Aller au contenu

Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/884

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
3297
3298
VOL. COMPENSATION OCCULTE


Toutefois, pareil droit ne s’acquiert ni dans la nécessité grave ni dans la nécessité commune : un tel nécessiteux n’a même pas un droit strict à l’aumône ni donc, à plus forte raison, à l’occupation du bien d’autrui contre le gré du maître. Il a d’autres moyens pour subvenir à son indigence tels que le travail, des assurances, l’intervention de l’État, des œuvres de charité. Ce sont d’ailleurs des nécessités fréquentes dans la société, à toutes les époques, et ce serait une cause de troubles graves si chaque indigent était ou se croyait autorisé à atténuer ses besoins sur le compte des autres et par une reprise sur les riches. Enfin la doctrine de l’Église n’a pas voulu reconnaître un droit aussi exorbitant, et le pape’Innocent XI a condamné la proposition suivante : Permission est /urari, non solum in exlremn necessitate, sed eliam in gravi, S. Off., 2 mars 1679, n. 36, Denz.-Bannwart, n. 1186.

b) Pourtant le droit de l’indigent en extrême nécessité est subordonné à deux restrictions de droit naturel, dont il doit tenir compte sous peine de manquer à la justice commutative.

En occupant le bien d’autrui, il ne faut pas dépasser soit en quantité soit en qualité ce qui est moralement requis pour sortir actuellement de l’extrême nécessité. Pratiquement cela signifie tout d’abord que, si un repas suffît pour subvenir à l’indigence, on n’est pas autorisé à faire des provisions, et surtout que, si l’usage temporaire du bien d’autrui est suffisamment efficace pour écarter l’urgence du grave danger, donc si c’est d’un bien non consomptible qu’on s’est emparé, on devra se contenter de cette simple occupation et rendre l’objet, tel que la bicyclette, sitôt le fianger passé et la nécessité surmontée.

Cet le conclusion est évidente. En effet. les droits de l’indigent sont à la mesure de sa nécessité et n’entament les droits du propriétaire que dans cette même mesure. Or, sitôt les besoins de l’indigent satisfaits, les droits du propriétaire, quand ils sont divisibles, reprennent leur valeur ; pour cette part d’usage non indispensable au nécessiteux le maître devient rationabililer ini’ilus.

L’autre restriction concerne l’ordre de la charité qui prime en faveur du possesseur quand il s’agit de droits à la vie, à la santé, à la liberté. En d’autres termes, si le nécessiteux, pour se tirer d’affaire en s’emparant du bien d’autrui, mettait celui-ci dans l’extrême situation où il se trouvait lui-même, interviendrait la règle dirimant les conflits de droits : le droit du propriétaire à sa vie, à sa santé, à sa liberté est supérieur aux mêmes droits de l’indigent, et celui-ci ne pourrait s’emparer légitimement du bien d’autrui qu’avec son libre consentement. En effet, teienti et consenlienti non fit injuria, mais ce consentant aurait eu le droit d’être rationabililer invitUS.

3. Quelques questions pratiques touchant le sujet, le mode et l’objet d’occupation.

a) Jusqu’ici nous avons supposé que l’indigent lui-même s’emparait du bien d’autrui. Mais les circonstances ne voudront-elles pas qu’en raison de sa détresse il soit dans l’incapacité de se procurer le lecours nécessaire et qu’un tiers, malgré son Intention secourable, se voie lui aussi flans l’impossibilité d’apporter l’aide actuellement urgente. En pareil cas. le principe reste le même, et l’indigent garde son droit d’occuper le bien d’autrui par l’intermédiaire d’une tierce personne. Celle ci, toutefois, ne sera autorisée i le faire que si elle ne peut subvenir à l’extrême nécessité par ses propres biens ; autrement le prin eipe omnia suai communia prend une autre forme. Celle de l’aumône obligatoire qu’il n’est pas licite di mettre a la charge d’un absent qui. lui. n’est pas

actuellement touché par le précepte de la ebariti

bj Une petite question se pose au sujet des procédés à employer pour que l’occupation soit complètement légitime. Si le maître du bien est présent au moment où se produit le cas d’indigence, la prudence tout au moins exige que le nécessiteux fasse connaître son extrême besoin et sollicite l’aumône volontaire, avant de recourir à l’occupation contre le gré du propriétaire. Si, au contraire, le propriétaire est absent, il est de toute convenance de l’avertir de l’emprunt forcé ou de l’occupation forcée qu’on a fait de sa chose.

e) Quant à l’objet deux problèmes subsidiaires sont soulevés par les théologiens.

Premièrement, l’indigent a-t-il le droit de s’emparer d’objets de valeur ou de réclamer de fortes sommes d’argent, par exemple dans le but de sauver sa vie au moyen d’une coûteuse opération" ? S’en emparer pour en faire sa propriété, et pas seulement pour en user transitoirement, n’est certainement pas permis. Le devoir de l’aumône ne va pas jusque-là et le propriétaire lui-même n’est pas obligé de s’imposer des frais extraordinaires pour sauver sa vie ; il n’y a donc aucune raison d’exiger de lui l’abandon de ses biens de grande valeur. C’est à la communauté qu’incombe le devoir de secourir, par des lois sociales, ces grandes misères, et l’État qui la représente doit, de plus en plus, légiférer de telle façon que les biens de la terre répondent à leur finalité providentielle de subvenir aux besoins de tous. Telle est la solution pratique du problème, bien qu’il y ait une certaine controverse entre les auteurs.

Une dernière discussion divise les théologiens : le nécessiteux est-il obligé de rendre la valeur de la chose occupée, si plus tard il est en état de le faire ? Les uns sont pour l’affirmative, parce que, disent-ils, il n’avait besoin que d’un emprunt ; d’autres sont d’un sentiment contraire parce que, ne possédant pas, au moment de sa détresse, l’objet nécessaire ni n’ayant les moyens de se le procurer, en l’occupant pour subvenir à son besoin, il l’a fait véritablement sien et, en conséquence, ne peut être tenu d’en rendre plus tard la valeur. Ce sentiment nous agrée davantage, et nous pensons qu’il ne peut y avoir pour lui tout au plus qu’une obligation de convenance, d’équité, et non de stricte justice.

La compensation occulte.

Donnons-en la définition,

établissons les conditions pour sa complète légitimité et ajoutons une brève conclusion d’ordre pastoral.

1. Définition.

Elle peut se définir : l’acte d’un créancier de s’approprier clandestinement la chose d’autrui qu’à bon droit il prétend lui être due en justice.

Matériellement, elle peut revêtir une des trois formes du péché de vol, en s’opérant surtout par soustraction proprement dite, mais aussi par acception frauduleuse des mains du propriétaire ou encore par rétention d’une chose due. Elle porte donc extérieurement les apparences du vol. D’un côté, quelqu’un enlève le bien d’autrui avec l’intention formelle de s’en emparer pour en faire sa chose, en user et en jouir comme un propriétaire, el non pas pour récupérer un objet prêté ou loué qui serait resté sien. De l’autre, le spolié avait tous les titres pour se regarder comme le maître légitime de ce bien et. au moment où celui-ci lui a été soustrait, il n’était pas à ses yeux chose empruntée ou louée mais véritablement sa propriété. Aussi est il invilus quant à son enlèvement et. s’il en constate la disparit ion, il se déclarera volé.

Pourtant ce ne sont là qu’apparences de vol en raison de deux circonstances spécifiques qui modi h. ni la nature morale de l’acte : la valeur de l’objet