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BAIUS

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Baius considère ici les mérites des anges et de l’homme innocent dans leur rapport à la nature angélique ou humaine. Pour dissiper les équivoques contenues dans ces propositions, le cardinal Bellarmin distingue dans le mot grâce trois acceptions. Refutatio Baii, fol. 145 ; De gratiæt liberoarbitrio, l.I, c. I. Dans un sens large, on peut appeler grâce tout bienfait de Dieu, qu’il soit en lui-même d’ordre naturel ou surnaturel. Mais au sens propre, la grâce s’entend des dons divins qui se surajoutent à la nature, comme n'étant nécessaires ni à sa constitution ni à sa conservation, ne résultant pas de ses principes et ne lui étant pas dus à un titre quelconque. Enfin on donne plus particulièrement le nom de grâce aux dons divins qui non seulement sont surnaturels et gratuits, mais supposent, en outre, dans le sujet une indignité positive ; tels les dons surnaturels mérités à l’homme pécheur par Jésus-Christ. Que les saintes Écritures parlent, en règle générale, de la grâce prise dans cette dernière acception, rien de plus facile à comprendre ; elles s’adressent aux hommes déchus dans Adam leur premier père et par suite constitués dans un ordre de providence où, pour eux, toute grâce est grâce du Christ. Est-ce à dire qu’elles excluent la seconde acception ? Assurément non, puisqu’elles nous font connaître l’existence de dons divins qui, par leur nature même, dépassent les forces et les exigences de la créature. Bien plus, elles appliquent le terme de grâce aux dons de la sainte humanité de Jésus-Christ. Luc, II, 40 ; Joa., I, 14. Il en est de même de saint Augustin. Sans doute, il met au premier plan et considère habituellement la grâce propre aux fils d’Adam déchu, la grâce du Christ rédempteur ; mais il connaît aussi la seconde acception, par exemple, quand il montre Dieu créant dans les anges la nature et leur faisant en même temps largesse de la grâce. Simul eis et condens naturam et largiens gratiam. De civitate Dei, 1. XII, c. ix, P. L., t. xii, col. 357. N’aflirme-t-il pas ailleurs que dans le premier état de l’homme le mérite n’eût pas été plus possible que maintenant sans la grâce, sine gratia nec tune uUum merilum esse potuisset ? Enchiridion, c. CVI, P. L., t. xi., col. 282. Que la grâce d’Adam innocent ait été, sous plus d’un rapport, différente de la nôtre, elle n’en reste pas moins grâce de Dieu, et grande grâce. Adam non liabuit Dei gratiam ? Imo vero habuit magnam, sed disparemf De corrept. et gratia, c. xi, P. L., t. xliv, col. 933. Si le saint docteur dit à la fin du même chapitre, col. 936, que pour ceux d’entre nous qui se sauvent maintenant, le bonheur éternel est devenu don de la grâce, tandis qu’alors il aurait été récompense, facta est donum gratise, quse merces futura erat, le contexte étudié attentivement ne permet pas de donner à ces paroles le sens étroit et exclusif que leur a donné Baius et qu’il a traduit arbitrairement dans son style, tantum merces. Riche de la grâce initiale, qui était en quelque sorte le patrimoine de la nature humaine, Adam, avant son péché, possédait un principe de mérite par rapport au bonheur éternel, il n’avait pas besoin d’une nouvelle grâce pour parvenir à la récompense, namque ut reciperet bonum, gratia non egclmt, (/nia nondum perdiderat ; et c’est pour cela que cette idée de récompense domine alors. Maintenant il n’en est plus ainsi ; par le péché originel, l’homme a perdu tout principe de mérite par rapport au bonheur éternel ; une nouvelle grâce, plus gratuite encore et plus puissante que la première, doit intervenir, et c’est pour cela que dans le salut des lils d’Adam l’idée de grâce domine, nunc autem per peccalum perdito bono mcrilo, in his quiliberantur facta est donum gratia. Mais, de même que, maigri' 1 ce titre spécial de gratuité', le bonheur céleste n’est pas, dans l’ordre de la rédemption, tellement grâce qu’il ne soit plus du tout récompense, suivant la foi catholique et la doctrine de saint Augustin, de même le bonheur éternel n’aurait pas été, dans l’ordre de nature

intègre, tellement récompense qu’il ne fût plus grâce. Daius n’avait donc pas le droit de supprimer la grâce dans la seconde acception du mot, comme il l’a fait dans les propositions l re, 3e, 7e et 9 « . L’erreur de terminologie a sa source dans une erreur doctrinale. Pourquoi ce docteur repousse-t-il l’appellation de grâce proprement dite, quand il s’agit des mérites et du bonheur éternel des anges et de l’homme innocent ? Pour un motif déjà connu : dans son système, les dons de la justice originelle étaient dus à l’intégrité de la première création, et par suite, naturels ; les mérites attachés à ces dons et leur récompense étaient donc eux aussi, et dans le même sens, naturels. Erreur que renouvellera Quesnel, en l'énonçant sous une forme adoucie en apparence : Gratia Adami non producebat nisi mérita humana. Denzinger, Enchiridion, n. 1249. La concession que Baius semble faire dans la proposition 9e, confirme son erreur, loin de la diminuer. Les mots forsitan non improbanda ratione possunt d’ici gratia, sont empruntés presque textuellement à saint Augustin, Epist., CLXxvii, n. 7, P. L., t. xxxiii, col. 767 ; qu’on lise tout le passage, et l’on verra que par les dons de la création qu’il permet d’appeler grâce, dans la première acception du mot, le grand docteur entend les dons purement naturels, consistant dans l’existence, la nature humaine et les perfections qui s’y rapportent, liomines qui et essemus, et viveremus, et senliremus, et intelligeremus. En un mot, c’est la grâce pélagienne. Pour être dans la vérité, il suffit de renverser l’argument de Baius : les dons de la justice originelle étaient, réellement et au sens propre, dons surnaturels et grâce ; appuyés sur ces dons, comme la tige sur le tronc, les mérites des anges et du premier homme sont donc eux aussi, et à ce titre, mérites surnaturels et grâce, ut quse ab ea gratia fluxerunt in qua condili erant, disent justement les docteurs de Louvain, dans leur corps de doctrine, c. 1, Baiana, p. 162. Cf. Suarez, De gratia, prolegom. vi, c. ii, n. 6 ; Bipalda, op. cit., disp. V-VI.

8. In redemptis per gratiam Dans ceux qui ont été ra Christi nullum inveniri putest chetés par la grâce de Jésus bonum meritum, quod non sit Christ, on ne peut trouver au gratis indigno cullatum. De cun bon mérite qui ne soit

merit. oper., 1. I, c. iv ; conféré gratuitement à un in Baiana, p. 84. digne.

Prise à la lettre, cette proposition serait hérétique ; car, si dans l’ordre actuel la grâce sanctifiante est toujours accordée à des indignes, le concile de Trente n’en a pas moins défini que l’homme justifié, devenu membre vivant du Christ, mérite vraiment par ses bonnes œuvres l’augmentation de la grâce et la vie éternelle, sess. VI, c. xvi et can. 32. Denzinger, Enchiridion, n. 692, 721. La pensée de Baius n’allait pas si loin ; il reconnaît dans son apologie que l’augmentation de la justice et la vie éternelle ont le caractère de rétribution faite à des sujets dignes, dignis guident redditur, mais il ajoute qu’elles ne sont grâce que sous un autre rapport, celui de don fait à des sujets précédemment indignes. Explication qui suppose l’erreur formulée dans la proposition 9e, et qui montre de plus en plus que dans sa notion de la grâce, le théologien lovaniste ne tenait pas compte de l’entité ou nature intrinsèque tles dons conférés aux anges et aux hommes.

2. Sicut opus malum ex natura sua est mortis esteras meritorium, sic bonum opus ex natura sua est vitæ esteras meritorium. De merit. oper., 1. II, c. ii, tii.

4. Vita esteras liomini integro et angelo promises fuit intuitu honorum operum, et Innia opéra ex tege natura ; ad illam consequendam per se suIQ Comme la mauvaise action mérite de sa nature la mort éternelle, ainsi la tienne actieii mérite de sa nature la vie éternelle.

La vie éternelle a été promise a l’ange et à l’homme Innocent en vue de leurs bonnes œuvres, et colles-ci, en vertu d’une loi naturelle, sut-