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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/845

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VŒU. ÉTUDE TIIÉOLOGIQUE

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humaine ». Ad 1 l, m. C’est bien là le faible de toute théorie naturaliste qui voudrait, dans le vœu, ne voir qu’une stipulation d’une justice inférieure. Il suffit qu’on se réfère à la religion qui est justice transcendante envers Dieu seul : Dieu, déjà maître de toutes choses par droit de création, acquiert, du fait de notre promesse, sans qu’il ait besoin d’en être assuré par aucune formalité, un droit nouveau ad rem promissam ; il en fait l’objet de ses revendications positives. On ne les pourrait mépriser ou négliger, même par oubli, sans un péché d’injustice envers Dieu, qui devrait dans bien des cas, être réparé d’une façon équitable. Dès lors, omne votum, tout vœu véritable, si privé et si simple qu’il soit, obligat ad sui observationem.

Ce qui est toutefois à noter, c’est que les tiers, qui n’apparaissent que comme bénéficiaires dans ce pacte de justice entre l’homme et Dieu, n’acquièrent aucun droit nouveau du fait du vœu lui-même. De même que, dans la promesse d’homme à homme, « pour que la dite promesse sorte ses effets juridiques, il y a d’autres conditions requises, ad l um, ainsi le transfert de droits, à la suite d’un vœu, ne provient pas de celui-ci, mais soit de la promesse concomitante de justice faite à une personne physique ou morale, soit de l’exécution même du vœu qui placera la chose vouée dans le patrimoine d’autrui. » Vermeersch, op. cit., p. 168.

c) Limites du possible.

Il s’agit ici, non plus de dispositions imprudentes ou de difficultés provenant du sujet lui-même, mais d’obstacles objectifs qui viennent modifier, par voie de changements réels, l’obligation antérieure du vœu. Le sujet est toujours prêt à les offrir, mais ce sont les choses mêmes qui ont été rendues, par le cours des événements, impossibles à livrer au moins dans leur intégrité. « À l’impossible, nul n’est tenu. Or, il arrive que ce que vous avez voué vous devient impossible : ou bien cela dépend d’une volonté étrangère, si, par exemple, vous avez fait vœu d’entrer dans un monastère, et voilà que les moines ne veulent point vous admettre » ; ou bien survient quelque défaut dans la chose promise : « voici une femme qui avait fait vœu de virginité et qui l’a perdue, voilà un homme qui avait fait vœu de donner une somme d’argent, et qui s’en voit dépouillé ». Ad 2° m. On reconnaît les préoccupations constantes des anciens théologiens, défenseurs de l’ordre chrétien établi : tant de jeunes gens faisaient des vœux pour forcer la porte des riches monastères et des jeunes filles se laissaient corrompre pour ne pas s’y voir enfermées sous prétexte d’un vœu. Mais les exemples choisis n’en sont pas moins des cas typiques, applicables à toutes les situations possibles : « Si ce qu’on a voué est rendu impossible pour une raison quelconque, on doit faire ce qui est en son pouvoir et avoir au moins la volonté prête à faire ce qu’on peut. » Ad 2um. Les moralistes ont parlé longuement de l’impossibilité totale, de la possibilité partielle, de l’inutilité notoire de tel vœu, de la frivolité de garder l’accessoire ou la formalité sans valeur. Cf. can. 1311 ; Vermeersch, op. cit., p. 169 ; J. Didiot, op. cit., p. 376-377, qui conclut : « L’impossibilité actuelle de la chose vouée ne laisse rien subsister du devoir de la livrer. » Et « si, d’autre part, on tombe dans cette impossibilité par sa propre faute, on est tenu de plus à faire pénitence de la faute commise ». Ad 2um. L’adage était courant, au moins depuis les Victorins, à propos de la virgo corrupla, et les auteurs avaient finement observé que, n’ayant point fait aussi grand tort à Dieu qu’à soimême, c’est par la pénitence qu’on peut réparer, du même coup, le tort qu’on s’est fait et l’injure faite à Dieu. On peut en dire autant du donateur qui a perdu au jeu la fortune destinée par vœu à des œuvres pies : « Dans un repentir sincère et dans l’accomplissement d’une pénitence sacramentelle ou autre…, la gloire divine et la sanctification du pénitent peuvent retrouver leur profit, quelquefois même dépasser celui… d’une fidélité tiède, vaniteuse et surtout pharisaïque. » J. Didiot, op. cit., p. 366. Dans le cas où la chose promise aurait notablement augmenté de valeur en elle-même, ou d’importance relative pour la situation actuelle de l’auteur du vœu, un jeûne pour un malade, une fondation pieuse pour un homme ruiné, on en vient à appliquer la règle qui va suivre : estime-t-il qu’il aurait fait ce vœu dans sa situation nouvelle ?

d) Limites de l’intention. — « L’obligation du vœu a son origine, sa cause, dans la volonté personnelle et l’intention de celui qui l’émet. Deut., xxiii, 23. Si donc il est dans son intention de s’obliger à l’exécuter immédiatement, il doit le faire sans retard », ad 3um. Le retard, par lui seul, est un danger pour le vœu, Deut., xxiii, 21 ; s’il est considérable, et lors même que la volonté persisterait sincèrement de s’en acquitter, il peut être injurieux pour Dieu, désastreux pour la religion, scandaleux pour autrui, périlleux pour l’accomplissement même. Mais si le délai qu’on se donne vient d’une mauvaise volonté, il y a violation formelle du droit divin et obstination dans la négligence. « Si l’on s’engage pour une date déterminée » — intention suspensive — « ou sous telle condition » — suspensive : quand j’aurai reçu tel héritage, ou résolutoire : si telle personne y donne son accord — « on n’est pas tenu de s’acquitter sur le champ. » Ad 3um.

2. Chez les moralistes :

a) Les vœux douteux. —

Ce ne sont là que les cas les plus clairs — et les plus fréquents — de limitation dans l’obligation du vœu par le fait de celui qui l’a émis ; mais il y en a d’autres bien plus épineux, qui tiennent également à l’intention de l’auteur. Le principe de solution est bien toujours le même : c’est la convention, l’intention, qui fait la loi des parties. Qu’a voulu explicitement son auteur ? Qu’a-t-il implicitement promis ? Tout est là. Mais alors c’est l’intention même qui est douteuse. Les moralistes de l’École avaient coutume de traiter en bloc de tous les « vœux douteux » : ils aboutissaient à des solutions assez opposées au premier aspect : Cajétan, d’un côté, avec Vasquez et Navarre, Soto et Sanchez de l’autre. Suarez, avec sa maîtrise habituelle, y a mis de la lumière, dans une longue thèse qui peut passer pour un modèle de discussion scolastique : il passe en revue les distinctions qui sont devenues classiques en matière de vœux, et leur applique les principes indirects du probabilisme, tels qu’on venait de les extraire du Corpus juris : doute positif inclinant en tel ou tel sens, doute négatif parfaitement neutre, melior conditio possidentis ou bien tutior pars est sequenda, et puis odiosa sunt restringenda. Suarez, De religione, tr. VI, t. IV, c. vvii, Opéra, t. xiv, p. 934-946. À propos de ce dernier principe, voici une de ses maximes : « En matière de vœux, nous avons montré qu’il faut suivre l’interprétation la plus bénigne, et que c’est finalement celle-là qui est la plus favorable à la religion, parce qu’autrement à peine trouverait-on une âme qui oserait se risquer à faire un vœu ! » Op. cit., p. 939.

Voici, en quelques mots, ses décisions devenues d’un enseignement commun chez les moralistes modernes :

a. — Si le doute porte sur l’existence même du vœu : a-t-il été vraiment émis ? ou n’est-ce pas seulement une résolution fervente ? « Si après un examen sérieux le doute subsiste, on est censé ne pas avoir fait le vœu. »