Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 2.djvu/366

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
723
724
BERENGER DE TOURS


doxie ; et, s’il est peut-être excessif de supposer, avec M. Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge, Chartres, 1895, p. 105, qu’il y a une allusion à Bérenger dans le passage d’une lettre de Fulbert, la xlvif, P. L., t. cxli, col. 225, où l'évêque de Chartres dit d’un de ses disciples, Adelman, que luporum insidias sagaciter cavet, en revanche il est certain que la question eucharistique préoccupait Fulbert. Dans une lettre, dont l’authenticité, niée par M. PfistQr, De Fulbertl Carnotensis vita et operibus, Nancy, 1886, a été établie par M. Clerval, op. cit., p. 42, Fulbert repousse des doctrines où se trouve, au moins en germe, toute l’erreur de Bérenger : à l’encontre de certains esprits qui jugent trop charnellement des choses de la foi et, en particulier, des sacrements, Fulbert déclare qu’il ne faut pas, en ces matières, s’arrêter à ce qui tombe sous le regard, que l’eucharistie ne doit pas être appréciée selon les apparences et d’après le seul regard corporel, qu’en elle nous n’avons pas inanis mysterii symbolum, sed… corpus Christi verum quod…, $ub visibili creaturæ forma, invisibiliter virtus sécréta… operatur, que la matière de l’eucharistie naturse et generis sui meritum transcendons, in Christi substantiam commutetur. P.L., t. cxli, col. 199, 201-203. Les idées que Bérenger défendit dans la suite étaient donc dans l’air pendant son séjour à Chartres, et il n’est pas impossible qu’il les ait déjà adoptées.

Après la mort de Fulbert (1029), Bérenger quitta Chartres. Il ne tarda pas à devenir écolàtre de Tours et archidiacre d’Angers. S’il demeura, quelque temps et à plusieurs reprises, à Angers, en sa qualité d’archidiacre, cf. L’Anjou historique, Angers, 1901, t. ir, p. 3-18, il résida habituellement à Tours. Sa réputation grandit vite et attira à son école de Saint-Martin de brillants élèves, parmi lesquels on cite Hildebert de Lavardin. Cf. pourtant Bourassé, P. L., t. clxxi, col. 21-22. Peutêtre faut-il lui joindre Eusèbe Brunon, le futur évêque d’Angers ; cf. Mabillon, Annales ordinis S. Benedicli, Lucques, 1739, t. iv, p. 446 ; C. Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique de Maine-et-Loire, Paris, 1874, t. I, p. 318, 528, — ainsi que le fondateur de la Chartreuse, saint Bruno, cf., contre cette hypothèse, Mabillon, Acla sanct. ordinis S. Benedicti, sœc. vi, part. I, Paris, 1701, p. iv-v ; part. II, p. lui, et, pour elle, les bollandistes, Acla sanctorum, Paris, 1866, octobris t. iii, p. 504-508, et Delarc, Saint Grégoire VU, Paris, 1889, t. iii, p. 352. Baudri de Bourgueil ne vint pas à l'école de Saint-Martin de Tours, et n’eut donc pas Bérenger pour maître, mais il put le connaître à Angers. Cf. H. Pasquier, Baudri, abbé de Bourgueil, archevêque de Dol, Angers, 1878, p. 41. Quant à Lanfranc, il ne fut certainement pas son disciple. Cf. Porée, Histoire de l’abbaye du Bec, Évreux, 1901, t. I, p. 69.

Au dire de Guitmond, P. L., t. cxlix, col. 1428, Bérenger fut jaloux de Lanfranc qui l’avait vaincu dans une discussion de dialectique, et de l'école du Bec qui éclipsait celle de Saint-Martin de Tours ; pour attirer l’attention et grouper autour de sa chaire de nombreux auditeurs, il se mit en tête de trouver du nouveau, et de là ses spéculations hétérodoxes. Deux faits contribuèrent à lui donner de la hardiesse : l'éléva- < tion de son ami Eusèbe Brunon au siège épiscopal d’Angers (1047), et la protection de Geoffroy Martel, comte d’Anjou. C’est vers cette date de 10 17 que Bérenger commença d'émettre publiquement ses théories antieucharistiques.

Un de ses anciens condisciples de Chartres, Hugues, évêque de Langres, eut avec lui, à Tours, une longue conférence d’où il emporta la certitude que Bérenger avait, sur l’eucharistie, d’autres sentiments que ceux de l'Église universelle ; Hugues s’en expliqua dans une lettre écrite en 1048 ou dans les premiers mois de 1019. Pour

cette lettre et les écrits divers que nous allons mentionner, voir la bibliographie à la fin de cet article. Adelman, écolàtre de Liège, et ancien condisciple de Bérenger lui aussi, avait eu vent, de son coté, des doctrines de l'écolàtre de Tours et lui avait fait demander des renseignements par Paulin, primicier de Metz. Bérenger avait répondu à Paulin en se couvrant de l’autorité de Jean Scot Érigène, et, comme Paulin lui avait communiqué ses doutes sur l’autorité de Scot, Bérenger avait accentué ses opinions dans une seconde lettre à Paulin. Pendant ce temps, Adelman, ne recevant pas de ses nouvelles, écrivit (vers le commencement de 1050) une lettre, qu’il compléta plus tard, et dans laquelle il adjura Bérenger de respecter « la paix catholique » . P. L., t. cxun, col. 1289.

La condamnation portée au concile de Beims (1050) contre « les nouveaux hérétiques qui venaient de surgir dans les Gaules » , et que nous connaissons par le moine Anselme, Hisloria dedicationis ecclesise sancti Bemigii Bemensis, P. L., t. cxlii, col. 1437, vise-t-elle Bérenger et ses partisans ? Ce n’est pas improbable, si ce n’est tout à fait sûr. Vers la même époque, ayant appris que Bérenger battait en brèche la doctrine traditionnelle sur l’eucharistie, et qu’il appuyait son enseignement sur l’autorité d’un livre attribué à Scot Érigène, Lanfranc taxa d’hérésie la doctrine de Scot Érigène sur le sacrement de l’autel, et soutint l’orthodoxie de Paschase Radbert que Jean Scot Érigène et Bérenger n’admettaient pas. Bérenger averti se hâta d'écrire à Lanfranc : comme celui-ci, dans l’intervalle, était allé assister au concile de Rome, la lettre lui fut portée à Rome, et fut lue au concile (1050), lequel condamna Bérenger et lui signilia de comparaître devant le concile qui devait se tenir à Verceil, au mois de septembre de la même année. Bérenger résolut, à ce qu’il affirme, d’aller à Verceil, mais non sans avoir obtenu la permission d’entreprendre ce voyage du roi Henri I er, abbé nominal de Saint-Martin de Tours. Il se rendit donc auprès du roi, tout en faisant un détour à Préaux (diocèse de Lisieux), où il essaya en vain de rallier à sa cause son ami l’abbé Ansfroid, — et à Chartres où s’engagea une discussion qui tourna contre lui. Peut-être aussi faut-il placer à cette date une tentative de Bérenger pour se' concilier Guillaume de Normandie, le futur conquérant de l’Angleterre, et la conférence de Brionne (près du Bec), convoquée par Guillaume, et dans laquelle, raconte Durand de Troarn, Liber de corpore et sanguine Christi, c. xxxiii, P. L., t. cxlix, col. 1422, Bérenger fut réduit au silence et contraint de donner son assentiment aux propositions qui sauvegardaient la foi catholique ; Durand de Troarn, il est vrai, met ce voyage de Bretagne en 1053, mais, comme il ajoute que la conférence de Brionne fut antérieure au concile de Verceil, il est probable que cette date de 1053 est une erreur des manuscrits. Quoi qu’il en soit, Henri I er ne laissa point partir Bérenger pour Verceil : il l’emprisonna. Des historiens, notamment Gforer, Papst Gregorius VII und sein Zeitalter, Schafl’house, 1861, t. vi, p. 55, ont vu dans cet emprisonnement une comédie, une histoire arrangée à plaisir, pour permettre au roi de France de tenir Bérenger à l’abri des périls qui l’attendaient à Verceil ; mais la manière dont Bérenger s’en exprime, De sacra cœna, Berlin, 1834, p. 16, démontre qu’il n’en fut rien. Cf. Hefele, Histoire des conciles, trad. Delarc, Paris, 1871, t. vi, p. 327 ; P.-P. Brucker, L’Alsace et l’Eglise au temps du pape Léon IX, Paris, 1889, t. il, p. Ï55-158, 397-399. Du reste, la captivité fut courte ; Bérenger s’en tira à prix d’or et alla se réfugier auprès du comte d’Anjou.

Cependant l’absence de Bérenger n’empêcha point le concile de Verceil (1050) d’examiner et de condamner sa doctrine. L’année suivante, en dépit d’une lettre de Théoduin, évêque de Liège, qui l’invitait à punir Béren-