Cette proposition ne se trouve pas dans les écrits de Baius, mais elle est conforme à ses principes, et il en prend la défense dans sa première apologie ; il ne voit pas ce qui a pu motiver la censure, et fait appel à saint Augustin, attribuant la mort corporelle au péché et non point à une loi naturelle, non lege naturse, sed merito in/ïictam esse peccati. De civitate Dei, . XIII, c. xv, P. L., t. XLI, col. 387. C’est toujours, chez le précurseur du jansénisme, la même confusion entre la question de fait et la question de droit. Dieu avait contéré au premier homme, pour lui et pour ses descendants, le privilège de l’immortalité, s’il persévérait dans l’innocence originelle ; c’est donc par le péché du premier homme que la mort est entrée dans le monde. Doctrine catholique, énoncée par saint Paul et sanctionnée par plusieurs conciles. S’ensuit-il que le privilège conféré au début n’était pas un don surnaturel et gratuit, dépassant les exigences comme les forces de la nature humaine ? Les mêmes principes, qui nous ont servi pour les propositions précédentes, valent, à plus forte raison, pour celle-ci ; l’Écriture sainte et la tradition patristique fournissent, du reste, des preuves spéciales. La doctrine faisant de l’immortalité corporelle la condition naturelle de l’homme et lui refusant le caractère de don gratuit a été de nouveau proscrite dans la bulle Auctorem fidei, comme « captieuse, téméraire, injurieuse à l’Apôtre, déjà condamnée » . Denzinger, Enchiridion, n. 1380. Voir S. Augustin, De Genesi ad lilt., 1. VI, c. xxv, P. L., t. xxxiv, col. 354 ; De peccator. mentis, 1. I, c. n sq., P. L., t. xliv, col. 110 sq. ; S. Thomas, In IV Sent., 1. II, dist. XIX, q. i, a. 2, 4 ; Bellarmin, Refutatio Bail, fol. 154 ; De gratia primi hom., c. ix ; Ripalda, op. cit., dist. XI ; Casinius, op. cit., a. 2 ; Palmieri, op. cit., th. xlvi.
79. Falsa est doctorum senLes docteurs errent qui
tentia, primum hominem poaffirment que Dieu ait pu créer tuisse a Deo creari et institut et former l’homme sans la jussine justifia naturali. Baiana, tice naturelle, p. 123, 146.
Cette proposition, comme la précédente, n’appartient pas en propre à Baius ; il s’en est seulement occupé dans son apologie à Pie V et sa déclaration de 1570, mais en la considérant d’une manière incomplète. Elle est, en effet, susceptible de deux sens différents. On peut entendre par justice naturelle un don, habituel ou actuel, distinct de la nature et conférant à l’homme un état positif de moralité dans l’ordre naturel, par opposition à un état de simple aptitude où la raison et la volonté ne seraient ni droites, ni courbes, mais pourraient se porter « oit au bien, soit au mal. Baius n’a trouvé que ce premier sens dans la proposition 79e ; et n’ayant pas, dit-il, de principes scripturaires pour la résoudre, il a exprimé son étonnement de la voir proscrite, plutôt que discutée. Mais le terme de justice naturelle pouvait encore signifier, d’après la terminologie baianiste, la justice originelle ; alors c’était répéter sous une autre forme ce que Baius avait avancé lui-même dans le traité De prima hominis justifia. Le corps de doctrine rejette à bon droit la proposition 79e comme offensante et téméraire : offensante par la qualification d’erreur dont elle est accompagnée ; téméraire en ce qu’elle nie que Dieu ait pu créer et former l’homme sans la justice naturelle, entendue soit dans la première acception, soit dans la seconde. Baiana, p. 166. Ce jugement n’est qu’un corollaire des principes rappelés dans les pages qui précèdent.
Comme corollaire de cette première série de propositions on peut se demander : que faut-il penser de la position des théologiens dits augustiniens, comme le cardinal de Noris, Bellelli, Berti et autres de la même école ? Sur plusieurs points de fait, leur position est insoutenable. Ainsi, pour mieux distinguer leur système de celui de Baius, ils attribuaient à ce docteur d’avoir soutenu que la grâce habituelle, identifiée par eux avec la charité habituelle, et les autres vertus qui concourent
au salut, constituaient une propriété naturelle de la créature raisonnable et lui étaient dues à ce titre ; puis ils opposaient à cette assertion, seule condamnée par l’Église, disaient-ils, leur propre doctrine : Dieu se devait à lui-même, il devait à sa sagesse, à sa bonté ou aux convenances, d’aider la créature raisonnable, au moins par un secours actuel, à mener ici-bas une vie digne de sa fin naturelle, la pleine possession de Dieu, et par conséquent à obtenir la charité actuelle. Mais toute cette prétendue opposition entre la position de Baius et la leur ne répond pas aux faits. Baius n’anullementvu dans la justice originelle un naturel de constitution, mais seulement un naturel d’exigence. De plus, l’analyse de son opuscule sur la charité et les développements qui viendront ensuite, montrent le peu d’importance qu’il attachait à la charité habituelle ; son unique préoccupation est d’affirmer et de prouver qu’à la créature raisonnable est dû le secours du Saint-Esprit pour atteindre la vie éternelle, son unique fin. D’ailleurs, et cette considération est décisive, Pie VI, dans la bulle Auctorem fidei, enseigne la gratuité absolue de « l’impulsion vers Dieu par l’amour de charité » . Reste uniquement la distinction, faite par les mêmes théologiens et quelques autres, entre la puissance divine absolue et la puissance ordonnée ou réglée dans ses opérations par la sagesse et la bonté. Mais là encore il est difficile de séparer ces théologiens de Baius ; car, pour prouver que Dieu se doit à lui-même d’élever la créature raisonnable à la vision intuitive, ils n’apportent pas au fond d’autre raison que le docteur lovaniste, l’inconvénient qu’il y aurait à laisser inassouvies les aspirations de la créature raisonnable et à la faire tomber ainsi dans une éternelle misère. Là se trouve, chez eux comme chez Baius, l’erreur fondamentale, à savoir que la pleine possession de Dieu tel qu’il est en lui-même est due aux exigences naturelles de la créature raisonnable ; erreur que le concile du Vatican se proposait de proscrire enfin formellement. Schéma constitutionis dogmaticsede doctrina catholica, c. ni, dans Acta ss. concilii vaticani, Collectio Lacensis, Fribourg-en-Brisgau, 1890, t. vii, col. 555, 516, 547 sq.La condamnation de Baius conduit donc logiquement au rejet de l’opinion dite augustinienne. Voir Palmieri, De Deo créante, th. xxxviii.
II. PROPOSITIONS RELATIVES AU MÉRITE.’1. Nec angeli, nec primi hoNi les mérites de l’ange, ni minis adhuc integri mérita ceux de l’homme avant sa recte vocantur gratia. De mervchute, ne peuvent raisonnâtes operum, 1. I, c. IV. blement être appelés grâce.
3. Et bonis angelis, et primo Si le premier homme avait
homini, si in statu illo persevepersévéré jusqu’à la fin de sa
rasset usque ad ultimum vitæ, vie dans l’état d’innocence, la
félicitas esset merces, et non félicité aurait été pour lui,
gratia. Ibid., c. iii, iv. comme elle a été pour les
anges, une récompense et non
pas une grâce.
7. Primi hominis integri meLes mérites du premier
rita fuerunt primae creationis homme dans l’état d’intégrité
munera ; sed juxta modum loont été les dons de la première
quendi Scripturae sacrae non création ; mais, selon le langage
recte vocantur gratia ; quo fit, de l’Écriture sainte, il ne con ut tantum mérita, non etiam vient pas de leur donner le
gratia, debeant nuncupari. nom de grâce ; il faut donc les
Ibid., c. iv. appeler uniquement mérites, et
non pas grâce.
9. Dona concessa homini inLes dons accordés à l’homme
tegro et angelo, forsitan non innocent et à l’ange pourraient
improbanda ratione, possunt peut-être assez raisonnable dici gratia, sed quia, secundum ment s’appeler grâce ; mais
usum sacrae Scripturæ nomine comme l’usage de la sainte
gratiae ea tantum munera intel- Écriture réserve ce nom aux
liguntur, quae per Jesum Chridons accordés par Jésus-Christ
stum maie merentibus et indi- à ceux qui ne les méritent pas et
gnis conferuntur, ideo neque qui s’en sont rendus indignes,
mérita, neque merces, quae il s’ensuit qu’on ne doit appeler
illis redditur, gratia dici débet. grâce ni les mérites, ni la ré Ibid., c. iv ; Baiana, p. 82 sq. compense qui leur est donnée.