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RÉRENGER PIERRE — RÉRENGER DE TOURS
« Tu aimeras 1. Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,

rie tout ton esprit et d<- toutes tes forces. »

Toutes ces critiques ne vont qu'à prouver une chose : c’est que tout le monde se trompe, et que celui qui s’est trompé n’a pas le droit de juger trop sévèrement les autres. « Si Âbélard avait fait une faute en parlant, il devait sentir de la part de son juge les douces mains de la miséricorde plutôt que les tenailles brûlantes de la colère. »

Bérenger se promettait de justifier la doctrine d’Abélard dans une seconde partie qui n’a pas paru.

Sa lettre aux chartreux contient, avec un éloge de leur institut, un violent réquisitoire contre leur conduite, mais en somme (et c’est à cela que se réduisent ses accusations), tout leur crime est de violer la règle du silence, et de prêter une oreille trop complaisante aux commérages du dehors.

Dans le prologue de son Traité de l’incarnation, Bérenger attaque les moines en général par ce trait satirique : Apud religiosos patclla psalmus est, et pinguis refectio Alléluia ; « chez les religieux, le psaume est un petit plat, et l’AUeluia un menu succulent. » Au moine de Marseille il reproche d’enseigner que le Dieu souverain est distinct du créateur de l’univers.

En somme, l'œuvre littéraire et théologique de Bérenger est plutôt polémique et satirique que didactique et positive. Elle lui suscita des ennemis. Par crainte de l’orage qu’il avait déchaîné contre lui, il prit le parti de s’expatrier. Après avoir erré çà et là, sans savoir où se fixer, il finit par se terrer dans les Cévennes. Ce fut de là qu’il écrivit à l'évêqne de Mende, Guillaume (1109-1150), une lettre qui contient une rétractation assez équivoque de ses précédentes satires. Il rend hommage à la sainteté de l’abbé de Clairvaux : « A mon avis, dit-il, il est le Martin de notre époque. » Cependant il n’est pas encore canonisé ; c’est un homme sujet comme les autres aux laiblesses de la nature ; « il brille comme le feu ; mais ce n’est pas encore le soleil, il n’est pas encore fixé au firmament ; c’est tout au plus une lune… Quant à sa doctrine, si je l’ai mal interprétée, qu’on me réfute. » Legant eruditi Apologeticum qucm edidi ; et si dumnum abbatem juste non argui, licenter me redarguant. Néanmoins un peu plus loin il déclare qu’il ne faut pas prendre au sérieux, mais pour une simple plaisanterie, tout ce qu’il a écrit au désavantage de l’homme de Dieu. Il va plus loin ; comme on lui reprochait de ne pas avoir tenu sa promesse en justifiant la doctrine d’Abélard, il répond qu’il est devenu plus sage avec le temps et qu’il est tout à fait de l’avis de l’abbé de Clairvaux. « Je n’ai pas voulu me faire l’avocat des chefs intentés contre Abélard, car si la doctrine en est bonne, elle est aussi mal sonnante. » Venant ensuite aux invectives lancées contre les chartreux, il convient que ces bons anachorètes amassaient de grandes richesses spirituelles. « Mais voyant, dit-il, qu’ils les mettaient dans un sac pcrcé>, par la liberté qu’ils se donnaient d’ouvrir la boucheà tout propos, j’ai voulu fermer le trou du sac en leur imposant silence, afin de conserver la pure farine île la religion. Quant au moine de Marseille, il méritait une réprimande, comme l’atteste la lettre qu’il m’a écrite. Le trait contre les religieux qui aiment les menus succulents D’est qu’une boutade qui, lancée contre ton ! le monde, n’atteint personne. » Bérenger finit par demander pardon à ceux qu’il a blessés, voulant bien s’avouer coupable, mais par manière de parler : IVniam rogo innocent, et simagis placet, veniam postulo reus.

Cette rétractation est manifestement insuffisante, surtout en ce qui regarde les attaques dirigées contre l’abbé

île Clairvaux..Nous avons montré, lie rue îles questions

historiques, janvier 1891, p. 223, que Bernard n’a jamais composé les poésies licencieuses qu’on lui attribue. Tout au plus peut-il être question de juvenilia sur un

sujet profane. Les railleries que Bérenger adresse à l’abbé de Clairvaux au sujet de l’oraison funèbre de Gérard, interrompant le commentaire sur le Cantique des cantiques, sont également déplacées. Il lui reproche, en particulier, d’avoir fait deux emprunts à l’oraison funèbre de Satire par saint Ambroise et en conclut que son chagrin est un chagrin de rhétorique. Mabillon remarque judicieusement que, des deux passages allégués en preuve, un seul se trouve dans saint Ambroise. Senn., xxvi, in Cantica, P. L., t. olxxxiii, col. 903, note. Du reste, il n’y aurait pas de honte à imiter saint Ambroise. Peut-on dire qu’un chagrin ne peut être sincère quand il entre des réminiscenees dans les termes qu’on emploie pour l’exprimer ? Le reproche d’hérésie serait plus grave, s’il ne tombait aussi absolument à faux. Quand Bernard dit que l'âme « tire son origine du ciel » , il entend par là, comme le prouve tout le contexte, qu'étant, de sa nature, spirituelle, comme les anges, elle doit tendre au ciel qui est sa vraie patrie. Nam si propter corpus, quod de terra habet, tabernaculis Cedar se assimilât, curnon propter animam, quee de cselo est, cœlo seque similem se esse glorietur, præsertim cum vita testetur originem, testetur naturse dignitatem et patriæ. Serni., xxvii, in Cantica, n. 6, P. L., t. clxxxiii, col. 915 ; cf. ibid., note de Mabillon. Faut-il faire une chicane à saint Bernard d’avoir dit que « la mesure d’aimer Dieu, c’est de l’aimer sans mesure » ? De diligendo Deo, c. i, P. L., t. clxxxii, col. 974. Mabillon fait observer que cette « parole d’or » , dictum aureum, remonte à Sévère de Milève, correspondant de saint Augustin, Epist., cix, P. L., t. xxxiii, col. 419, et que l’abbé de Clairvaux imitedans cette citation Jean de Salisbury, Polycraticus, 1. VII, c. xi. Bref, il n’y a pas lieu de prendre au sérieux aucun des reproches que Bérenger adresse à l’abbé de Clairvaux, et lui-même se rendait justice quand il écrivait : non serio legatur. Ce qu’il disait de la personne de l’homme de Dieu, il faut l’appliquer également à la doctrine : Si quod in personam liominis Dei di.ri, joco legatur, non serio. Epist. ad Mimatensem episcopum.

Les ouvrages de Bérenger se lisent, P. h., t. crxxviu, col. 1857, et dans Cousin, Pétri Abxlardi Opéra, Paris, 1859, t. ii, p. 771 sq. Odduul a traduit VApologeticus et l'épître à l'évêque de Mende à la suite d’Abuilardet Héluise, par M. et M"* Guizot, Paris, 1853, p. 205 sq.

A consulter Fabricius, édit." Mansi, 1. 1, p. 198 ; Noël Alexandre, Hist. eccl., sæc. XI, xii, diss. VII, a. 9 ; dom Ceillier, Histoire des auteurs sacrés et ecclésiastiques, t. xiv, p. 327 ; Bayle, Dictionnaire historique et critique, au mot Bérenger ; Histoire littéraire de la France, édit. Palmé, t. xii, p. 254 ; Kirchenlexikon, t. ii, col. 3'JO.

E. Vacandard.

    1. BÉRENGER DE TOURS##


2. BÉRENGER DE TOURS. -I. Vie. II. Doctrines. III. La controverse bérengarienne.

I. VlE.

Bérenger naquit à Tours, ou dans ses environs, vers l’an 1000. Il alla, jeune encore, recueillir les leçons de Fulbert de Chartres. Son intelligence ouverte, son ardeur de savoir le classèrent au premier rang des disciples de Fulbert. Mais il semble que, dès lors, il inspira des inquiétudes. Guillaume de Malmesbury raconte, Gesta regum Anglorum, 1. III, § 285, P. L., t. clxxix, col. 1258, que Fulbert, surson lit de mort, apercevant Bérenger dans la foule de ses visiteurs, ordonna de le faire sortir, et assura qu’il avait vii, près de lui, un démon qui invitait, d’une main caressante, beaucoup de gens à le suivie. Sans doute ce récif est loin de s’imposer, et l’on peut admettre que le portrait de Bérenger étudiant tracé' par Guitmond, De corporis et sanguinis Chris ti veritate in eucharistia, I. 1, /'. L., t. cxi.ix, col. 1428, est poussé' au noir. Mais nous savons, par un condisciple de Bérenger, Adelman de Liège, De eucharistia sacràmento ad Berengarium epistola, P. /.., t. cxi. iii, col. 1289, que Fulbert exhortait avec larmes ses élevés à ne pas dévier de la ligne droite de l’ortho-