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BENOIT XII

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a-t-on dit, sous forme d’exposition, sans déterminer ni même affirmer ou soutenir fermement quoi que ce soit, nous supplions vivement Votre Béatitude, en toute humilité et respect, de daigner la trancher, en confirmant par une définition la vérité du sentiment dans lequel a toujours été entretenue la piété du peuple chrétien que vous gouvernez. » Denillc, op. cit., p. 429 sq. En transmettant ces actes à la cour pontificale, le roi de France joignait ses propres instances aux désirs de ses théologiens.

IV. Enquête et rétractation de Jean XXII.

Le pape n’avait pas attendu la déclaration de l’université de Paris pour s’engager dans la voie qu’on lui conseillait ; car les franciscains schismatiques, qui s'étaient réfugiés à la cour de Louis de Bavière, continuaient à tirer parti des sermons d’Avignon, pour accuser publiquement d’hérésie leur grand adversaire et en appeler à un concile œcuménique. Voir Occam, Opus nonaginta dierum, c. ccxxiv, et Michel de Cezena, Litterae deprecatorise ad vegem Romanorum et principes Alemannise, c. XII ; deux ouvrages insérés par le protestant Goldast dans sa Monarchia S. Romani imperii, in-fol., Francfort, 1614, t. il, p. 1233, 1360. Le 28 décembre 1333, Jean XXII réunit en consistoire les cardinaux et autres prélats, les docteurs en théologie et les auditeurs du palais apostolique ; après avoir déclaré son intention d’examiner à fond la controverse relative à l'état des âmes séparées, il fit commencer la lecture des autorités qu’il avait recueillies pour ou contre la vision béatifique immédiate. Cette lecture dura cinq jours, a festo innocentuin usque ad epyplianiam, dit Henri de Diessenhoven, op. cit., p. 18. Le procès-verbal de ces consistoires, rapporté dans le Chartularium universitatis parisiensis, p. 434, n’entre pas dans le détail des arguments présentés par Jean XXII et ses partisans ; mais nous sommes renseignés sur ce point par Occam ; dans la seconde partie de son Bialogus, réimprimé par Goldast, lue. cit., p. 710 sq., il reproduit pour les réfuter, les arguments de Jean XXII d’abord, puis ceux de ses partisans, rationes Johannitarum. Dans ces derniers, rien d’important qui ne nous soit déjà connu ; remarquons seulement qu’ils tiraient cette conséquence légitime de leur opinion : le temps de la foi durera pour tous les saints jusqu’au jour du jugement, et qu’ils se débarrassaient des citations opposées en y dénonçant de pieuses exagérations, intelligendæ secundum locutionem devoti affectus. L’argumentation du pape se ramène à quelques cheis de preuve. La claire vision de l’essence divine étant incompatible avec l’espérance ne peut par là même se trouver dans les âmes séparées, en qui reste l’espérance. Job, xix, 25 ; Apoc, vi, 10 sq. Cette claire vision devrait être pour les âmes le terme suprême de la glorification ; elle ne peut pas l'être, puisque, au jour du jugement, Dieu exaltera les saints. I Pet., v, 6. Qui oit Dieu clairement, voit tout ; ce qui n’est pas vrai des âmes saintes, comme le montre saint Augustin, De cura pro mortuis gerenda, c. xv, P. L., t. XL, col. 605. Enfin, et surtout, c’est à la personne humaine que la claire vision a été promise comme récompense ; c’est au jour du jugement général que se rapporte la réalisation de cette promesse ; sinon, à quoi bon ce jugement ?

En présentant ces raisons, Jean XXII ne voulait aucunement préjuger la question ; voici, en effet, la déclaration solennelle qu’il fit ensuite et qui fut insérée dans le procès-verbal : « De peur qu’on ne puisse mal interpréter nos sentiments, et prétendre que nous avons pensé ou pensons quelque chose de contraire à la sainte Ecriture ou à la foi orthodoxe, nous disons et nous protestons expressément que, dans la controverse relative à la vision des âmes, tout ce que nous avons dit, allégué ou proposé dans nos sermons et nos comérences, nous l’avons dit, allégué et proposé en entendant ne rien déterminer, décider ou croire qui fût en aucune façon

opposé à la sainte Ecriture ou contraire à la foi orthodoxe, mais seulement tenir et croire ce qui peut et pouvait être conforme à la sainte Écriture et à la foi catholique. Que si par hasard il se trouvait dans ces sermons ou conférences des idées qui fussent ou parussent tant soit peu en opposition avec la sainte Ecriture et la foi orthodoxe, nous disons et affirmons qu’il n'était pas dans notre intention d’agir ainsi, et nous révoquons le tout expressément, renonçant à tenir ces points et à les défendre pour l’avenir comme pour le présent. » Le pape ajouta même que son plus vif désir était de voir nettement établir la doctrine de la vision immédiate, nec credimus quod aliquis hodie tantum daret quantum nos vellemw dédisse, quod pars affirmativa, ut premittitur, per Scripturam sacrant vel sanctorum dicta Ma sacre Scripture non obviantia probaretur. Il conclut enfin, en enjoignant sous peine d’excommunication aux prélats et aux théologiens de s’occuper sérieusement de la question et de lui faire connaître ensuite leur sentiment. En outre, le 10 mars suivant, il adressa au roi de France une lettre d’explication où, en particulier, il protestait en conscience contre l’arrière-pensée qu’on lui avait prêtés au sujet de la mission diplomatique de Gérard Eudes. Deuxjours après, il écrivait à l’archevêque de Rouen pour lui donner avis de l’injonction qu’il avait faite aux cardinaux, évêques et docteurs, d'étudier la question de la vision béatilique et de lui communiquer leur jugement. Denifle, op. cit., p. 437 sq.

Les esprits se calmèrent en France ; mais il n’en fut pas de même en Allemagne. Les fraticelles y continuaient leur campagne contre le pontife qui les avait condamnés ; ils envenimaient toutes ses démarches, et jusqu'à sa dernière protestation qu’ils traitaient de palinodie feinte et frivole, revocatio ficta et frivola. Occam déclarait magistralement que le pape devait faire une rétractation pure et simple, sans déguisement, en ces termes ou d’autres équivalents : J’abjure l’hérésie que j’ai approuvée et enseignée, en affirmant que les âmes des saints n’ont pas au ciel la claire vision de Dieu. Dialogus, part. II, tr. I, c. x, Lyon, 1494, fol. 171. Aigri par l'échec de ses tentatives de réconciliation avec le saint-siège, Louis de Bavière appuyait ces agissements schismatiques ; on décida qu’un concile se réunirait sous le patronage de l’empereur, pour déposer Jacques de Cahors. L’un des franciscains révoltés, Bonagratia de Bergame, rédigea les convocations en insistant sur l’hérésie papale. Nicolas le Mineur, op. cit., fol. 303 b ; Raynaldi, an. 1334, n. 31 sq., t. vi, p. 14. Mais Jean XXII mourut sur ces entrefaites, le 4 décembre. La veille, sentant sa fin approcher, il avait mandé tous les cardinaux et leur avait lait donner lecture d’un acte officiel qu’il se proposait de publier sous forme de bulle. Ce passage en faisait le fond : « Voici comment nous déclarons le sentiment que nous avons actuellement et que nous avons eu sur cette matière, en union avec la sainte Église catholique. Nous, confessons et croyons que les âmes séparées des corps et pleinement purifiées sont au ciel, dans le royaume des cieux, au paradis, et avec Jésus-Christ en la compagnie des anges, et que, suivant la loi commune, elles voient Dieu et l’essence divine face à face et clairement, autant que le comporte l'état et la condition de l'âme séparée. Si d’une façon quelconque nous avons dit autre chose ou nous sommes exprimé autrement sur cette matière, nous l’avons fait en restant attaché à la foi catholique, in habitu fidei catholicte, et en parlant par manière d’exposition et de discussion ; c’est là ce que nous affirmons, et c’est en ce sens que tout doit se prendre. » Puis, le pape mourant soumettait au jugement de l'Église et de ses successeurs ce qu’il avait dit et écrit sur ce point ou tout autre. Denille, op. cit., p. 441.

L’authenticité de cet acte solennel est indiscutable j