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BELLARMIN


une fête qu’il avait contribué à établir, la fête des Stigmates de saint François d’Assise. Il avait, pendant sa dernière maladie, fait une déclaration qu’il est juste de rappeler : « Il protesta de mourir en la foy, en laquelle il avoit vescu, et dit au Père André Eudémon-Jean, qui estoit présent, que tout ce que ledit cardinal avoit escrit et imprimé de ce qui concernoit la foy, à l’encontre des hérétiques, et aussi de la matière De gratta et de auxi-Uis, il le ratilioit et le conlirmoit de nouveau, et vouloit que le dit Père en rendit témoignage particulier en public, principalement contre les hérétiques, qui alloient calomniant qu’il s’estoit dédict en beaucoup de choses. » Discours des choses mémorables qui se sont passées au trespas, et aux funérailles du feu cardinal Bellarmin de très illustre et glorieuse mémoire, in-12, Paris, 1622, p. 32. Même témoignage dans Y Imago virtutum Roberti card. Bellarmini, par Marcel Cervin, c. XLI, Sienne, 1622.

12° La cause de Bellarmin. — Tout concourait à glorifier la mémoire du détunt : la vénération témoignée par la foule à ses funérailles, les magnifiques éloges que lui décernèrent un grand nombre de cardinaux et de saints personnages, les immenses travaux qu’il avait entrepris pour l’honneur de Dieu et de l’Église, la vie toute de piété, de zèle et de charité qu’il avait menée, enfin l’éclat des dons surnaturels qui ne lui avaient pas manqué, surtout pendant son séjour à Capoue et après sa mort. La cause fut introduite sous Urbain VIII, le 15 janvier 1627, et le titre de "Vénérable fut dès lors acquis au serviteur de Dieu. Une première congrégation préparatoire sur l’héroïcité des vertus aboutit, le 7 septembre 1675, à un vote unanimement favorable des vingt-deux théologiens consulteurs. Dans la congrégation générale qui eut lieu sous Innocent XI, le 26 septembre 1677, et qui se composa de trente-huit membres, seize cardinaux et vingt-deux consulteurs, la pluralité des suffrages, en tout vingt-huit, restèrent favorables ; mais de vives oppositions s’élevèrent. Quelques-uns, comme le cardinal Barbarigo, ne contestaient pas au vénérable serviteur de Dieu la sainteté de la vie ; ils doutaient seulement de l’héroïcité des vertus, ou du moins n’en trouvaient pas la preuve suffisamment établie ; et ce fut aussi la principale objection du promoteur de la toi, Prosper Bottini. D’autres, comme le cardinal Azzolini, allaient plus loin ; s’appuyanl sur les faits déjà signalés, ils accusaient Bellarmin d’avoir, en diverses circonstances de sa vie, manqué d’humilité, de charité, de prudence, de discrétion et même de véracité. A ces difficultés s’ajoutèrent des défauts de forme qui retardèrent la cause. Une nouvelle information eut lieu en 1719, sous Clément XI ; Prosper Lambertini y parut comme promoteur de la foi. Le pape, on ne sait pourquoi, ne prit aucune décision. Sur d’instantes demandes, adressées au saint-siège, la cause fut reprise par ordre de Benoit XIV ; le 16 juillet 1748, il nomma rapporteur le cardinal Cavalchini. Une nouvelle congrégation générale se tint le 5 mai 1753 ; vingt-cinq sull’rages sur vingt-sept furent favorables, malgré l’opposition violente et tapageuse du cardinal Passionei qui, dans un vote souvent exploité depuis lors, tira de l’autobiographie de Bellarmin les mêmes objections que le cardinal Azzolini, mais en les aggravant et en y joignant des considérations d’ordre politique sur les difficultés que pourrait susciter au saint-siège, : en France ou ailleurs, la béatification de l’auteur des Controverses et du traité contre Barclay. Voti… nella causa délia bcati/icazione del venerabile scrvo di Dio card. R. Bellarmino, 2e édit., Ferrare, 1762.

Contre l’attente générale, Benoît XIV en resta là. Ce n’est pas que son jugement fût opposé à celui de la majorité ; il était facile de le présumer en se reportant à ce qu’il a dit de cette cause dans plusieurs passages de son grand ouvrage De servorum Dei bealificatione et

beatorum canonizatione, 1. NI, c. x, n. Il ; c. xxi, n. 10 ; c. xxxiii, n. 20 ; c. xxxiv, n. 30 ; c. xl, n. 9, 19 ; cꝟ. 1. II, c. XXVIII, n. 4. Mais on n’en est plus à des présomptions ; dans des papiers du même pape, on a retrouvé son Votum, ou l’expression de ce qu’il dit dans la congrégation générale du 5 mai. Les conclusions sont pleinement favorables au sorviLeur de Dieu ; le point capital de l’héroïsme y est, en particulier, nettement résolu. Après avoir remarqué que la méthode ordinaire consiste à prouver l’héroïsme dans l’exercice des vertus théologales et morales que le vénérable a eu l’occasion et l’obligation de pratiquer, Benoit XIV ajoute (je traduis littéralement sur une copie du document photographié) : « C’est là ce que les postulateurs se sont efforcés de faire, non seulement en répétant ce qui avait été déjà dit, mais en le renforçant de preuves plus importantes qui n’avaient pas été d’abord données dans le sommaire. Mais pour ce qui est de l’héroïsme dans le cas dont nous nous occupons, il semble plus expédient de se demander si, présupposé ce qui dans le cas présent est prouvé, à savoir la pureté de conscience ou absence de péché dans la longue carrière d’un homme qui vécut soixante-dix-neuf ans, et l’observance continuelle des préceptes et des conseils évangéliques, selon l’état de religieux de la Compagnie de Jésus que le serviteur de Dieu avait embrassé, — si, dis-je, le fait de n’avoir jamais manqué en rien de ce qui touche à l’état de religieux, de cardinal et d’archevêque, le fait aussi de s’être dépensé utilement toute sa vie pour notre sainte foi, ne suffit pas pour faire de ce serviteur de Dieu un héros supérieur au commun degré des autres gens de bien. Cela suffit, croyons-nous, et c’est ce que nous nous sommes efforcé de prouver, dans notre ouvrage De cattonizatione, avec les auteurs que nous y avons cités. »

Les raisons qui déterminèrent l’auteur de ce Votum à ne pas émettre le décret sur l’héroïcité des vertus, sont connues maintenant. Une série de lettres, échangées à ce sujet entre Benoit XIV et le cardinal de Tencin, montre que le grand pape fit céder sa ferme conviction et ses propres désirs à des raisons de haute prudence, à la crainte surtout de fournir une nouvelle matière au feu des fureurs gallicanes et jansénistes dans les parlements de France. Dans une lettre du 29 août 1753, Benoit XIV dit au sujet de la réunion du 5 mai : « Nous parlâmes de la cause fort au long et nous renvoyâmes notre déclaration à un autre temps. Nous l’aurions même déjà donnée conforme à la pluralité des voix, si les prudentes réflexions que vous nous avez fait faire ne nous avaient déterminé à un plus long délai et à attendre des conjonctures plus favorables… Nous avons dit en confidence au général des jésuites que le délai de la cause ne venait point des pauvretés débitées par le cardinal Passionei, mais des tristes circonstances du temps. » Voir Études religieuses, 15 avril 1896, t. Lxvii r p. 668 sq. Sous le pape Léon XII, on put croire à l’existence de conjonctures plus favorables, et un nouvel examen de la cause fut entrepris en 1828 ; mais la mort du pape et celle du général des jésuites créèrent un nouvel obstacle.

D’ailleurs, pour conclure par une remarque du docteur Hefele, « Bellarmin, sans être canonisé, reste pour tout catholique vénérable au plus haut degré, et ceux qui ont voulu le salir n’ont fait que se clouer eux-mêmes au pilori. » Kirehenle.rikon, 2e édit., Fribourgen-Brisgau, 1883, t. ii, col. 292. « La sincérité de sa dévotion, sa charité et le désintéressement de son zèle, lit-on dans la Grande encyclopédie, n’ont jamais été contestés que dans des libelles émanés de basses officines protestantes, tels que la Fidèle et véritable histoire de la mort désespérée de Robert Rellarmin, jésuite. » Il s’agit là d’un immonde pamphlet que les protestants eux-mêmes ont stigmatisé, comme « plein de grossiers