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Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/921

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33’VOLONTÉ. DE DIEU, SALVIFIQUE UNIVERSELLE

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peut recevoir la grâce suffisante, nécessaire à la pénitence, et que Dieu peut l’accorder. Op. cit., n. 219. Il ne suit pas de cette possibilité que Dieu accorde en fait et surtout qu’il doive accorder cette grâce.

b) Discussion. — Quoique certains théologiens qualifient assez durement cette opinion, cf. Chr. Pesch, De gratia, n. 295, il est impossible cependant de la taxer d’erreur ou de témérité. Tout d’abord elle n’exclut ni tous les pécheurs endurcis, ni même tous les réprouvés, mais seulement quelques-uns d’entre eux, de l’action de la grâce suffisante. Ensuite, même à l’égard de ces abandonnés, elle respecte pleinement le dogme catholique de la possibilité de salut pour le pécheur encore en vie. Cette possibilité dépend, en effet, et de la bonne volonté du pécheur et de la grâce divine. Et précisément c’est parce que la bonne volonté fait défaut que la grâce divine fait elle-même défaut. Enfin l’on ne peut dire que ces pécheurs obstinés ont été sans grâce suffisante pour leur salut : « L’état de voie, dit fort à propos Bellarmin, loc. cit., sub fine, ne requiert pas que le pécheur reçoive à chaque instant l’influence de la grâce prévenante, mais que, lorsque cette grâce lui est accordée, il puisse se convertir ou ne pas se convertir, et de plus, qu’il ne soit pas d’une façon certaine et absolue privé pendant tout le cours de sa vie du secours de Dieu et par là privé de toute espérance de salut. » Or, dans l’opinion de Gonet, les pécheurs obstinés et endurcis n’ont pas été privés, au cours de toute leur vie, de toute grâce suffisante au salut.

On peut expliquer de la même façon certaines expressions, d’apparence très dure, de saint Alphonse de Liguori, affirmant que la grâce de Dieu est refusée au pécheur, au jour où la mesure de ses péchés est remplie. Voir, dans les Œuvres complètes de saint Alphonse de Liguori, tr. Dujardin, Tournai-Paris, 1856, t. i, Préparation à la mort, xviir 8 considération : Du nombre des péchés, 1 er point, p. 180-181 ; ibid., xxme considération : Illusions que le démon suggère aux pécheurs, 2e point, p. 240 ; ibid., Maximes éternelles, Méditation pour le mardi, sur le péché mortel, 3e point, p. 415. Voir le résumé de cette thèse et son application dans l’Ami du clergé, 1923, p. 87 sq. ; 347 sq.

Notons en passant que le rejet de l’opinion de Gonet comme improbable — aucun théologien ne la défend plus aujourd’hui — n’implique pas la probabilité d’une opinion diamétralement opposée, selon laquelle, même aux pécheurs obstinés et endurcis, Dieu, à tout instant et jusqu’à la fin de leur existence, confère des grâces tout au moins lointainement suffisantes au salut. Opinion soutenue au xvii 6 siècle par Etienne Agard de Champs, S. J., contre les excès du jansénisme, sous le pseudonyme d’Antoine Richard, De hæresi janseniana ab apostolica Sede merito proscripta, libri très (opus ante annos novem sub Antonii Ricardi nomine inchoatum), Paris, 1654, p. 180 sq. Avant le P. de Champs, d’autres théologiens l’avaient proposée, et Bellarmin la réfute, loc. cit., medio, comme contraire à l’expérience. Le dogme de la grâce suffisante accordée aux pécheurs en vue de leur salut doit s’entendre, conclut-il, d’une grâce accordée par intermittence, en temps opportun. Aussi Suarez penset-il de son côté que la thèse de Gonet, déjà soutenue avant ce théologien par Henri de Gand, Tostat, Médina, Catharin, peut présenter un sens acceptable, à savoir que, par rapport à certains pécheurs, Dieu veut se comporter de telle sorte qu’il leur refuse, à cause de leurs péchés, les secours nécessaires au salut, bien qu’à d’autres, ayant des fautes semblables et peut-être plus graves, il ne refuse point les mêmes secours. Ces péchés, en effet, méritent une peine et il peut être utile, pour manifester sa justice et inculquer la terreur aux criminels, que Dieu applique

parfois cette peine. Suarez, De pœnilenlia, disp. VIII, sectr ii, n. 3-5 ; in /// am p. Sum. S. Thonxee, q. lxxxvi, a. 1.

2. Doctrine aujourd’hui communément enseignée. — Cette doctrine concerne soit les adultes, soit les enfants encore privés de l’usage de la raison et ceux qui doivent leur être assimilés.

a) Les adultes. — Leur situation a été examinée à Grâce, t. vi, col. 1595-1604, à la lumière des documents du magistère que nous avons rappelés plus haut. L’enseignement catholique peut être ainsi présenté en raccourci : Si Dieu accorde à tous, sans exception, les grâces nécessaires au salut, il ne les donne pas à tous d’une manière égale. Quelle différence entre les chrétiens et les in fidèles 1 Et même entre chrétiens et chrétiens ! Certaines âmes destinées à de grandes choses ont été comblées par Dieu : la sainte Vierge par exemple. II n’y a aucune injustice à cela : Dieu ne doit sa grâce à personne ; il la donne comme il le veut, non pas arbitrairement et par caprice, mais librement et selon les insondables desseins de sa providence.

Pour les justes, c’est une vérité de foi qu’ils reçoivent toujours de Dieu la grâce nécessaire pour persévérer dans -la justice.

Les pécheurs reçoivent des grâces suffisantes pour se repentir et faire ensuite leur salut. Cette vérité est de foi pour les pécheurs ordinaires ; elle est certaine pour les pécheurs obstinés, qui s’endurcissent dans leur vie de péché. Mais la grâce accordée par Dieu n’est pas de tous les instants ni toujours immédiatement suffisante : la conversion, ordinairement du moins, ne s’effectue que peu à peu, lorsque le pécheur a accepté les premières grâces. Ce principe général a reçu de Suarez quatre précisions non négligeables : 1° Dieu donne au pécheur la grâce suffisante, mais sans lui accorder une grâce excitante qui touche continuellement et toujours son âme ; 2° Dieu, autant qu’il est en lui, ne refuse pas au pécheur la grâce excitante, mais il la lui confère en temps opportun ; 3° la grâce excitante extérieure est accompagnée d’une grâce intérieure ; 4° À l’excitation intérieure ne peuvent être assignés avec certitude des moments déterminés ; toutefois deux assertions grandement probables peuvent être formulées. Tout d’abord, il existe un temps où la pénitence est absolument nécessaire pour le salut, c’est, pour le fidèle en état de péché mortel, l’heure de la mort : à cet instant, il est très vraisemblable, même en l’absence de toute excitation externe à la pénitence, que Dieu s’adresse au cœur du pécheur et que la grâce ne fait jamais défaut à ce pécheur, à cet instant suprême. En dehors de ce cas extrême, on ne voit plus d’époques où la grâce soit plus nécessaire au pécheur qu’en d’autres temps de sa vie. Toutefois il est croyable qu’en toute occasion opportune d’accomplir une bonne œuvre, la grâce de Dieu ne fera pas défaut à cet homme. De gratia, t. IV, c. x, n. 2-9.

Aux infidèles, Dieu ne refuse pas la grâce nécessaire au salut. On distingue toutefois les infidèles positifs et les infidèles négatifs. Les premiers sont ceux qui, après avoir professé la religion chrétienne, l’ont rejetée ou qui, l’ayant connue, n’ont pas voulu l’embrasser. Ils rentrent dans la catégorie des pécheurs obstinés. Les seconds sont ceux qui n’ont jamais connu la religion chrétienne. Même à ceux-ci Dieu accorde des grâces de conversion, au moins lointainement suffisantes qui, s’ils y répondaient, leur permettraient de parvenir peu à peu au salut. Sur les moyens extraordinaires de salut, mis par Dieu à la disposition, des infidèles, voir L. Capéran, Le problème du salut des infidèles, essai théologique, Toulouse, 1934, p. 102142 ; Infidèles (Salut des), t. vii, col. 1739 ; 1912. 1929.