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BENOIT XII

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nion de Jean XXII, et que sur ce point, comme sur plusieurs autres, il est nécessaire de contrôler les gloses des chroniqueurs, même de ceux qui furent contemporains des événements.

A l’emprisonnement de Thomas Walleîs s’ajouta bientôt une autre cause de surexcitation. Dans le louable dessein de faire élucider la question qu’il avait soulevée, Jean XXII provoquait de toute part les recherches des évoques et des maîtres en théologie. De là diverses études ou commentaria sous lorme de lettres ou de petits traités, dont quelques-uns seront indiqués à la lin de cet article. Parmi ces auteurs se signala le célèbre Guillaume Durand de Saint-Pourçain, évêque de Meaux ; dans un Tractatus de statu animamm sanctarum postquam rcsolulæ sunt a corpore, il invoqua contre l’opinion nouvelle de bons arguments : le dogme de la descente du Christ aux limbes, d’où il délivra les âmes des anciens Pères ; les paroles du Christ au bon larron, Luc, xxiii, 43 ; l’exemple du mauvais riche, Luc, XVI, 22 ; la doctrine de saint Paul, Phil., i, 23 ; II Cor., v, 1 sq. ; celle de saint Jean, Apoc, VI, II, et datée sunt Mis singulse stolæ albse ; l’autorité de quelques Pères, comme saint Grégoire, Dialog., I. IV, c. xxv, xxviii ; les prières liturgiques et le sentiment commun de l'Église ; diverses raisons théologiques. Raynaldi, an. 1333, n. 49 sq., t. v, . p. 570 sq. L’opuscule était vivant et remarquable à plus d’un titre ; mais le Doclor resolutissimus avait présenté quelques-uns de ses arguments sous une forme contestable ou les avait accompagnés d’assertions incidentes qui rencontrèrent une vive opposition, même parmi les défenseurs de la vision béatitique immédiate. Ainsi, d’après lui, les saints de l’Ancien Testament détenus aux limbes n’y souffraient pas d’autre peine que la privation de la vision béatilique ; Jésus-Christ n’a pu délivrer leurs âmes qu’en leur accordant la claire vision de l’essence divine ; dans l’hypothèse où l’Ame de saint Paul n’aurait pas au ciel la claire vision de Dieu, il ne lui serait pas plus avantageux d'être avec le Christ que de vivre ici-bas ; l'âme séparée, étant esprit, ne peut recevoir de joie des choses corporelles ; les anges ne souhaitent pas contempler l’humanité du Christ ; aussitôt après la mort, Dieu récompense ou punit l'àme dans toute la mesure du possible, etc. Ces affirmations et quelques autres furent réunies en onze articles, auxquels le cardinal Jacques l’ournier opposa ses Quæsliones undecim, réfutation modérée dont Raynaldi a donné des extraits. Ibid., n. 59 sq., t. v, p. 575 sq. Il y était établi, entre autres choses, que les esprits angéliques et les âmes séparées voient les choses corporelles par l’entendement, et qu’elles peuvent en recevoir de la joie ; qu’elles sont perfectionnées, éclairées, remplies de grâce par l’humanité de Jésus-Christ ; qu’elles la voient intuitivement et non par la loi ; que cette vue est un bien inestimable, mais qu’il est vrai néanmoins que saint Paul, en tormant le désir de voir Jésus-Christ, portait directement sa pensée vers la divinité. De son côté, Jean XXII lit soumettre les onze articles à une commission de seize membres, cardinaux, évoques ou docteurs, présents à la cour pontificale ; au mois de septembre II !  :  ;  : '., ions les articles furent censurés. Denifle, op. cit., p. 418 sq. L’affaire n’eut pas de conséquences pratiques pour I évêque de Meaux, grâce surlout à l’attitude que les circonstances Qrent prendre au roi de France et à l’université de Paris.

Sur ces entrefaites, Jean XXII envoya comme nonces en Angleterre deux religieux, le dominicain Arnaud de Saint-Michel, son pénitencier, el le général dis franciscains, Gérard Eudes. Denifle, op. cit., p. 125 sq. Rallié aux idées du pape, ce dernier s’avisa di' profiter

d’un séjour forcé a Paris pour taire de la propagande ;

il exposa devant un immense auditoire L’opinion favorable au délai de la vision béatilique. Grand lui l'émoi ; niagnum murmur inter scholares audilum est, dit le

continuateur de Guillaume de Nangis, loc. cit. L’irritation lut d’autant plus vive qu’on soupçonnait le pape d’avoir dissimulé, sous le couvert d’une mission diplomatique, le dessein d’accréditer à Paris la nouvelle doctrine. Philippe VI se montra fort impressionné par toute cette affaire ; Eudes ayant sollicité une audience pour se disculper, il ne voulut l’entendre qu’en présence de dix maîtres en théologie, dont quatre franciscains. Tous se prononcèrent vivement contre l’opinion du délai, et le roi reprit sévèrement Gérard, le menaçant même, s’il ne se rétractait, de le faire brûler comme hérétique et lauteur d’hérésie. Villani, op. cit., 1. X, c. ccxxviii. Plus tard, des auteurs gallicans, comme Pierre d’Ailly, Jean de Launoy et beaucoup d’autres, ont prêté au roi Philippe à l'égard du pape une violence de langage qui ne se trouve pas dans les documents primitifs.

Cependant, Jean XXII avait appris ce qui s'était passé à Paris ; il se hâta d’envoyer au roi, le 18 novembre de la même année 1333, une lettre pleine de modération et de dignité. Tout en louant son zèle pour l’intégrité de la foi, il l’exhortait à ne pas user de menaces ni de châtiments contre ceux qui soutiendraient le délai de la vision intuitive, mais à laisser les théologiens discuter librement sur cette matière, jusqu'à ce qu’il plût au siège apostolique de trancher le débat. Une phrase est particulièrement à noter, celle où le pape justifiait sa propre conduite : « Comme plusieurs lois dans ses écrits, saint Augustin a parlé de cette question en hésitant, et qu’il semble y avoir eu variété d’opinions sur ce point, non seulement chez ce Père, mais chez beaucoup d’autres docteurs, nous avons cru, dans l’intérêt même de la vérité, devoir traiter ce sujet dans nos sermons, sans rien dire de notre fond, mais en alléguant des textes de l'Écriture et des Pères, surlout de ceux dont l’Eglise a sanctionné les écrits. Beaucoup de cardinaux et d’autres personnages ont prêché, devant nous et ailleurs, le pour et le contre sur celle question ; plusieurs fois même, on l’a discutée à notre cour en présence de prélats et de théologiens, tout cela pour mieux parvenir à la pleine connaissance de la vérité. » Denifle, op. cit., p. 426.

Mais le roi avait déjà convoqué une assemblée solennelle ; elle se tint au château de Vincennes, le 19 décembre ou quatrième dimanche de l’A vent, en présence des princes, évéques, abbés et principaux magistrats qui se trouvaient à Paris. (In avait fait appel aux plus célèbres docteurs de la faculté de théologie ; ils étaient vingt, sans compter Pierre de la Palu, patriarche de Jérusalem, Pierre Roger, archevêque de Rouen, el le chancelier, Guillaume Bernard. Trois franciscains étaient au nombre des docteurs, et parmi eux le célèbre Nicolas de Lyre. Deux questions furent posées : 1° Les âmes saintes qui sont au ciel voient-elles l’essence divine l’ace à face avant la résurrection des corps et le jugement général ? 2° La vision qu’elles ont maintenant de l’essence divine cessera-t-elle au jour du jugement dernier, pour faire place à une autre'? Les docteurs lurent unanimes pour résoudre la première question d’une façon affirmative, et la seconde d’une façon négative. Quelques-uns opinèrent seulement que la vision dont jouissent maintenant les.'unes saintes deviendrait plus parfaite au jour du jugement dernier. Le général des franciscains, qui étail présent, souscrivit à la décision. Dans une autre réunion, tenue aux Mathurins, le 26 décembre, on rédigea un acte authentique du jugement ; il lut signé, le 2 janvier, par les mêmes docteurs

et par six antres qui n’avaient pas assisté à la première

assemblée. Dans une lettre destinée au pape, on lisait

cette phrase : « Ouanl à celle question, OÙ Votre Sainteté a montré tant de savoir et de subtilité, en rassemblant pour l’une des parties des autorités plus nombreuses et plus fortes qu’aucun docteur m' nous parait en avoir apporté jusqu’ici, le tOUl cependant, nous