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BARDESANE — BARDESANITES

astrologique de Bardesane d’une théorie philosophique de Valentin, Philosophoumena, VI, 50, P. G., t. xvi, col. 3278-3279, et qu’on lui attribua la conception d’un père et d’une mère de la vie distincts du soleil et de la lune (Michel le Syrien).

Il suit de là que saint Éphrem reprocha seulement à Bardesane d’avoir fait dépendre l’ornementation du paradis terrestre du soleil et de la lune (du père et de la mère) et non de Dieu immédiatement. Opera, t. ii, p. 558.

Nous ne savons pas de manière claire, d’après saint Éphrem, t. ii, p. 551, 553, et Michel, comment Bardesane rendait compte des détails de la création de l’homme. Pour lui, l’homme était créé à l’image de Dieu, Lois des pays, p. 31, et se composait d’une intelligence, d’une âme et d’un corps, ibid. p. 40 ; le corps était formé du mélange des éléments : feu, vent, eau, lumière et obscurité, ibid., p. 59-60 ; mais fit-il intervenir les planètes dans la formation de ce corps qu’elles devaient régir, imagina-t-il une première création de quatre substances : l’intellect, la force, la lumière et la science, desquelles devaient procéder les âmes des hommes ? Nous en sommes réduits aux conjectures.

Nous ne connaissons pas non plus la conception que Bardesane avait du Saint-Esprit. S. Éphrem, Serm., lv, t. ii, p. 527. Il semble lui avoir attribué un rôle dans la séparation de la terre et des eaux lors de la création, Gen., t. i, 2, et l’avoir assimilé à une jeune fille, ce qui est tout naturel de la part d’un Syrien pour lequel le mot esprit, rûḥo’, est féminin.

Il nous semble certain du moins que Bardesane n’admit pas au bénéfice de la résurrection le corps humain formé des éléments et soumis aux planètes, et qu’il dut par suite doter le Sauveur d’un corps différent du nôtre qui pût jouir de l’immortalité. D’après les Philosophoumena, VI, 35, P. G., t. vi, col. 3250, « Bardesane dit que le corps du Sauveur était spirituel, car le Saint-Esprit vint sur Marie : la sagesse, la puissance du Tout-Puissant et l’art créateur (vinrent) pour conformer ce que le Saint-Esprit avait donné à Marie. » Ce texte semble donc indiquer simplement que le corps du Sauveur fut formé en Marie de manière toute spéciale, pour qu’il ne fût pas corruptible comme le nôtre, mais on ne tarda pas à prêter à Bardesane l’opinion et la formule même de Valentin, d’après lequel le corps du Sauveur descendit du ciel et passa par Marie « comme l’eau passe à travers un tube ».

En somme nous avons évité d’appliquer à Bardesane l’épithète de gnostique, parce qu’elle semble renfermer les théories du dualisme et de l’émanation qu’il n’a jamais professées. Si l’on veut cependant continuer à donner le nom général de gnostiques à tous les savants philosophes néo-chrétiens des premiers siècles qui cherchèrent à introduire dans le dogme chrétien toutes les philosophies et toutes les connaissances profanes, il serait à souhaiter qu’on particularisât cette épithète, comme l’a déjà fait l’auteur des Philosophoumena. Celui-ci en effet commence par exposer les théories des philosophes païens (l. I) et des astrologues (l. IV), puis il rattache chaque gnostique à la source d’où découlent ses erreurs ; c’est ainsi qu’il rattache Basilide à Aristote, VII, 14-22, P. G., t. xvi, col. 3295-3322, Marcion à Empédocle, VII, 31, col. 3334, Noétos à Héraclite, IX, 7, col. 3370, etc. Dans ce cas, sans hésitation aucune, puisque les théories connues et caractéristiques de Bardesane dérivent de l’astrologie, nous en ferions un gnostique (philosophe) astrologue.

Sources pour l’histoire de Bardesane : Jules l’Africain, Κίστοι, dans Veterum mathem. opera, Paris, 1693, p. 275 ; Porphyre, De abstinentia, iv, 17, et De styge (cité par Stobée, Eclogæ phys. et eth.), Eusèbe, H. E., iv, 30, P. G., t. ciii, col. 401-404 ; Præp. ev., vi, 9-10, P. G., t. xxi, col. 464-476 ; Diodore de Tarse, cité par Photius, Bibliotheca, cod. 223, P. G., t. ciii, col. 829, 870 ; S. Épiphane, Hær., P. G., t. ciii, col. 989-993 ; S. Éphrem, Adversus hæreses sermones, dans Opera syro-latina, Rome, 1740, t. ii ; Carmina nisibena, édit. Bickell, Leipzig, 1806, p. 173, 175-178, 186-188, 200 ; S. Ephrœmi… opera selecta, édit. Overbeck, Oxford) 1865 ; S. Jérôme, De viris illust., 33 ; Adv. Jov., ii, 14, P. L., t. xxiii, col. 647-649, 304 ; Sozomène, H. E., iii, 16, P. G., t. lxvii, col. 1089 ; Théodoret, Hær. fab., l. II, P. G., t. lxxxiii, col. 372 ; La chronique d’Édesse, édit. Hallier, dans Texte und Untersuchungen, Leipzig, 1892, t. ix, fasc. 1er  ; Georges, évêque des Arabes, et Moïse Bar Cépha, dans Nau, Lois des pays, p. 58-62 ; Théodore Bar Khouni, dans les Inscriptions mandaïtes des coupes de Khouabir, par Pognon, Paris, 1899, p. 169, 177-179 ; Michel le Syrien, Chronique, édit. Chabot, Paris, 1900, t. i, fasc. 2, p. 110. La plupart des sources anciennes sont citées dans Hilgenfeld, Bardesanes der letzte Gnostiker, Leipzig, 1864, et dans Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur bis Eusebius, Leipzig, 1893, t. i, p. 184-191. Les textes de saint Éphrem et les sources découvertes récemment seront publiées et traduites dans la Patrologie syriaque de Mgr  Graffin, t. ii.

Aux auteurs déjà cités ajoutons A. Hahn, Bardesanes gnosticus, syrorum primus hymnologus, Leipzig, 1819 ; Kühner, Bardesanis gnostici numina astralia, Heidelberg, 1833 ; Lipsius, Die apocryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Brunswig, 1883-1890, t. i, p. 297-308, 319-345, 527 ; t. iii, p. 425 ; Rubens Duval, Anciennes littératures chrétiennes. La littérature syriaque, Paris, 1899, p. 241-248. On peut lire sur l’astrologie le livre IV des Philosophoumena, P. G., t. xvi, ou plutôt Julii Firmici Materni matheseos libri VIII, Leipzig, 1894.

F. Nau.

BARDESANITES, hérétiques syriens du iiie siècle. — I. Histoire. II. Erreurs.

I. Histoire. — Nous avons dit que le Dialogue des lois des pays de Bardesane était une œuvre de transition entre le paganisme chaldéen et le christianisme. Il dut en être de même de toute sa philosophie. Il était en avance sur le milieu ambiant, quand il affirmait à Édesse, au iie, après sa conversion, le libre arbitre de l’homme, l’unité et la toute-puissance de Dieu ; mais il avait le tort de soumettre le corps à l’action des astres, et d’être ainsi amené à nier sa résurrection et à ne pouvoir faire de ce corps esclave le corps immortel du Sauveur. On ne tarda pas à le lui reprocher, et ses disciples, au lieu d’amender sa doctrine et de la rapprocher de la Bible, n’eurent souci, semble-t-il, que de l’en écarter. Son fils Harmonius apprit le grec à Athènes, Théodoret, H. E., iv, 26, P. G., t. lxxxii, col. 1189 ; Hær. fab., i, 22, P. G., t. lxxxiii, col. 372, et ajouta déjà aux erreurs paternelles celles des Grecs touchant l’âme, la naissance et la destruction des corps et la palingénésie, il composa aussi de nombreux cantiques. Sozomène, H. E., iii, 16, P. G., t. lxvii, col. 1089. Il est, d’ailleurs, inexact qu’Harmonius ait été le premier, comme l’ajoute Sozomène, à composer des poésies en langue syriaque, et qu’il l’ait fait à l’imitation des maîtres grecs. Saint Éphrem combattit les bardesanites, qui étaient alors tout-puissants à Édesse, mais il eut peu de succès, semble-t-il, car Rabboula, évêque d’Édesse (412-435), trouva tous les grands de la ville attachés à cette hérésie, et eut seul le mérite de l’extirper, dit son biographe. Bedjan, Acta martyrum et sanctorum, t. iv, p. 431-432. Il resta cependant encore des bardesanites en Mésopotamie ; Jacques d’Édesse et Georges des Arabes les mentionnent du viie au viiie siècle, et Masoudi au xe. Il est à craindre cependant que ce nom n’ait pas tardé à désigner des valentiniens, et surtout des manichéens, heureux de se réclamer du nom longtemps respecté et toujours célèbre de Bardesane, car ces bardesanites professent les erreurs de Valentin et de Manès, ceux de Masoudi, en particulier, sont dualistes.

II. Erreurs. — 1o Ils prirent leur nom de Bardesane, et saint Éphrem le leur reproche souvent, Opera, t. ii, p. 485, 489, 490, 494, 559, car « les chrétiens n’ont qu’un nom, les païens et les hérétiques en ont un grand nombre ». Ils conservèrent aussi ses préoccupations