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BEATITUDE


le développement suprême de l’action humaine : science qu’il nomme éthique et qu’il divise en trois parties : l'éthique individuelle, familiale et sociale. Ethic. Nie, 1. I, c. I-III, édit. Didot, t. ii, p. 1, 2.

On peut partager ainsi le traité du philosophe : a) critique des opinions ; b) définition de la béatitude ; c) l’acte béatifiant ; d) la cause de la béatitude ; e) la question du bonheur en cette vie et après la mort.

à) Critique des opinions. — Aristote examine successivement les opinions du vulgaire et l’opinion de Platon. Les premières mettent le bonheur dans le plaisir, les honneurs, la verlu, les richesses. Aristote réfute ces opinions en s’appuyant principalement sur ce motif que ces biens sont recherchés en vue d’autres biens, aXXou yàpcv, et ne sont pas de véritables fins. Ethic. Nie., 1. I, c. v, t. il, p. 3, 4. — L’opinion de Platon met la béatitude dans la participation à l’idée séparée du bien. C’est en abordant sa critique qu’Aristote prononce le mot fameux : <à|A<po£v yàp ovxotv tpîXoiv ouiov itpoTijiâv rî)V àXr^Eiav. Ibid., c. vi, p. 4. Ce qu’Aristote critique, c’est la prétention qu’aurait, selon lui, Platon de faire du bien une idée générique, identique à elle-même dans toutes ses participations, lesquelles ne sont que des ombres du bien et non pas des biens : Oùx Sortv àpa xà àyaQôv xoivrfv ti xaxà |x.îav îSlav, ibid., p. 5 : ce qui va à l’encontre du fait de la multiplicité des biens, ayant chacune son essence propre. Le bien n’existerait plus qu'à l'état de participations analogiques. Ces apparences de bien seraient l’objet des actions humaines, qui cependant réclament un objet réel qu’elles produisent ou qu’elles puissent posséder. Le bien séparé ne saurait être même l’exemplaire de nos buts prochains d’activité ; aucune science et aucun art n’en tenant compte, elle n’est d’aucun usage. Tout l’effort de ce chapitre est de renvoyer à la métaphysique la question du bien en soi et d’en débarrasser la morale. Il importe de remarquer avec saint Thomas qu’Aristote ne nie pas l’existence d’un bien séparé, puisque lui-même la reconnaîtra au XIIe livre des Métaphysiques, comme fin de l’univers. Il nie seulement que la béatitude humaine soit dans la participation formelle, directe, de ce bien. S. Thomas, Ethica, 1. I, lect. vii, § Serf qualiter.

b) Définition de la béatitude. — En tant qu’objet, c’est la fin ultime de l’homme. Car ce que nous recherchons par chacune de nos activités c’est un bien. Donc, s’il « st une fin à laquelle se rapportent toutes ces activités de l’homme, ce sera le souverain bien. Ethic. Nie., 1. I, c. vii, p. 5. Deux caractères du souverain bien : désirable pour soi et non pour un autre bien ; suffisant pour rendre à lui tout seul la vie désirable et ne manquer de rien. Ethic. Nie, c. vii, p. 6. Où trouver la réalisation de cette définition abstraite ? Ce ne peut être, selon Aristote, que dans une opération de l’homme, dans une opération qui lui soit propre, dans une opération selon la raison, et, de préférence à l’opération qui ne fait que participer la raison (vertu morale), dans l’opération même de la raison. Ethic. Nie, 1. I, c. vii, p. 6, 7. Il le prouve, en poursuivant la comparaison de notre activité totale d’homme avec nos activités particulières. Comme le bien, la perfection, la fin du joueur de cithare est de bien jouer de la cithare, ainsi le bien, la fin, la perfection de l’homme est de bien faire son action d’homme. Ibid. Il le confirme par l’aveu contenu dans les dires des opinions des sages. Ethic. Nie, 1. I, c. viii, p. 6, 7.

c) L’acte béatificateur. — C’est au livre X, c. vii, de l'Éthique qu’il nous faut chercher une détermination plus précise de l’acte rationnel auquel est attachée, selon Aristote, la béatitude de l’homme. Ce sera un acte de spéculation, de contemplation. 'On o’etti 9ewpr)rtxv). I Ethic. Nie, 1. X, c. vii, p. 124. Aristote appuie sa soluj tion de ces six arguments : a. l’excellence de l'énergie intellectuelle, prouvée par l’excellence de son objet ;

b. sa continuité et sa permanence, que l’action ne saurait égaler ; c. la jouissance incomparable qu’elle cause ; rf. son « autarchie » , c’est-à-dire sa suffisance intrinsèque : la contemplation n’a pas besoin, comme la vertu (la libéralité par exemple), d’une matière d’exercice ; e. elle est désirable pour elle-même, tandis que la vie active cherche toujours quelque chose par de la son effort ; f. l'état de repos total où elle nous introduit, au rebours des activités de la vie pratique. Ainsi toutes les conditions de la vie bienheureuse énumérées au I er livre, et d’autres encore, qui en sont les dérivées, se trouvent réalisées dans la contemplation. — Suit la réfutation de l’opinion de Simonide (cf. I Metaph.) qui disait qu’une telle vie était au-dessus de la nature humaine, et l’exhortation sublime à vivre selon la meilleure partie de soimême en dépit des biens mortels. Ethic. Nie, 1. X,

c. vii, p. 124, 125.

D’ailleurs, la deuxième place appartient aux actes de la vie vertueuse. Ce sont, en effet, des actes humains, par lesquels nous entrons en possession de notre bien. Mais, n’ayant qu’une participation de la lumière rationnelle à laquelle ce bien appartient en propre, ils passent au second rang. Ils exigent d’ailleurs un matériel qu’il n’est pas à la portée de tous d’avoir et dont cependant ils ne peuvent se passer. La magnificence, par exemple, exige une haute situation. Aussi, " les dieux » n’ont pas cette vie, tandis qu’ils ont la contemplation. Les animaux, au contraire, qui ne contemplent en aucune manière, ont des traits communs avec nos habitudes vertueuses. Ibid., c. ix, p. 126. D’où, le sage qui contemple est chéri des dieux. Ibid., p. 127.

On peut considérer aussi le plaisir comme faisant corps avec la béatitude, à titre d’accompagnement ou de conséquence des actes béatificateurs. « Il est à l’acte bon, ce qu’est à la jeunesse sa fleur. » Ethic. Nie, 1. X, c. iv, n. 6, 8, p. 120. Des travaux récents ont agité la question de savoir si, d’après Aristote, le formel de l’acte béatificateur est dans le plaisir ou dans l’opération qui le cause. M. Brochard tient pour le plaisir. Le P. Sertillanges, fidèle à l’interprétation de saint Thomas d’Aquin qu’il appuie sur des textes convainquants, réfute cette opinion et place l’essence du bonheur dans la réalisation même du bien qui est la perfection de l’homme. Voir la bibliographie.

rf) La cause de la béatitude. — Ce n’est pas la bonne fortune. Sa cause humaine est notre effort vers le bien. Ce qui n’exclut pas le don divin. Ethic. Nie, 1. I, c. ix, p. 9.

e) Le bonheur en cette vie et après la mort. — Aristote réfute l’opinion célèbre de Solon à savoir que l’on n’est heureux qu'à la mort ; car comment être heureux du moment que la mort met fin à l’opération qui béatifie ? Il concède du reste que pour juger du bonheur d’une vie il faut attendre l’heure de la mort. Dans tout cela il ne s’agit que des bienheureux de la vie terrestre, u, e « iaptov)ç… Twv Çûvrtov. Ethic. Nie, 1. I, c. i, p. 10, 11. Nous voudrions entendre Aristote parler comme Platon du bonheur au delà de la mort. Il n’en parle que pour montrer que le souvenir, la gloire, etc., ne sauraient constituer un bonheur pour le mort. Aristote s’est tenu dans le bonheur relatif sur lequel peut compter un mortel. Aussi tout l’effort de saint Thomas en face de cette mélancolique conclusion, est de réserver, en son nom propre, la béatitude de la vie future, Ethic, 1. 1, lect. XVI ; en interprétant cependant la restriction d’Aristote comme un regret : Subdit quod taies dicimus beatos sicut homines qui in hævita mutabilitati subjecti, non possunt perfectam bealitudinem habere. Et, quia non est inane desiderium naturse, recte existimari potest quod reservatur homini perfecta beatitudo post hanc vitam.

2. Influence d’Aristote sur la théologie de la béatitude.

C’est par Albert le Grand et saint Thomas que ['Éthique a pénétré dans la théologie de la béatitude,