cas très particulier des vieux du baptisé i qui ait achevé de dérouter les plus grands scolastiques m sujet des vieux de précepte en général. Transgressio raii (final rsl île re aliunde prteêcrlpta non faril tpeciale peccatum : tel est l’adage auquel se rallient, par One voie ou par une autre, bien des grands noms du xiiie et du xive siècle : « Faire ainsi de nécessité vertu, dit saint Bonaventure, n’est qu’un vœu improprement dit. » Dans le même sens, on peut citer les principaux commentateurs de Pierre Lombard, Sentent. , t. IV, dist. XXXVIII : saint Bonaventure, in h. loc, c. ii ; Albert le Grand, in h. loc, q. i, ii, vii, vm ; le cardinal Hannibald, ibid., q. i, a. 1, ad 2um, dont le commentaire édité parmi les œuvres de saint Thomas, Vives, t. xxx, p. 757, a été professé un an après celui du Maître et se ressent de ses hésitations dans ses Sentences, sol. 2, q. 3 ; Richard de Mediavilla, In IV am Sent., ibid., art. 3. Après d’autres auteurs moins connus : Angélus de Clavasio, J. de Burgo, les principaux défenseurs attardés de cette opinion, aujourd’hui abandonnée, furent le chancelier Gerson († 1428), De consiliis evangelicis, iii, n. 67, 1. 5, dans Opéra omnia, Paris, 1606, t. ii, p. 37 ; Sylvester, Summa casuum, Anvers, 1581. Voir les textes dans Kirchberg, De voti natura…, p. 24 sq.

Il était expédient donc, pour éclairer la doctrine théologique, de bien distinguer entre les vœux généraux de tous les préceptes, comme ceux du baptême, et les vœux particuliers de tel ou tel précepte. Or le premier théologien qui ait fait l’opportune distinction est saint Antonin († 1459) quand il dit qu’ « il y a deux sortes de vœux de précepte : le vœu du baptême et le vœu per modum proprise obligationis », Summa major, p. II, t. xi, § 1. Malgré qu’il fasse la même « séparation » entre ce vœu général et le vœu particulier d’un précepte divin, et qu’il affirme que le précepte peut être l’objet d’un vœu, Durand, IV Sent., q. i, n. 6, par respect pour la tradition des commentateurs qui l’ont précédé, maintient que ce vœu d’un précepte particulier n’est tout de même qu’un vœu improprement dit. Ce n’est que peu à peu que les théologiens s’affranchissent des dernières réserves, comme on le voit chez Valencia, Lessius, Suarez, les théologiens de Salamanque.

Ce qu’il est bon de remarquer, c’est que les défenseurs de la légitimité des vœux de précepte se sont, comme leurs adversaires, armés d’un cas particulier : de même que les premiers, pour nier la valeur de ces vœux, arguaient du cas des vœux du baptême qui ne pouvaient, disaient-ils, engager les chrétiens ex virtute religionis, ainsi les défenseurs du lien de religion se sont prévalus du sentiment qui régnait généralement dans l’Église au sujet du vœu de continence absolue des clercs engagés dans les ordres majeurs : celui qui fait le vœu de ce conseil évangélique fait aussi indirectement le vœu du précepte de chasteté qui y est contenu ; il s’engage, non seulement à renoncer au mariage, ce qui lui était permis, mais, par voie de conséquence, à ne pas se permettre ou désirer les jouissances attachées à l’usage des sens dans l’état de mariage, ce qui, tant qu’on n’est pas marié, est une chose déjà de nécessité de précepte et s’impose à tout célibataire sans distinction. Voilà donc, disaient Valencia et ses émules, une matière de précepte qui est vouée proprement comme acte inférieur de cette vertu de continence perpétuelle qui tombe sous le conseil, ou, si l’on préfère, comme condition pour accomplir licitement le conseil. La conséquence est bien évidente et tout à fait traditionnelle ; et les adversaires du vœu des préceptes, comme Gerson, Sylvestre et consorts, qui se sont cru dans la nécessité de nier simpliciter qu’il y ; iit là pour un sous diacre un vœu portant sur une matière commandée, se sont mis dans une situation délicate : on leur opposait, non seulement des textes du Corpus juris. et la décision très nette de saint Thomas, Il’-II’, q. c.i.xxxvi, a. 10, mais, scmblc-t-il,