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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/843

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VŒU. ETUDE THEOLOGIQUE

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le sentiment du peuple chrétien : comme le plus implique le moins, il est manifeste, leur faisait-on observer, que celui qui s’engage par voeu à garder le plus, s’engage par là même à maintenir le moins. Il ne faudrait pas, semble-t-il, demander davantage au sens commun des fidèles, qui pensent sans doute assez juste quand ils voient l’essentiel du vœu de continence de leurs prêtres dans le célibat ecclésiastique, sans se demander à quel titre les obligations de chasteté élémentaire sont impliquées dans ce vœu. On l’a dit justement : « C’est ce caractère de surérogation qui donne à son vœu d’être un vœu proprement dit, car ceci est matière de conseil, non de précepte, et c’est là le « bien meilleur » qui constitue proprement la matière du vœu.

Mais les textes canoniques étaient plus nets, et fort justement les théologiens du xvie siècle ont rejeté les réserves de Gabriel de Tabiena au sujet du vœu des clercs dans les ordres majeurs : le vœu de continence proprement dit inclut la chasteté de précepte, etiam ex virtute religionis. Et du même coup, semblet-il, voilà la preuve que des choses nécessaires au salut peuvent être vouées simpliciter et proprie. On pourrait, sans doute, trouver l’inférence un peu rapide, et distinguer entre une matière objectivement commandée et ces actes d’honnêteté supérieure qui sont donnés comme garantie à des vœux de caractère universel dans l’ordre de telle ou telle matière déterminée. S’il avait été si évident que les religieux, par leur vœu de pauvreté et de chasteté, s’engagent formellement à ne pas voler ou à ne pas commettre l’adultère, il est probable que de grands théologiens comme saint Albert et saint Bonaventure ne seraient pas parmi les opposants aux vœux des préceptes communs à tous. Puisque cette doctrine n’a pas toujours été professée, et que de tous temps le sens chrétien a donné aux vœux un caractère de spontanée promesse et une matière de surcroît, on peut trouver exagérée l’opinion des Salmanticenses qui notent de « sentence catholique et tout à fait certaine » l’opinion très probable qui défend la légitimité de ces vœux en matière commandée. Cf. Kirchberg, De voti natura…, p. 30.

Ce qui est bien plus assuré d’être dans la note catholique, précisément parce que cela respecte le sentiment traditionnel du melius bonum, c’est la doctrine, définitivement établie par les derniers scolastiques, qu’on ne peut vouer quelque chose de contraire aux conseils, promettre de se marier, de ne jamais faire l’aumône : ces libertés-là peuvent se prendre quando exercentur, quand l’occasion s’en présente, puisqu’elles vont hic et nunc contre un simple conseil ; mais on ne peut bonnement s’engager par vœu à faire le contraire de ce que Dieu désire obtenir quelquefois de notre libre consentement.

III. Obligation du vœu.

C’est un point unanimement admis sur lequel il n’y a pas à insister après ce qui a été dit sur l’idée du vœu dans toutes les religions et dans le christianisme. Signalons comme une curiosité la conception spéciale des Grecs, pour qui le vœu, l’action de grâces anticipée de l’homme obligeait les dieux eux-mêmes à répandre leurs bienfaits d’après un rythme proposé par l’homme, « tout ce commerce d’échange étant réglé par la justice », A. Festugière, Vie intellectuelle, mars 1945, p. 138. Mais, pour les Latins, comme pour les Juifs, comme pour nous, le vœu est bien un rite qui oblige l’homme envers Dieu au nom de la religion. Seulement chacun comprend cette obligation en fonction de l’idée qu’il se fait du vœu lui-même.

1. Dans la Tradition.

Notons, dans la Bible, que le vœu oblige comme une dette, Ps., lxxv, 13 ; comme une donation de la personne, Lev., xxvii, 2 ; comme un contrat libellé en forme, sicut ore lw> locutus rs. Deut., xxiii, 23, mais aussi, ajoute saint Paul, comme « une résolution cordiale, qui ne devrait connaître ni tristesse, ni contrainte, mais un joyeux abandon », II Cor., ix, 7. « Acquitte tes vœux et tout de suite, car il vaut beaucoup mieux ne point faire vœu, dit l’Ecclésiaste, v, 4, que de ne point ensuite s’acquitter de ses promesses » ; les prétextes qu’on se donne : l’erreur (d’après les Septante), le faux pas (d’après l’hébr.), l’insouciance de Dieu (d’après la Vulg. et S. Jérôme in h. loc), n’empêcheront pas que « Dieu ne s’indigne de vos paroles », ꝟ. 5, car « Dieu n’aime pas les insensés », ꝟ. 3, ou, comme traduit la Vulgatc, displicet ei infidelis stullaque promissio, Eccl., v, 3. N’est-ce pas ce crime d’infidélité à Dieu que saint Paul condamne chez les vierges chrétiennes ? quia primam fidem irrilam fecerunt ? I Tim.. v, 12.

L’obligation est toujours un peu plus souple, semble-t-il, chez l’ensemble des Pères grecs, du moins pour les vœux privés : l’expression obnoxius voti de notre texte latin d’Origène, Hom. xxiv in Num., P. G., t.xii, col. 761, est à mettre sans doute au compte du traducteur Bufin. Pourtant l’obligation de l’homme apparaît nettement dans le vœu de virginité des moines, ô(i.oXoyla rTjç -apOsvtaç, S. Basile, Grandes règles, c. xv, aveu confirmé par des témoins, P. G., t. xxxi, col. 952, et surtout contrat solennel avec Dieu, op. cit., c. xiv, col. 949. Et pourquoi ? Parce que « celui qui s’est ainsi consacré à Dieu s’est fait sacrilegus », ou plus exactement, d’après le texte grec, « fur sui ipsius, voleur d’une chose sacrée, qui est lui-même — s’il vient à soustraire le don volontaire qu’il a consacré », loc. cit. De même, par extension à la promesse d’obéissance, « tout ce qui se fait sans l’ancien est une sorte de vol et de sacrilège ». Ascetica, loc. cit., col. 630. Voir le commentaire à l’art. Vœux de religion (col. 3259).

Nul besoin de commentaire pour la doctrine des Pères latins, qui est la nôtre. Nos textes bibliques avaient été réunis par saint Cyprien, Testimonia, t. III, c. xxx, P. L., t. iv, col. 752. Pour le vœu de virginité, par exemple, saint Ambroise reprend l’idée chère à saint Cyprien sur la « consécration au Christ ». S. Cyprien, Epist., iv, avec un rappel du jus sacrum : Servare te oporluit fidem quam sub tantis testibus pollicitæs. De lapsu virg., P. L., t. xvi, col. 388. Voici la même consigne avec cette note bien augustinienne que cet assujettissement est officiel et irrévocable comme un mariage : Mam et ipsæ pertinent ad nuptias cum tota Ecclesia, in quibus nuptiis sponsus est Christus. S. Augustin, Tract, in Joann., c. ix, n. 2, P. L., t. xxxv, col. 1459. Plus souvent cependant Augustin lui-même oscille entre la métaphore évangélique du laboureur qui a mis la main à la charrue et ne doit plus regarder en arrière, Enarr. in Ps., lxxxiii, n. 4, t. xxxvi, col. 1057 ; ps. i.xxvi, n. 16, col. 968, la métaphore biblique du débiteur, op. cit., col. 967, et celle des Actes sur la promesse d’Ananie, qui n’était point un vœu et qui a été pourtant punie de mort. Quæcumque hier voverint et non reddiderint non se reputent temporalibus mortibus corripi, sed œterno igné damnari ! Serm.. cxlviii, n. 2, t. xxxviii, col. 799. Ne nous étonnons donc point d’entendre le saint parler le langage du jus sacrum romain, quand le besoin s’en fait sentir : « Quia jam vovisti, jam te obstrinxisli, aliud tibi facere non licet. Avant d’être voti reus, tu étais libre de rester dans un état inférieur. Mais maintenant, Dieu a par devers lui ta sponsio, et, de la garder, ce n’est pas t’inviter à une grande sainteté ; simplement, je te mets en garde contre une grande iniquité… Tu étais petit, naguère, pas plus mauvais pour cela ; mais maintenant te voilà dans l’alternative d’être d’au-