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BENOIT XII


Jean XXII à titre d’objection : Illa visiofacic ad faclem lideratis in resurreclione servatur. Dans cette phrase, l’accent porte sur le mot liberalis ; cette vision béatifiante sera le privilège des élus. Cependant saint Augustin semble bien, dans quelques textes, réserver au jour du jugement cette vision facie ad faciem. Ce qu’il entend alors, ce n’est pas la vision intuitive dans un degré quelconque, mais la jouissance de cette vision dans toute sa plénitude et avec tous les effets béatifiques qui peuvent en découler ; c’est ce degré suprême de béatitude où l’homme glorifié dans toute sa nature, dans son corps comme dans son âme, sera devenu semblable aux anges et pourra, comme eux, s’unir à la vérité et à l’amour infinis de toute l’intensité de ses puissances intellectuelles et aflectives ; c’est pour l’homme entier la vie éternelle dans toute sa splendeur et l’entrée absolue dans la joie de son Seigneur. Une phrase du Serai., xxvi, n. 5, marque bien ces deux étapes de notre béatitude : Ergo cum viderimus eum sicuti est, jam transiet peregrinatio nostra ; poste A vero, gaudebimus gaudio angclorum. P. L., t. xxxviii, col. 181. Ainsi, la vision intuitive à la fin de notre pèlerinage terrestre, première étape ; deuxième, qui viendra plus tard, la participation au plein bonheur des anges. Alors nous verrons Dieu face à face, et comme eux ; Cum vero sequales angelis Dei fuerimus (Luc., xx, 36), tune quemadmodum E7" ipsi videbinws facie ad faciem. Enchiridion, c. lxiii, P. L., X. xl, col. 261.

La solution complète de tous les témoignages objectés par Jean XXII appelle une troisième considération ou distinction. Autre est la question de savoir si les âmes saintes entrent aussitôt après la mort en possession de la vision béatifique ; autre celle de savoir, ou du moins de déterminer exactement en quel lieu elles sont reçues. Car on peut prendre le ciel dans une acception métaphorique, pour signifier l'état de béatitude des âmes saintes, et on peut le prendre dans une acception littérale, pour désigner un lieu proprement dit et nettement déterminé. La première acception n’emporte pas l’autre ; ainsi les saints anges, envoyés en mission sur la terre, n’en continuent pas moins de jouir de la vision béatifique, et l'âme sainte du Sauveur a joui de la même vision pendant sa vie terrestre. Que les âmes des saints soient au ciel, entendu de l'état de béatitude surnaturelle, c’est une vérité immédiatement contenue dans le dogme défini par Benoît XII ; mais que le ciel des âmes séparées doive être considéré comme un lieu proprement dit, et qu’est ce lieu, c’est une question plus philosophique que théologique et qui reste en dehors du dogme. Aussi est-il assez indifférent, sous le rapport doctrinal, que les Pères se servent, en parlant des âmes séparées, du mot ciel, ou de ces autres : repos éternel, sein d’Abraham, paradis, etc. ; car, depuis la mort et l’ascension du Sauveur, ces termes ne s’opposent pas en eux-mêmes et, sauf de très rares exceptions, ils ne s’opposent pas non plus chez les Pères. Voir S. Julien de Tolède, Prognosticon, 1. II, c. ni : Quid signijicet sinus Abrahse, in quo beatorum animée recipiuntur. P. L., t. xevi, col. 476 ; Muratori, op. cit., c. xii, xiv, xvi. Pour ce qui est de saint Augustin en particulier, les témoignages invoqués se rapportent à la question du lieu des âmes, et non pas précisément à celle de leur état béatifique ; par exemple, De Genesi ad litteram, 1. XII, c. xxxii sq. ; Queestionum Evangeliorum, 1. II, c. xxxviii, P. L., t. xxxiv, col. 480 sq. ; t. xxxv, col. 1350 sq. Dans ces passages et autres semblables, le grand docteur cherche et souvent hésite, parce qu’il ne trouve rien de précis dans la sainte Écriture sur ce lieu des âmes. Peu importe qu’il parle tantôt de demeures cachées, tantôt du sein d’Abraham, tantôt du paradis ou du ciel, sous cette réserve toutefois : si tamen non aliquid unum est diversis nominibus appellatum, ubi sunt animée beatorum. De Gen. ad litt., 1. XII, c. xxxiv, n. 65, P. L.,

t. xxxiv, col. 483. Peu importe qu’il n’identifie point ces termes avec celui de royaume de Dieu, où les anges se trouvent et jouissent de la vie éternelle dans toute sa plénitude ; car il ne s’ensuit pas qu’il refuse aux âmes séparées toute vision et toute jouissance de Dieu. « Quelque part que soit le paradis, tout bienheureux s’y trouve et il s’y trouve en compagnie de celui qui est partout. » Epist., clxxxvii, c. iii, n. 7, P. L., t. xxxiii, col. 835. Aussi nous montre-t il son ami Nébridius dans le sein d’Abraham, quidquid illud est quod illo signiftcaiitr sinu, et là se désaltérant à la source même de la divinité, buvant à longs traits la vérité, dans un bonheur sans fin : spirituale os ad fvnleni tuum (ponit}, et bibit, quantum potest, sapientiam pro aviditate sua, sine fine feli.r, Confess., 1. IX, c. iii, n. 6, P.L., t. xxxii, col. 765 ; passage qui suggère au cardinal Bellarmin, op. cit., c. v, cette réllexion : Ecce hic asseril visionem et fruilionem, et tamen ambigit de loco. Les mêmes remarques valent pour saint Ambroise, De bonomortis c. x, n. 46, quand il parle des animarum prompt uaria ; expression empruntée, comme l’ensemble du passage, au IVe livre d’Esdras, vii, 32.

Au demeurant, il est très peu de témoignages patristiques, du IVe siècle au IXe, qui soient en opposition claire et formelle avec le dogme défini par Benoit XII. Pourtant il y a des voix discordantes, même en dehors des nestoriens et autres partisans du sommeil des âmes. A la fin du ve siècle, Énée de Gaza concède que, sans le corps, l'âme ne peut ressentir aucune douleur. Theophraslus, P. G., t. lxxxv, col. 975. Vers la même époque, André, évêque de Césarée en Cappadoce, reproduit au IXe siècle par Aréthas, l’un de ses successeurs, semble borner la joie de Pâme séparée à Y espérance des biens éternels, jointe à un paisible repos dans le sein d’Abraham. Comment, in Apoc, c. XVII, P. G., t. CVI, col. 272, 596. Au vi 6 siècle, Cassiodore émet en Occident des idées analogues dans son livre De anima, c. xii, P. L., t. lxx, col. 1301. L’auteur des Quæstiones ad Anliochum ducem place les âmes des justes dans le paradis, et celles des pécheurs dans l’enfer, - mais en différant leur entrée dans le royaume et dans la géhenne ; elles restent dans l’ai tente soit des biens soit des supplices éternels, joyeuses ou tristes suivant le sort qui leur est réservé. Q. xix, xx, xxi, xxiii, P. G., t. xxviri, col. 610, 618. Idées dont l'écho se retrouvera chez les Grecs dans la période postérieure au schisme.

Accordons enfin que, dans les passages objectés par Jean XXII ou les adversaires de la constitution Benedictus Deus, les Pères n’ont pas toujours suffisamment distingué les diverses faces du problème, ni parlé avec toute la netteté et la fermeté désirables. La question ne se posait pas pour eux, comme elle s’est posée plus tard, en ces termes précis : Les âmes entrées au ciel voienlelles Dieu, oui ou non, avant la résurrection général ? Plusieurs ont simplement exposé les données eschatologiques de l'Évangile ; aussi leur pensée, comme celle des Pères plus anciens, ne s’arrête guère aux individus, mais se fixe sur l’humanité arrivée au terme de son économie terrestre. Sous cet aspect, tout converge au jour du grand jugement : la reddition des comptes, la sentence, le couronnement et la distribution des récompenses, l’entrée dans le royaume, la glorification suprême. Pour le plus grand nombre de ces Pères, la doctrine se complète ailleurs, lorsqu’ils attribuent en termes formels ou équivalents la béatitude et la vision intuitive aux âmes parvenues au ciel. Pour quelques autres, par exemple saint Cyrille de Jérusalem, Théodoret et saint Jean Damascène dans ses écrits certains, la doctrine ne se complète pas ; on reste en face de textes généraux, dont la portée indécise ne permet guère de formuler un jugement certain.

3. Période postérieure au schisme grec.

Jusqu’ici, point de divergence sensible entre l’Occident et l’Orient ;