Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/883

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

u9f> VOL. CAUSES OUI Al TO Ml SE NT 3296


III. Causes qui autorisent des soustractions du bien d’autrui.

Il est des actions qui apparemment sont des vols en ce qu’elles soustraient ses biens à autrui contre son gré, ordinairement à son insu, et qui, cependant, ne sont pas injustes sans être nécessairement de tout point légitimes. Elles sont de soi permises, parce que le propriétaire doit être considéré comme irralionabiliter invitus et que, selon l’axiome bien connu, irrationabiliter invito non fit injuria ; celui qui soustrait le bien étranger et se l’approprie ne fait qu’user de son strict droit à l’enlèvement du bien d’autrui, il peut donc y avoir des causes excusantes ; la théologie en nomme deux : l’une assez rare qui est l’indigence ou nécessité ; l’autre, trop tentatrice, la compensation occulte. Mais il faut s’attendre à ce que la légitimité de ces actions dépende de conditions bien déterminées.

La nécessité comme cause excusante.

Donnons

l’état de la question, marquons à quelles conditions la nécessité autorise la soustraction du bien d’autrui ; suivront quelques conclusions pratiques.

1. État de la question.

La circonstance qui peut donner lieu à l’appropriation légitime du bien d’autrui contre le gré du propriétaire ou du possesseur est l’indigence ou nécessité matérielle, mais uniquement, comme s’exprime la théologie, la nécessité extrême ou quasi-extrême, à l’exclusion de la nécessité grave ou commune. En plus de cette condition préalable, d’autres tenant à la nature de la chose soustraite sont encore requises pour que l’appropriation du bien d’autrui soit légitime.

a) Saint Thomas pose la question, II a -II 1P, q. lxvi, a. 7, dans les termes suivants : Utrum liceat furari propter necessitatem. Un moment de réflexion suffît pour remarquer que le titre de l’article est mal formulé ; car, à proprement parler, la nécessité n’est pas une cause excusante ni surtout, comme on serait tenté de le dire par abus de langage, une circonstance légitimant le vol. Saint Thomas d’ailleurs corrige ad 2° m le titre incorrect : le nécessiteux ne vole pas le bien d’autrui quand il s’en empare pour se nourrir en cas de nécessité ; il use d’un droit en prenant ce qui lui appartient et n’a pas à plaider les circonstances atténuantes ni à s’excuser.

Il prend le bien d’autrui, ou mieux ce qui, avant son état de nécessité et l’occasion qu’il a de s’en emparer, était le bien d’autrui ; et il le soustrait à celui qui en était jusque-là le légitime propriétaire pour subvenir à une très grave nécessité matérielle. C’est devenu son bien, sans que, plus tard, il ait l’obligation d’indemniser le précédent propriétaire. Et pourtant celui-ci est invitus ou est supposé invitus : il proteste, il se plaint, il ne cède qu’à la force et menace d’exiger des dédommagements ; mais il ne l’est que déraisonnablement et injustement.

b) Il est donc supposé qu’il n’y a qu’apparence de vol, cette apparence étant supprimée par des circonstances bien déterminées. Celles-ci se présentent sous deux chefs, d’abord la circonstance préalable d’une nécessité matérielle extrême ou quasi-extrême, puis deux autres concernant la chose soustraite, c’est-à-dire la condition de ne pas enlever plus que la nécessité ne le réclame et celle de ne pas léser l’ordre de la charité envers celui qu’on a l’intention de priver de son bien.

2. Ces conditions ont besoin de justification, mais après l’explication qu’elles méritent.

a) Seule la nécessité extrême ou quasi-extrême, à l’exclusion d’une nécessité simplement grave ou commune, peut rendre légitime l’occupation du bien d’autrui.

Par nécessité matérielle on entend ici un état corporel ou matériel comportant des déficiences et des

dangers ou inconvénients pour la vie elle-même, la santé, l’intégrité des membres, l’entretien, les aises et le confort, la liberté légitime, auxquels le sujet est dans l’impossibilité de subvenir actuellement par lui-même, où il ne peut s’aider que par le secours d’autrui et, d’une façon plus précise, dans la question qui nous occupe, par le moyen du bien d’autrui. Est ainsi écarté le cas plus large de l’aumône par secours matériel et par service personnel ; et n’est envisagé que celui d’un secours matériel dont le nécessiteux lui-même s’emparera en l’absence et à l’insu ou contre le gré du maître de l’objet susceptible de subvenir à son indigence. Il s’agit donc d’un cas particulier où la charité, ayant l’obligation d’intervenir et de porter secours, n’a pas conscience de cette obligation ou refuse de la remplir.

La théologie morale distingue quatre degrés de nécessité temporelle, qui sont extrême, quasi-extrême, grave et commune.

Est extrême la nécessité qui, faute de secours matériels, comporte sans aucun doute un danger grave et imminent pour la vie, la santé, l’intégrité des membres, la légitime liberté ; la nécessité quasi-extrême répond à la même situation avec la différence que le danger de perdre ces grands biens n’est pas absolument certain mais seulement très probable. La définition laisse deviner que pareilles nécessités ne se présenteront que rarement, d’autant que nous excluons le cas de secours volontaire et charitable. Mentionnons l’exemple de celui qui, faute d’un morceau de pain qu’il n’a pas le moyen d’acheter et qu’on lui refuse, est sur le point de tomber en faiblesse, ou d’affamés qui, durant une famine, prendront ce qu’ils trouveront dans les champs ; de celui qui, pour échapper à des ennemis qui le poursuivent injustement à mort, s’empare d’une bicyclette ou d’une automobile, ou qui, grièvement blessé, use du même moyen pour se rendre à l’hôpital.

Au contraire, la nécessité grave et la nécessité commune ne comprennent directement que la déficience de biens et d’avantages matériels. Ainsi se trouve en nécessité grave celui qui, sans secours d’autrui, est sur le point de perdre sa situation ou sa fortune ; les pauvres ordinaires, dont ni la vie ni la santé ne sont directement en danger, sont à considérer comme en cas de nécessité commune parce que, sans secours d’autrui, ils sont privés des aises et des commodités ordinaires de la vie.

Pour prouver le droit du nécessiteux de s’emparer de la chose d’autrui, saint Thomas établit un principe très net : in necessitale sunt omnia communia, IIo-II*, q. lxvi, a. 7, puis il en fait l’application au cas particulier de l’occupation du bien d’autrui. L’ordre naturel institué par la divine Providence veut que les biens matériels servent aux nécessités des hommes. Or, la répartition de ces biens entre les hommes par le droit humain n’empêche pas qu’il n’y ait obligation de subvenir aux besoins de tous. C’est ainsi que, tout d’abord, se prouve le devoir de" l’aumône librement accompli par ceux qui ont du superflu en faveur de ceux qui manquent. Mais en cas d’urgente nécessité, l’indigent a le droit de s’emparer ouvertement ou clandestinement de ce qui lui est nécessaire pour subvenir à ses besoins. C’est la Providence et la nature qui lui en confèrent le droit. — Dans ce conflit entre le droit du propriétaire qui, selon saint Thomas, est entré en possession de son bien en vertu des dispositions du droit positif humain, et le droit naturel du nécessiteux à sa vie et à des biens supérieurs, c’est ce dernier qui prévaut, et le possédant qui s’oppose au droit naturel et providentiel de l’indigent ne peut être qu’irralionabiliter invitus.